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Chemin (rural) faisant...

Article du numéro 468 - 18 juillet 2013

Urbanisme

En matière de voirie, la commune n'a pas l'obligation d'entretenir les chemins ruraux, quoique... La jurisprudence montre que les réponses apportées sont
différentes selon l'usage du chemin, notamment l'ouverture ou non à la circulation. De cette distinction découlent bien des conséquences.

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Tous les articles du numéro 468

Dans une affaire, pour laquelle le Conseil d'État a récemment rendu sa décision (1), le requérant est propriétaire d'une parcelle située dans la commune de Pontevès. Il se plaint auprès du maire du mauvais état d'un chemin ouvert à la circulation, seul moyen d'accéder à son domicile. En effet, ce chemin comporte de nombreux nids-de-poule ainsi que des nappes d'eaux stagnantes. Il en exige la réfection, ce que refuse la commune. La question qui se pose alors au juge est celle de l'étendue des obligations de la commune sur cette voirie.


Le chemin rural n'est pas une voie communale !

La voirie communale, au sens strict, regroupe les voies affectées au domaine public routier, donc à la circulation générale, ainsi que précisées à l'article L.141-1 Code de la voirie routière (CVR). Cette affectation à la circulation générale permet de distinguer la voie publique de la promenade publique et est systématiquement exigée par le juge : une bande de terrain située entre deux parcelles privées ne peut être un élément du domaine public routier dès lors « qu'il ne résulte pas de l'instruction [qu'elle] ait jamais été ouverte à la circulation générale » (2). La définition permet également d'écarter certaines dépendances dont l'affectation est plus limitée ou plus spécialisée : ainsi en est-il de voies créées lors de la réalisation d'un port et aménagées, à titre principal, pour la desserte des installations portuaires et plus généralement pour l'exploitation du port, dans laquelle figure l'activité commerciale ; « alors même que lesdites voies sont ouvertes à la circulation et à l'usage du public, elles doivent être regardées comme appartenant au domaine public maritime » (3). À côté de ces types de voies, l'on trouve les chemins ruraux, que l'article L.161-1 du Code rural définit comme « les chemins appartenant aux communes, affectés à l'usage du public, qui n'ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune ». Tandis que l'article L.161-2 dispose que : « L'affectation à l'usage du public est présumée, notamment par l'utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l'autorité municipale. La destination du chemin peut être définie notamment par l'inscription sur le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée ».
Récemment, par un arrêt Époux Lobe/Brain-sur-Allonnes (4), le Conseil d'État a expliqué qu'un chemin rural était ainsi présumé affecté à l'usage du public, dès lors qu'il remplissait une seule des conditions fixées à l'article L.161-10 du Code rural, à savoir :
- utilisé comme voie de passage ;
- surveillé par la commune ;
- entretenu par elle.
Cette distinction entre chemin rural et voie communale est issue de l'ordonnance du 7 janvier 1959. Aujourd'hui, suite à ce texte, sont maintenus comme chemins ruraux, ceux des chemins autrefois dénommés chemins vicinaux ou chemins ruraux, et qui n'ont pas fait l'objet d'une procédure de reconnaissance, amenant le conseil municipal à en opérer le classement dans la voie communale, dans les six mois de publication de l'ordonnance de 1959. Rappelons qu'en outre, ces chemins ruraux ne doivent pas être situés en zone urbanisée ni présenter l'aspect d'une rue (5). Il semble bien que le chemin dont
M. Garin souhaite l'entretien soit un chemin rural, en quelque sorte par défaut, puisque non affecté à l'usage du public, aucune des conditions ci-dessus énumérées n'étant remplies, dès lors que le riverain n'est pas assimilé au public par le juge administratif. Néanmoins, son classement en tant que tel suffit à lui conférer cette qualité. Existe-t-il alors une obligation d'entretien ?


L'entretien est-il à la charge de la commune ?

L'article L.231-2 CGCT dispose que les communes ne sont tenues d'entretenir que les voies communales, ainsi donc elles ne sont pas forcées d'entretenir les chemins ruraux dont le code nous a préalablement précisé (L.161-1) qu'il ne ressortait pas de cette catégorie. Le juge prend néanmoins le soin de relever que la commune n'est pas responsable sur le fondement du défaut d'entretien normal de l'ouvrage que si postérieurement à l'incorporation de ce chemin dans la voie rurale, elle avait réalisé des « travaux destinés à en assurer ou en améliorer la viabilité et a ainsi accepté d'en assumer, en fait l'entretien ». Ainsi, il existe deux variantes du chemin rural.

Le chemin rural, ouvrage public
L'emploi de l'expression « défaut d'entretien normal » par le juge renvoie nécessairement à la théorie des dommages de travaux publics et à celle d'ouvrage public. S'agissant des usagers du chemin rural, ceux-ci bénéficient ainsi du régime de la faute présumée, à savoir le défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, donc du chemin. Il appartient alors à la commune de démontrer, pour s'exonérer partiellement ou totalement de sa responsabilité et selon la règle de l'inversion de la charge de la preuve, qu'elle a procédé à un entretien régulier et adéquat du chemin rural ouvert à la circulation (6). À défaut, la commune sera tenue pour responsable du dommage et devra verser les dommages et intérêts correspondants.

Le chemin rural, non qualifié d'ouvrage public
Le Conseil d'État en a déduit, dans l'arrêt Ville de Carcassonne, que l'usager du chemin rural ne pouvait prétendre au régime de responsabilité pour dommages de travaux publics, et notamment que ne pesait pas sur la commune une présomption de défaut d'entretien de l'ouvrage à partir du moment où la commune n'avait à aucun moment entretenu le chemin. Dans notre affaire, cette absence d'entretien, manifeste donc une non-affectation à la circulation, et dégagerait par voie de conséquence la commune de toute obligation d'entretien. Néanmoins, il serait, à notre sens, tout à fait possible d'intenter une action en responsabilité contre la commune sur le fondement des règles du Code civil, en particulier les dispositions de l'article 1386, qui fait du propriétaire de l'immeuble le responsable des dommages résultant d'un défaut d'entretien de celui-ci. Ce n'est malheureusement pas devant le juge administratif qu'il fallait introduire le recours...


Pouvoirs de Police et responsabilité communale

Si l'affaire est entendue, et que la commune est dispensée de toute obligation d'entretien sur ce chemin, il nous reste à trancher la question posée par M. Garin qui est celle du lien de causalité entre mauvais état et non-
adoption par le maire de ses pouvoirs de police. Il ne fait aucun doute que la responsabilité de la commune aurait pu être aussi engagée sur ce point. En effet, le titulaire du pouvoir de police a obligation de l'utiliser (7). Le juge a déjà eu l'occasion de rappeler qu'au titre des pouvoirs de la conservation des chemins ruraux, la commune peut être jugée responsable de toute atteinte au chemin rural (8). Il voit tout autant sa responsabilité engagée lorsque l'utilisation de ses pouvoirs de police débouche sur une rupture d'égalité devant les charges publiques (9). Néanmoins, là encore, ce n'est pas sur ce terrain que s'est placé M. Garin, et comme le juge ne peut soulever d'office un moyen qui n'est pas évoqué devant lui, il en conclut que les pouvoirs de police « n'ont ni pour objet, ni pour effet de mettre à la charge des communes une obligation d'entretien des voies ».


NOTES

(1) CE, 26 septembre 2012, M. Garin, req. n° 347068.
(2) CE, 10 avril 2002, n° 234777, Commune de Rugny.
(3) CAA Marseille, 16 décembre 2003, n° 02MA00795, X. et a.
(4) CE, 3 décembre 2012, req. n° 344407.
(5) CE, 11 mai 1984, époux Arribey.
(6) CE, 20 novembre 1964, Ville de Carcassonne, Rec. CE p. 573.
(7) CE, 14 décembre 1959 Doublet, Rec. CE, p. 540.
(8) CE, 29 juillet 1994, Commune de Vitrolles, req. n° 120892.
(9) CE, 4 octobre 2010, Commune de Saint-Sylvain-d'Anjou, req. n° 310801.


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Pour aller plus loin
Les chemins ruraux Réf. DE743, 92 pages, version papier : 70 e, version numérique : 50 e, édition 2012, un ouvrage de la collection Dossiers d'Experts des éditions Territorial http://librairie.territorial.fr