Lettre Culture

Lettre d'information du réseau culture

Edito

Enseignements artistiques : une loi au milieu du gué, un chantier inextricable. (15/04/2009)

Donnez votre avis 1 commentaire 

Le Ministère de la culture a dû en faire l'amère constat : faute d'un travail de concertation suffisant en amont et d'un réel accompagnement par la suite (à ce titre, la première décentralisation concernant la lecture publique fait dorénavant plutôt office de modèle), la loi de 2004 n'a pu être appliquée dans sa totalité. Mais il faut se souvenir du contexte : sur une commande politique, chaque ministère devait faire des propositions de décentralisations, et la tentation était forte de « lâcher » ce qui était devenu ingérable au niveau de l'Etat...


Si la grande majorité des Conseils généraux s'est engagé (sans transfert de crédits) dans un processus d'état des lieux puis de rédaction de schémas départementaux des enseignements artistiques, en recrutant souvent un chargé de mission pour leur mise en oeuvre (cf. ici le panorama des schémas en novembre 2008), il n'en a pas été de même des Régions.


Celles-ci, qui intervenaient peu au préalable dans le financement des CNR (Conservatoires nationaux de région, à la charge principale des villes et agglomérations), se sont donc vues, de par la loi, chargées de l'organisation du CEPI, cycle d'enseignement « professionnel » initial.


 Si elles se sont mobilisées dans l'ensemble en recrutant elles aussi des chargés de mission, en commandant des études, ou en initiant des protocoles expérimentaux (c'est le cas pour deux régions, avec les conservatoires de Poitou-Charentes et Nord Pas de Calais), elles ont mis ensuite un préalable financier à l'application de la loi. Elles ont saisi la commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC) et ont décidé de suspendre l'application de la loi, faute de la sortie des décrets d'application.


En effet, les Régions et l'État n'ont pu trouver d'accord sur le montant des crédits nécessaires pour garantir le développement du CEPI (dès lors que son contenu était imposé, le coût s'en trouvait fixé). La principale cause de la crise est venue de l'inadéquation des crédits devant être transférés par l'Etat pour la mise en place de ces CEPI et leur coût « réel », ou du moins le coût estimé par les Régions qui devaient les mettre en place. Les Régions avaient pour ce calcul une vision que l'Etat juge extensive en ce qui concerne le nombre d'élèves concernés. L'Etat avait quant à lui une vision beaucoup plus restrictive (adéquation des entrants par rapport à l'enseignement supérieur). Exemple en Rhône-Alpes : 1 000 élèves à 6 000 ¤ (variable selon les besoins et les acquis), soit un besoin de 6 millions d'euros, d'après la Région...


La question des moyens financiers a donc plombé l'ambition initiale de cette loi qui devait apporter une meilleure cohérence territoriale. Car en soi, l'idée partait d'une bonne intention : clarifier qui fait quoi, et sortir d'une situation enchevêtrée où les engagements des collectivités étaient par ailleurs inégaux d'une région à l'autre.


Quatre ans plus tard, le rapport de la sénatrice Catherine Morin-Desailly sur la décentralisation des enseignements artistiques (juillet 2008), a permis à l'Etat de prendre conscience qu'il fallait revoir l'article 101 de la loi du 13 août 2004 pour ce qui concernait, non pas l'existence même du CEPI, mais l'articulation de son application.


Ce qui a prêté à confusion, c'est aussi ce terme « professionnel » dans le CEPI, qui était à l'interface de deux philosophies. S'agissait-il de formation professionnelle, ce qui justifiait alors le choix de l'échelon régional comme échelon pertinent ? Mais le CEPI n'est pas un diplôme « professionnalisant » et ne peut donc s'inscrire dans le cadre des PRDF (plans régionaux de développement des formations professionnelles).  Il s'agit davantage d'une « orientation professionnelle » proposée aux meilleurs élèves des structures d'enseignement artistiques (qui quant à elles sont et resteront avant tout des écoles formant de bons amateurs).


Du CEPI au POP : un changement de nom et de pilote ?


Dans les cartons du ministère (DMDTS) aujourd'hui, exit les CEPI (alors que les Régions n'ont jamais demandé à en être dessaisies), voici venir les POP, les parcours d'orientation professionnelle. On en revient à l'esprit premier, puisqu'il est question de transférer en priorité aux communes ou agglos les financements de l'Etat  et donc le pilotage (éventuellement d'autres niveaux de collectivités « pourront » s'impliquer, ce serait négociable au cas par cas avec l'Etat).

L'élève pourrait valider des parcours, le DNOP (Diplôme national d'orientation professionnelle), créé par le décret du 16 juin 2005 et l'arrêté du 23 février 2007, étant conservé.


Mais les représentants des collectivités (notamment les Régions) ainsi que les professionnels (directeurs d'établissement et enseignants) restent partisans du CEPI, pour plusieurs raisons.


En effet,pour la première fois, une loi définissait de façon claire et égalitaire les contenus de préparation à un diplôme (750 h, donc un vrai engagement des élèves), en outre doté d'une approche très diversifiée : composition, culture, danse, environnement administratif...Le POP risquerait de recréer des inégalités (va-t-on en revenir au temps de la Médaille d'or du Conservatoire ?), avec des parcours plus ou moins riches selon que le conservatoire (la commune) aura des moyens (il pourra alors proposer 750 h) ou en manquera (il pourrait ne proposer alors que 500 h). Ce sont donc les élèves qui en feraient les frais. Avec un retour au financement par les communes, on peut s'inquiéter du financement futur des formations de haut niveau, par rapport aux autres pays européens. (« je crains que le maire ne s'arrête à sa vision de proximité et au soutien à la seule pratique en amateur », dit par exemple Eric Valette, le maire-adjoint à la culture d'Orléans).


Par ailleurs, au niveau de l'emploi, ce n'est pas le métier d'instrumentiste qui fournit le plus de travail. Or seule la « voie royale » est conservée : le DNOP ne conduira qu'au métier d'instrumentiste, alors que le CEPI s'ouvrait à d'autres matières, permettant aux élèves de suivre différentes voies.


Catherine Morin-Desailly, s'exprimant lors d'un Groupe de travail le 12 mars, initié par la FNCC, a estimé que s'il s'avérait qu'il n'y avait plus d'engagement des Régions, il valait mieux alors en revenir au statu quo, sans transfert de crédits de l'Etat. Elle a plaidé par ailleurs pour moins d'exigences sur le classement des conservatoires, « au moment où l'Etat n'amène plus d'argent ».


En conclusion (provisoire) :
- Le DEM, actuel diplôme qui sanctionne encore les études de 3e cycle spécialisé dans une vingtaine de régions, est probablement promis à vivre encore quelque temps (sauf dans les deux régions pilotes) ;
- Le principe de « Commissions régionales pour les enseignements artistiques » semble pertinent, mais le rôle de chef de file restera-t-il aux Régions ou reviendra-t-il aux DRAC ?
-Les discussions entre les représentants des collectivités et le ministère se poursuivent dans le cadre du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel  (CCTDC), au sein duquel, sur ce sujet, les associations d'élus (notamment l'ARF et l'AMGVF) n'ont pu jusqu'alors parler d'une voix commune...

Comme le dit Jean-Claude Lartigot, directeur de la Nacre, « la crise économique précipite le repli sur soi ... le chemin sera long pour passer de la sectorisation ou plutôt « sectarisation » des revendications à des débats de politique culturelle globale »...

François Deschamps

Lettre d'information du réseau culture
Extrait de Lettre d'information du réseau culture - N° 204 (15/04/2009)
Téléchargez le N° 204 - Archives - Vous abonner