Guide de jurisprudence

Accueil > Magazines > Guide de jurisprudence

La Lettre du Cadre Territorial

Un magazine à destination des cadres de la filière administrative qui balaye l'ensemble des questions managériales et décrypte l'actualité dans les domaines RH, finances et juridiques sur un ton impertinent, engagé et incisif.

Ajouter au panier Vous abonner (voir tarif )
(Règlement par CB, chèque bancaire ou mandat administratif)

A partir de :

129 €

Le Qatar ne nous veut-il que du bien ?

Article du numéro 466 - 15 juin 2013

Interview

Willy Le Devin, journaliste, spécialiste des banlieues, a participé à l'ouvrage collectif « Qatar. Les nouveaux maîtres du jeu ». Ce tout petit pays de 200 000 habitants (et 1 700 000 travailleurs étrangers) est au premier rang mondial des investisseurs grâce aux revenus tirés de l'exportation de gaz et de pétrole. Le Qatar veut manifestement s'implanter en France, que ce soit en lançant un « fonds banlieues » ou par le sport. Quelle est donc sa stratégie ?

Envoyer cette page à un ami

Soyez le premier à rédiger un commentaire !

Tous les articles du numéro 466

Télécharger cet article en PDF

Willy Le Devin

est journaliste, spécialiste des banlieues. Il a participé à l'ouvrage collectif « Qatar. Les nouveaux maîtres du jeu ».


Le Qatar s'implante dans l'Hexagone. Cela n'a échappé à personne, en devenant propriétaire du Paris-Saint-Germain, ou dernièrement en annonçant le lancement d'une version francophone de la chaîne qatarie Al Jazeera.


Pourquoi le Qatar investit-il énormément à l'étranger et en particulier en France ?

Le Qatar est un tout petit pays qui, par nature, a besoin d'exister. En outre, il se trouve dans un contexte géopolitique régional très tendu, coincé entre deux géants que sont l'Arabie Saoudite et l'Iran. Ces deux géants sont menaçants pour des raisons différentes. Le Qatar redoute une invasion de l'Arabie saoudite, qui pourrait ressembler à ce que Saddam Hussein a fait subir au Koweït. Quant à l'Iran, elle est la puissance démographique chiite régionale, et il existe des grosses tensions avec les Iraniens : l'Iran et le Qatar pompent la même poche de gaz naturel. C'est à l'aune de ce contexte que le Qatar tente de se recréer une politique internationale qui lui permette par tous les moyens de s'assurer des alliés, qui puissent le protéger de dérapages dans la zone. Il faut savoir que ses principaux alliés sont les Américains. La plus grande base américaine dans le golfe est au Qatar. Mais la France n'est pas en reste, depuis très longtemps, traditionnellement, les Français et les Qataris ont une convention de coopération militaire.


Pourquoi le Qatar s'intéresse-t-il aux banlieues françaises ?

L'épisode des banlieues est celui qui a suscité le plus de commentaires. Au départ, on n'a pas compris la stratégie de l'émirat sur la question. Ce n'est pas une idée du Qatar à la base. Ce sont des élus locaux (N.D.L.R. de l'Aneld : Association nationale des élus locaux pour la diversité) qui sont allés, à l'automne 2011, vers le Qatar, pour demander une aide financière pour les jeunes des banlieues. Le Qatar ne s'est pas dit qu'il y avait « un coup » à faire avec les banlieues françaises. Se remémorer l'origine du « fonds banlieues » déconstruit l'idée de l'extrême droite, selon laquelle le Qatar veut faire main basse sur les banlieues. Cet épisode des banlieues marque, il est vrai, un tournant et une intensification des relations entre la France et le Qatar, amorcés sous le quinquennat de Sarkozy.


Qu'est-ce que les jeunes de banlieue ont à voir avec le Qatar ?

Le Qatar a toutefois saisi l'opportunité... Il a cerné la crise entre l'élite française et les banlieues. Le Qatar s'est dit qu'il y avait peut-être une carte à jouer à plusieurs titres, sur cette population-là. D'abord c'est une population très précarisée, ensuite essentiellement musulmane, et enfin, jeune. Trois axes qui intéressent le Qatar. Pourquoi ? Parce que le Qatar a une toute petite population. Les Qataris de souche sont à peine 200 000, tout le reste, ce sont des travailleurs étrangers, des immigrés du Pakistan, du Bangladesh, des Philippines, d'Indonésie et donc le Qatar a toujours besoin de main-d'œuvre. Il a par ailleurs constaté que, depuis quelques années, de nombreux jeunes des banlieues françaises (des Bac + 3 minimum) se tournent vers le Qatar... Il y a énormément de jeunes Français qui tentent leur chance au Qatar, en particulier des jeunes bilingues (français-arabe) assez novateurs dans les nouvelles technologies, dans l'e-marketing, et qui sont à même de porter des projets. Le Qatar fait coup double en soutenant des projets qui peuvent générer un retour en termes d'image positive, et de main-d'œuvre... Enfin force est de constater que cette population des banlieues est très facilement instrumentalisable, qu'elle a cruellement le besoin d'exister, et que pour certains, dans une quête de réaffirmation identitaire, cela souvent passe par l'Islam...


Qu'est devenu ce fonds banlieue ? N'a-t-il pas été retoqué ?

Si, Arnaud Montebourg a été plutôt malin parce qu'il a réorienté le fonds en un fonds mixte « banlieues et zones en difficulté économique ». Il l'a aussi ouvert à des entreprises privées... Ce qui a permis de vider de son contenu l'argument du FN selon lequel le fonds qatari était un investissement religieux et communautaire, d'Arabes à Arabes... Aujourd'hui ce fonds est extrêmement réglementé. Il s'élève à 300 millions d'euros, dont 50 % viennent de la Caisse des dépôts et les autres 50 % du fonds souverain, le Qatar Investment Authority. Arnaud Montebourg a également retiré la gestion de ce fonds aux élus de l'Aneld. Les dérives de clientélisme auraient été trop fortes. Les premiers projets subventionnés ne seront connus que cet été...


Comment interpréter l'investissement du Qatar dans les mosquées françaises, à Nantes, Mulhouse et Bordeaux ?

Ce n'est ni plus ni moins que la course à l'échalote, dans l'investissement des mosquées... À une époque, le Maroc et l'Algérie se faisaient la bataille la plus saillante, maintenant ce sont les Saoudiens et le Qatar, même si l'Algérie et le Maroc restent des donateurs très opulents. La loi française est structurée de telle sorte que l'Islam de France a toujours été instrumentalisé par les puissances étrangères. La loi est-elle bonne ou pas ? Vaste débat... J'observe pour ma part que les États étrangers tirent parti de cette situation, mettent leurs billes et avancent leurs pions pour avoir une certaine influence. Le Qatar est très intéressé par la communauté musulmane de France parce qu'elle est majoritairement sunnite. C'est la plus importante d'Europe occidentale avec pratiquement 6 millions de membres...


Après le PSG, le Qatar compte-t-il faire d'autres emplettes en France ?

Non, je ne pense pas. Il s'agit pour le Qatar de placer quelques billes : il ne compte pas acheter la France ! Peut-être à l'avenir peut-il encore s'intéresser à l'associatif, pourvu que ses investissements lui rapportent en termes d'image, et d'attractivité pour de la main-d'œuvre... Dans le sport, le Qatar s'est rapproché du PSG, club extrêmement médiatisé, pour gagner en rayonnement, en influence positive... Acheter des grands joueurs et faire gagner le PSG, c'est faire rêver des centaines de jeunes Français. Le PSG est un pur appareil de communication pour le Qatar. D'ailleurs, les tristes événements des casseurs suite à la victoire du PSG ont rendu le Qatar fou de rage. Sa chaîne Al Jazeera a complètement occulté l'incident...
Enfin, avec le lancement d'Al Jazeera en France, la stratégie du Qatar est complète et définitive. En fait, le Qatar s'est fixé l'horizon 2030 pour diversifier son économie aujourd'hui mono-sectorielle, sans quoi il court au-devant de grandes difficultés, notamment si les cours du gaz naturel s'effondrent, eu égard aussi à la hausse spectaculaire de ses dépenses publiques. Les Qataris sont quasiment tous salariés de l'État...