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Le temps des villes frugales est venu

Article du numéro 463 - 01 mai 2013

Interview

Qui est simple et peu abondant ». Telle est la définition du mot « frugal ». Comment cet adjectif pourrait-il convenir aux villes qui ne cessent de grossir ? Le régime de « la frugalité » semble pourtant être le seul salut des villes (même engagées dans le développement durable) qui souhaitent sortir de la crise. Jean Haëntjens, l'inventeur du concept de « ville frugale » en est convaincu.

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Jean Haëntjens

Économiste et urbaniste français, diplômé d'HEC et de Sciences Po Urbanisme, il est spécialisé dans les stratégies urbaines appliquées au développement durable. Il a été directeur de l'agence d'urbanisme de Saint-Nazaire. Il conseille de nombreuses villes et institutions, en France et en Europe dans le cadre de la structure Urbatopie. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont le dernier s'intitule Crises : la solution des villes, chez Fyp Éditions.


Comment passez-vous d'une ville durable au concept de ville frugale ?

Excepté pour les pionnières comme Copenhague dans les années quatre-vingt-dix, il faut rappeler que le concept de ville durable a démarré dans les années 2000 en France. La notion de durable est entrée dans les documents d'urbanisme, dans les lois SRU de 1999-2000, obligeant les communes de se doter d'un PADD. Depuis cette date, il y a une grande période d'expérimentation. En 2008, la crise est survenue. Le prix de l'immobilier a flambé. L'ensemble « logement-déplacement » a augmenté de 5 % en moyenne entre 2000 et 2010 pour les ménages. L'augmentation a été plus fortement ressentie évidemment pour les locataires... En Région parisienne, ce sont parfois 50 % des revenus qui partent dans ces deux postes. Aujourd'hui, fort d'un certain nombre d'expérimentations au nom du « développement durable », on commence à comprendre qu'une ville ne peut pas être seulement durable, il faut qu'elle soit aussi « désirable » et « abordable »... La somme des trois recouvre le concept de frugal. Désirable, car la frugalité est le contraire de l'austérité. La ville frugale n'est pas une pénitence. Dans la ville frugale, on prend plaisir à rouler à vélo, par exemple. La ville frugale est « abordable », parce qu'elle a réussi à réduire ses coûts urbains.


Vous expliquez que le « durable » est devenu trop cher...

La deuxième génération de villes durables sera frugale par la force des choses... Le « durable » est devenu trop cher. Certaines villes sont en train de renoncer à leurs lignes de tramway, parce que les finances locales et les finances privées sont en berne. De même qu'elles vont s'asphyxier à produire du logement social... La plupart des villes ont lancé de grands programmes de constructions d'habitat social et de logements à coût intermédiaire. Ce n'est financièrement pas tenable. À Paris, vu le prix du mètre carré, il faudrait même faire du logement social pour les cadres... Il faut revoir l'organisation des villes, en tenant compte des périphéries. Cela ne sera pas simple car les réseaux de transport convergent vers le centre, notamment à Paris. Toutes les lignes du RER parisien se croisent aux Halles. Au contraire, Berlin, avec 4 millions d'habitants, est trois fois moins cher que Paris. Certes c'est une ville avec une histoire particulière, l'Est s'est vidé après la réunification, et les prix ont ainsi chuté. Mais c'est une ville tout à fait attractive, avec un aéroport international. Sa structure polycentrique, son réseau de transport circulaire lui ont été très profitables pour son développement.


Y a-t-il une échelle idéale pour une ville frugale ?

L'échelle de la métropole, idéalement à partir de 3, 4 millions d'habitants, me semble la bonne échelle. Disons qu'en France, un espace urbain à partir de 500 000 habitants peut commencer à réfléchir globalement. L'avenir de la France va passer par ces ensembles qui auront cette dimension... À cette taille, on est suffisamment fort pour discuter à l'échelle mondiale et encore assez petit pour conserver un lien avec les habitants. Aujourd'hui il y a un grand débat qui surgit chez les élus : a-t-on les moyens d'équiper en transports publics les petites communes ? Beaucoup d'élus ont fait des promesses... Beaucoup ont promis qu'il y aurait les mêmes services partout et pour tous : mais ce n'est pas tenable. Cela ne veut pas dire que les petites communes ne pourront pas être frugales, mais différemment. Elles ont d'autres cartes à jouer, notamment dans le déploiement des énergies propres.


Le projet de « densification verticale » est-il une solution pour les villes ?

Ce sont des projets excitants pour certains architectes... mais ce n'est pas une bonne piste. Quand on crée des tours, on renchérit la centralité, et on fait monter les prix. Une solution aux antipodes de la ville désirable. Cela génère des problèmes d'accès : davantage de voitures, des voiries saturées. Les gens sont à la recherche d'un minimum d'espace. 80 % des Français souhaitent vivre dans une maison individuelle. Les habitants de ces quartiers en surdensité souffrent d'un manque d'espace et n'ont qu'une hâte : quitter leur quartier pour la campagne... De plus, la densification à l'excès n'empêche jamais l'étalement urbain de continuer. Le meilleur compromis pour les villes est de convertir les pavillons en petits immeubles.


Que pensez-vous des labels « écoquartiers », « écocités », des « plans climat territoriaux » et du label « Cit'ergy » ?

Ce sont des bonnes démarches. On n'a de toute façon pas de conceptions claires de la ville de demain. Chaque système urbain local va s'inventer en fonction de sa culture. Les pays scandinaves ont une vision très partagée du développement durable avec les habitants, on est loin du compte en France. Je trouve surtout positif que les villes en France se frottent au problème et que l'État arrive en support. Mais qu'il n'édicte pas des normes trop hâtivement ! Et il l'a encore fait pour les écoquartiers... Je regrette que l'écoquartier en France soit construit pour des habitants non connus ! Je préfère de loin l'approche Vauban, dont l'idée est partie de la volonté d'un groupe d'habitants, et où on fait appel à des architectes locaux. Pour les « éco-cités », je constate que quasiment toutes les villes qui ont demandé le label, l'ont obtenu ! Je ne connais pas tous les projets d'éco-cités, mais celui de Nantes, élue capitale verte en 2013 paraît porter par une réelle dynamique. Le label « Cit'ergy » et les « Plans climats » consistent à mettre en place des indicateurs... Je suis très sceptique sur la fiabilité de ces indicateurs et systèmes de mesure. Il y a énormément de paramètres à prendre en compte, pour qu'ils puissent servir de réelle boussole.


Comment faut-il repenser le système urbain ?

Bordeaux, Rennes, Grenoble... sont des villes qui ont fait des efforts. Toulouse s'y est mise un peu plus tard. Mais les villes en France en sont toutes plus ou moins au même stade : elles sont en train de réaménager leur centre (en tâchant comme à Bordeaux d'en créer plusieurs). Elles ont reconquis de l'espace pour le vélo. Dans ce domaine, Strasbourg garde une petite longueur d'avance avec 10 % de la population qui circule en vélo. Elles doivent à présent mieux tenir compte de leurs périphéries dans leur plan d'aménagement. L'écueil a longtemps été de réhabiliter les centres anciens uniquement. Ce faisant, on leur donne de la valeur, et ils finissent par plus être accessibles aux classes moyennes. Les moins aisés se retrouvent éjectés en périphérie. Et on rallonge les déplacements... Les villes n'y arriveront pas seules : il faut une réflexion à l'échelle nationale. Il y aurait un système urbain à repenser à l'échelle hexagonale. Faut-il continuer à faire pousser Paris ? Comment doit-on organiser le réseau TGV pour mieux desservir telle ou telle ville ? La Datar ne joue plus aucun rôle significatif... Et quelques réformes sont absolument nécessaires, pour garantir une certaine logique de l'aménagement. Par exemple la gouvernance des permis de construire devrait incomber à la ville centre des intercommunalités.


Et si les systèmes urbains peu « frugaux » perduraient ?

À vrai dire, je crois à la « théorie des non-fumeurs qui imposent leur loi aux fumeurs ». Quand demain il y aura plus de 50 % de gens qui n'auront plus de voitures, ils prendront le pouvoir sur ceux qui sont motorisés, et les obligeront à ne plus polluer.