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Qu'avons-nous fait de nos campagnes ?

Article du numéro 470 - 16 septembre 2013

Idées

" À l'origine de cette mue, qui a bouleversé ce pays plus qu'il ne l'a été depuis le néolithique, il n'y a pas de conscience, l'instinct du pouvoir et des affaires a tout
mené. "
Tristes campagnes, Bernard Charbonneau, 1973, Paris, éditions Denoël, 239 pages.

Retrouvez des extraits de cet ouvrage sur www.lettreducadre.fr/comp-redac.html, complément rédactionnel n° 1026.

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Republier cet ouvrage de 1973 est une excellente idée. Bernard Charbonneau, qui, dans une grande solitude à l'époque, fut un précurseur important de l'écologie politique, y développe un réquisitoire contre le saccage de son Béarn qui conserve, voire même trouve, tout son intérêt aujourd'hui. Il est admirablement écrit, dans la grande tradition du pamphlet. Et, 40 ans après, l'actualité des questions qu'il pose est saisissante, à l'heure où on commence enfin à s'inquiéter, par exemple, de ce que disparaît chaque décennie sous le bitume l'équivalent d'un département.


Chaos, désordre et laideur

Ce qu'il décrit pour le Béarn, son pays, qu'il enrage de voir saccager, vaut peu ou prou pour l'ensemble des campagnes françaises. C'est la « révolution agricole » qui produit les effets les plus marquants : élevage industriel, envahissement par le maïs de vastes surfaces issues des remembrements, prolifération des hangars et silos... tout cela, conséquence de la fin de l'exploitation familiale de polyculture, a des allures, dès cette époque, de catastrophe environnementale. S'y ajoute une deuxième série de transformations qu'on pourrait appeler débordements de la ville sur la campagne : prolifération anarchique des lotissements et zones pavillonnaires, multiplication des grandes surfaces et parkings, omniprésence de l'automobile, stockages de déchets, forages et carrières...
Tous les effets de ces transformations se concentrent dans la dégradation du paysage, notion clé pour l'auteur. Alors qu'il exprimait un équilibre entre l'homme et la nature, patiemment établi par les générations, il n'est plus, dans maints endroits, que chaos, désordre et laideur. Développant ce réquisitoire passionné contre le saccage qu'il voit se dérouler, Charbonneau s'inquiète tout autant de la ville que de la campagne.


Réparer le désastre

Car, écrit-il, « la campagne disparaît, mais ce qui lui succède n'est pas la ville » : ces territoires, que l'on nomme aujourd'hui périurbains, n'ont pas l'unité ni la vie de quartiers, et n'assurent pas davantage les fonctions d'une ville. C'est la banlieue, au sens strict de ville sans les qualités de la ville, qui prolifère de plus en plus largement, « dans un désordre qui exaspère la nostalgie d'un ordre » note l'auteur, faisant ainsi preuve d'une vision étonnamment prémonitoire de ce qui se révèle aujourd'hui à travers le vote FN dans les couronnes périurbaines les plus lointaines.
Ce que les hommes ont fait, car ils ont ½uvré ou consenti à ce désastre, ils peuvent aussi le transformer, à condition de retrouver l'exercice de leur faculté de penser et choisir. Charbonneau creuse profond pour chercher causes et remèdes. On ne s'étonne pas qu'il en appelle à un changement de paradigme quant au modèle de développement ou à notre conception du bien-être : ces questions sont maintenant au c½ur du débat public. Il y a davantage à apprendre de la manière dont il appréhende la démocratie territoriale : il ne voit d'intérêt à la décentralisation institutionnelle dont on commence alors à parler que si elle va de pair avec la constitution de « sociétés locales ». Mettant fin à des processus déterminés avant tout par la recherche du profit par certains, des places par d'autres, le peuple y reprendrait la main dans le cadre d'une démocratie concrète. Les hommes y seraient liés par une vision partagée du bien commun, fondée d'abord sur le rétablissement d'une relation harmonieuse à la nature. Alors l'existence politique leur serait donnée comme par surcroît, au lieu d'être octroyée d'en haut, selon la manière de concevoir la décentralisation qui a prévalu depuis.