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Dollar/Yen : ça change avec le change

Article du numéro 466 - 15 juin 2013

Finances

Contrairement à une idée reçue, le cours comparé du yen et du dollar intéresse les collectivités. Les taux d'intérêt de certains prêts toxiques contractés auprès des banques sont en effet indexés sur ce rapport de change. La hausse du dollar par rapport au yen devrait donc permettre aux collectivités de négocier la sortie de ces prêts de manière plus favorable. Mais la manoeuvre reste chère... et compliquée.

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C'est désormais connu, les contrats de prêt et de swap dits « structurés » dans lesquels sont engluées les collectivités locales les exposent à toutes sortes d'indices « exotiques », comme le cours de change yen/dollar (USD/JPY). Or, la forte réévaluation actuelle du dollar par rapport au yen a des conséquences : d'une part la « sortie » de contrats « toxiques » indexés sur cette parité semble facilitée, même si elle reste très onéreuse. Il paraît nécessaire de faire le point sur les raisons du caractère onéreux d'une sortie non négociée de ces contrats (car ce réaménagement implique que la collectivité reconnaisse tacitement la validité du contrat) et sur les nécessaires précautions à prendre avant tout réaménagement, sachant que ces contrats étaient viciés dès l'origine.


Pourquoi la « sortie » des positions structurées USD/JPY reste complexe ?

La devise nippone s'est significativement dépréciée à la suite de la dissolution de la chambre des députés japonaise en novembre dernier et des promesses de Shinzo Abe (leader de la droite, alors dans l'opposition) d'amplifier la politique d'assouplissement monétaire menée par la Banque Centrale du Japon. La force du yen était alors en effet considérée, par certains économistes, comme l'une des raisons de la déflation latente de l'archipel depuis trois ans. Cette dévaluation de la monnaie nippone s'est accélérée après la victoire aux élections législatives du parti de M. Abe, redevenu Premier ministre fin décembre. Elle s'est encore amplifiée en avril avec la décision de la Bank of Japan de lancer un vaste programme d'achats d'obligations d'État. Le mouvement s'est enfin renforcé récemment avec la publication d'indicateurs économiques positifs aux États-Unis. Le dollar s'est donc fortement apprécié face au yen, dépassant le niveau symbolique de 100 yens. La parité a atteint un niveau comparable à ceux du dernier trimestre 2008. Cette dévaluation du yen, permet l'appréciation significative des contrats indexés sur la parité USD/JPY avec des barrières à la baisse (1) (c'est-à-dire des ventes de puts imbriqués dans le financement initial (2)).
Alors même que les conditions se sont améliorées à court terme (le taux appliqué pour la plupart des contrats est aujourd'hui le taux pseudo- « bonifié »), le niveau élevé des volatilités et la structure baissière des forwards de change (voir encadré) expliquent pourquoi la sortie totale pour un emprunt de durée résiduelle longue reste très élevée (cf. encadré technique). Pour les phases structurées d'une durée inférieure à 6 ans la sortie totale est souvent acceptable budgétairement (7). Au-delà, le coût de sortie reste onéreux et l'emprunteur devra accepter une dégradation significative du taux fixe pour solder la totalité de la composante structurée des contrats, à supposer qu'il décide de ne pas remettre en cause le contrat devant le juge.


Des contrats viciés dès l'origine

Revenons en 2008 pour comprendre comment des collectivités ont pu être amenées à conclure de tels contrats. Il est important de noter que dès l'initiation, ces contrats positionnaient les souscripteurs à l'encontre de la tendance naturelle du marché. La conclusion de ces contrats n'a été rendue possible que parce que les acteurs publics ont cru réaliser une opération dans des conditions favorables, alors qu'ils se positionnaient à leur insu contre le marché. De même, ils ont cru conclure une opération à coût nul, alors même que la valeur financière de ces opérations était négative à initiation. Dès l'origine de ces contrats, alors même que la parité spot était éloignée des barrières, tout comme aujourd'hui, la valeur des options était déjà significative. Pour réussir à présenter des formules de taux d'intérêt attractives (c'est-à-dire avec des taux « bonifiés » (8)), les banques ont cherché à collecter de la prime via la vente d'options (9). Elles ont ainsi amené leurs clients à prendre position contre le marché pour dégager des primes importantes (la pseudo-« bonification » du taux). En effet, la tendance baissière de la parité forward USD/JPY engendrait déjà en 2008 une forte valeur des options (négative pour les collectivités...), qui consistaient à parier sur une dévaluation du yen par rapport au dollar, quand le marché anticipait l'inverse !
Il faudra encore espérer que le dollar s'apprécie significativement face au yen, pour que le rachat de la composante optionnelle de ces contrats soit « indolore », à supposer qu'il se fasse au marché, c'est-à-dire sans remettre en cause le contrat. Sur ce dernier point, rappelons que la remise en cause judiciaire de tels contrats est un préalable à toute négociation sérieuse, en particulier depuis que le TGI de Nanterre a appliqué une jurisprudence ancienne, conduisant à annuler le taux « structuré » d'emprunts toxiques.


Prenez vos précautions avant de jouer à nouveau sur le change USD/JPY !

Attention à ne pas réaménager vos contrats USD/JPY dans l'urgence ! Les banques qui ont commercialisé de tels contrats essaient aujourd'hui de pousser les collectivités à les réaménager. Il est plus que jamais nécessaire de prendre des précautions :
- faire vérifier la valeur et les conditions de sorties proposées par la banque par un conseil financier indépendant, et réellement équipé pour « pricer » de telles options. Nous observons en effet que plusieurs établissements bancaires prétendent proposer des réaménagements à valeur de marché constante, alors qu'en réalité les réaménagements proposés équivalent à s'acquitter d'indemnités financières (10) supérieures à celles qui sont contractuellement exigibles ;
- avoir en tête que le réaménagement à valeur de marché constante d'un tel contrat peut avoir de lourdes conséquences juridiques, la banque pouvant chercher à parfaire un contrat conclu dans des circonstances douteuses (11) ;
- toujours penser à interroger des contreparties tierces, la voie de la couverture auprès d'une banque tierce pouvant permettre d'obtenir un meilleur prix (12), voire de ne pas affaiblir sa position juridique (13) ;
- se rappeler que réaménager un contrat à valeur constante équivaut à ne pas le remettre en cause ;
- pour l'ensemble de ces raisons, se méfier des propositions pressantes de réaménagement à valeur de marché constante, qu'elles émanent de tiers (14) ou de conseils pseudo-indépendants.
À notre sens, ce n'est pas parce que les marchés s'améliorent qu'une collectivité doit supporter l'entier surpoids financier d'une structure financière inadaptée, que la banque aurait dû ne pas proposer, ou refuser de contracter (15). À l'heure du renchérissement du dollar face au yen, les collectivités ne doivent pas baisser les bras dans la négociation et se rappeler que l'assignation reste le préalable à une négociation sérieuse.


Des pénalités de remboursement anticipé élevées

Malgré des mouvements positifs pour le calcul du taux à payer sur les contrats structurés indexés sur l'USD/JPY (aujourd'hui les taux à payer sont les taux prétendument « bonifiés » (3)), les pénalités de remboursement anticipés demeurent très élevées, Pourquoi ?
Prenons un exemple à partir des éléments suivants :
Encours au 10/05/2013 : 7,6 Me
Maturité : mai 2025
Indexation :
Si USD/JPY < 90 : taux à payer 3,97 %+30 % *[90 (USD/JPY)-1]
Si USD/JPY > 90 : taux à payer 3,97 %
Observons quelques données clés liées à l'évolution récente de la devise USD/JPY comme :
- l'évolution de l'indemnité de remboursement anticipé total (ou coût de sortie, dans l'hypothèse d'un contrat de « prêt structuré ») ;
- le coût de rachat de la composante optionnelle du taux à payer (c'est-à-dire 30 %*[90/(USD/JPY)-1]) ;
- le taux fixe équivalent à la formule structurée (c'est-à-dire taux de swap offert par le marché
en échange de la formule structurée) ;
- étant précisé que pour illustrer notre propos, nous avons pris pour exemple un contrat de prêt « structuré » dont les caractéristiques sont les suivantes : capital restant dû de 7,6 Me, amortissement progressif et duration de 6,5 ans.

  Le 01/05/2013 Le 10/05/2013 Évolution
USD/JPY 97,1 101,6 + 4,6%
Coût de sortie total 3,6 M 3,2M -0,4M
Taux fixe équivalent (4) 3,2 % 7,5% -0,7%
Écart au marché (5) 7% 6,2% -0,8%
Composante optionnelle :
30 %*[90 (USD/JPY)-1]
2,2M 1,8M -0,4M

La composante optionnelle représente la partie risquée du contrat : c'est elle qui génère l'augmentation exponentielle du taux à payer en cas de dégradation du marché, c'est-à-dire en cas de franchissement de la barrière de 90 USD/JPY. Le coût estimé du rachat de cette composante s'élève à 1,8 Me. L'écart au marché représente le surcoût d'un tel contrat par rapport aux conditions de taux actuelles : le contrat est équivalent à un contrat à taux variable additionné d'une marge de 6,2 %. Finalement, une augmentation de la parité de 4,6 % (la parité passe de 97,1324 à 101,5861) conduit à une amélioration du coût de sortie de 0,4 Me. Le coût de sortie de ces positions reste ainsi très élevé malgré le franchissement des barrières sur le marché spot.
Deux facteurs expliquent ces coûts de sortie toujours élevés :

Le niveau élevé des volatilités
En souscrivant ce type d'emprunts structurés, l'emprunteur a - en réalité - réalisé deux types d'opérations, un financement à taux fixe plus la vente d'options sur la parité USD/JPY. Pour rembourser cet emprunt, il doit donc sortir des emprunts ET procéder au rachat des options sur devises. Or, le coût des options est positivement corrélé au niveau de la volatilité (6), de telle sorte que la hausse de la volatilité augmente le montant de l'indemnité de remboursement anticipé pour le contrat.

Les forwards de change
Les forwards de la parité USD/JPY sont caractérisés par une structure tendanciellement baissière. Ainsi, le niveau pivot (strike des puts vendus) de 90 est refranchi à la baisse par les forwards au milieu de 2024. Or, la valeur des options est liée aux niveaux des taux forwards à chaque date de fixing. Rappelons la définition d'un forward de change : Forward = Spot +/- le différentiel de taux d'intérêt entre les deux devises. Le différentiel entre les taux d'intérêt américains et japonais est nettement positif, ce qui génère mécaniquement un déport sur la parité et explique l'allure baissière des forwards de change USD/JPY.


Des pratiques condamnées par la justice en Europe

Les banques ont amené les collectivités à parier sur une dévaluation du yen par rapport au dollar, alors même que le marché anticipait l'inverse.
Il convient de rappeler que c'est sur ce fondement précis que le Bundesgerichtshof a condamné en mars 2011 une banque allemande pour avoir fait souscrire à un client un swap « structuré », sans l'avertir de ce que la valeur à initiation de ce contrat était négative, et que le client se positionnait ainsi contre le marché. Le tribunal de Milan a également condamné pénalement quatre banques pour ce même motif, à savoir les coûts de conclusion non révélés de contrats financiers. Le silence assourdissant qui a suivi ces deux décisions ne laisse pas de nous étonner...
Ainsi, dès l'initiation, rembourser par anticipation ces contrats aurait été très coûteux (en d'autres termes, la valeur financière de ces contrats était négative dès leur conclusion), comme cela l'est aujourd'hui.


Notes

(1) C'est-à-dire les formules de type : si USD/JPY < x, le taux à payer est de y % + z % (USD/JPY/x-1), sinon y'%. On parle de barrière « à la baisse », dans la mesure où ces contrats révèlent leur « toxicité » lorsque le dollar baisse par rapport au yen.
(2) Cf. note de bas de page n° 1 supra.
(3) Il faut entendre par là le taux d'intérêt plutôt bas applicable au cas où la « barrière » n'est pas franchie. Le marketing bancaire a détourné le terme de « bonification », la pseudo-« bonification » n'en étant pas une, dans la mesure où le coût actuariel de ces contrats, mesuré au jour de leur conclusion, était supérieur au taux de marché de financements classiques.
(4) Cf. note de bas de page précédente.
(5) L'écart au marché est le niveau de marge à ajouter aux conditions de marché (Euribor ou taux de swap de duration équivalente à la duration du contrat) pour atteindre le taux fixe équivalent du contrat. Cet écart peut être comparé avec la marge sur financement nouveau, afin d'estimer le coût d'opportunité pour l'emprunteur de la détention de cet emprunt. Pour le dire simplement, il s'agit de l'écart entre le taux fixe équivalent et le taux de marché hors marge.
(6) C'est-à-dire que toutes choses égales par ailleurs, le coût des options augmente quand la volatilité augmente.
(7) Mais pas nécessairement pour le juriste...
(8) Il faut entendre par là que le taux d'intérêt résultant de l'application du contrat semblait inférieur au taux de marché. On n'insistera jamais assez sur les termes trompeurs issus du marketing bancaire (au cas particulier des « emprunts toxiques », tels que celui particulièrement malheureux de « bonification », dans le contexte des contrats « structurés » : la pseudo- « bonification » n'en étant pas une, dans la mesure où le coût actuariel de ces contrats, mesuré au jour de leur conclusion, était supérieur au taux de marché de financements classiques. Il serait plus juste de parler d'une « malification » (néologisme).
(9) Nous rappelons que la vente d'option génère pour le vendeur l'encaissement d'une prime certaine (« flat » ou périodique) en contrepartie d'une prise de risque illimité. Autrement dit, le vendeur d'option peut être assimilé à un assureur qui connaîtrait le montant des primes qu'il encaisse sans connaître le montant potentiel des dommages qu'il couvre ! À ceci près qu'en général les collectivités ignorent également le montant des primes encaissées.
(10) IRA dans le cas de contrats de prêts, soulte ou « valeur de remplacement » dans le cas de contrats de swaps.
(11) Se reporter aux publications faisant référence sur ce sujet, en particulier pour ce qui concerne les contrats de « prêts » dont la conclusion est documentée par télécopie. Pour notre part, nous relevons, d'expérience, que nos clients qui ont souscrit de tels contrats ne se sont jamais vu communiquer la valeur négative à initiation de ces conventions.
(12) S'agissant en particulier de la renégociation avec des établissements dont la santé financière est fragile, ceux-ci n'étant structurellement pas en mesure d'offrir de prix intéressants.
(13) « Arrêtez de spéculer ! », Charlotte Valette - Seldon Finance, La Gazette des communes, Club finances (lagazette.fr), 21 juin 2012.
(14) « Emprunts toxiques : attention à la médiation ! », Bruno Wertenschlag, Olivier Poindron, Thibaut Geib, La Lettre du cadre territorial, n° 443, 15 mai 2012.
(15) Cf. note de bas de page n° 13 ainsi que
« Le devoir de ne pas contracter dans le secteur bancaire et financier », Étude par Régis Vabres, JCP G, 1er octobre 2012, n° 40.


Docdoc

À lire
Sur www.lettreducadre.fr, rubrique « au sommaire du dernier numéro » :
- Emprunts toxiques : pas de loi balai pour sauver les banques, La Lettre du cadre n° 463, 1er mai 2013.
- Emprunts toxiques : des HLM en danger, La Lettre du cadre n° 462, 15 avril 2013.
- Emprunts toxiques : opération mains propres, La Lettre du cadre n° 459, 1er mars 2013.