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Emprunts toxiques : des HLM en danger

Article du numéro 462 - 15 avril 2013

Finances

Depuis quelques années, les banques et les bailleurs sociaux ont entamé des négociations pour réaménager à l'amiable des prêts et swaps « structurés ». Les sommes exigées par les banques pour renégocier ont cependant conduit de nombreux organismes de logement social (OLS) à entamer des actions judiciaires. Objectif : obtenir l'annulation ou la résiliation des contrats, ainsi qu'une indemnisation des préjudices associés.

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Soulignons d'abord que le sujet n'est en rien inédit. Certes, les conflits entre les banques et les acteurs publics (collectivités, hôpitaux, OLS...) sont nombreux, qu'ils se déroulent ou non devant un tribunal. La nouveauté des thèmes est moins flagrante qu'il n'y paraît sur le plan juridique : certains arguments ont déjà été tranchés par les magistrats. Il existe ainsi une jurisprudence, à savoir des décisions de justice donnant une réponse homogène à une question juridique donnée.
Retenons donc, d'une part, que la Cour de cassation a rendu, à propos des contrats de prêt et de swap, des arrêts formant solution stable sur différentes questions juridiques soulevées dans les contentieux ouverts, qui permettent de se forger des certitudes sur l'état du droit ; mais que, d'autre part, certaines questions restent en suspens, faute d'avoir été tranchées par la Cour de cassation.


Les certitudes

- Le taux effectif global
Ce qui a été jugé pour des prêts consentis à des petits commerçants ou à des investisseurs aguerris vaut tout autant pour un organisme d'HLM. L'omission du TEG à l'acte constatant un prêt est sanctionnée par la nullité du taux convenu, auquel est substitué le taux d'intérêt légal pour toute la durée du prêt, depuis sa conclusion jusqu'à son terme (1). Le juge assimile l'erreur de TEG (voir l'encadré) à son omission, et la sanctionne donc dans les mêmes termes. Cette jurisprudence ancienne est constante (2).

- Le devoir de mise en garde en matière de produits spéculatifs
Les prêts et instruments financiers à terme revêtant une nature spéculative obligent les banques à mettre en garde les clients non avertis ou non professionnels à qui ces produits sont proposés. Cela n'a pas été tranché dans des affaires mettant en jeu des OLS, mais peu importe. Les juges français appliquent des règles de droit génériques dont l'utilisation n'est pas réservée à certains justiciables (3). La violation de l'obligation de mise en garde peut être sanctionnée par des dommages et intérêts, voire par la résiliation du contrat aux torts de la banque.

- La définition de l'opération spéculative
Les juges définissent très simplement l'opération spéculative comme celle faisant courir un risque illimité au client de la banque. Ainsi, la Cour a, par arrêt du 19 juin 2007, jugé non spéculatif un swap, au vu de sa particulière simplicité et du fait que les modalités de fonctionnement du swap permettaient au client de connaître ab initio le montant maximal d'intérêts susceptibles d'être payés sur la durée totale du contrat (4).
Cela étant, cette règle simple et compréhensible devrait évoluer car elle peut conduire à des solutions discutables. Ainsi, un swap dont le taux d'intérêt pourrait atteindre un montant très important, mais « capé », serait qualifié de non spéculatif, même si le cap est très élevé (certains caps sont fixés à des niveaux supérieurs à 15 %). Enfin, une opération non capée n'est pas nécessairement spéculative. Ainsi, le swap du livret A contre un taux de marché monétaire ou obligataire (par exemple Euribor 6 mois) semble relever d'une opération normale de gestion de la dette d'un OLS, même non capé. Or, à suivre l'arrêt précité, il s'agirait d'une opération spéculative.


Les réponses attendues

Deux questions sont particulièrement sensibles.
- La capacité de contracter des OLS
Il n'existe pas de jurisprudence propre au secteur HLM en matière de contrats « toxiques ». S'agissant des SA d'HLM, un jugement assez ancien du tribunal de commerce de Toulouse avait marqué les esprits en annulant une opération de swap jugée spéculative (5). Mais la décision, maladroite, est difficilement exploitable car elle ne dégage pas une position juridique précise et ne prend pas parti sur la capacité des organismes HLM à contracter des instruments financiers à terme.
S'agissant des offices publics de l'habitat, si aucune décision juridictionnelle n'a tranché sur leur capacité à conclure des emprunts structurés (6) et d'une façon plus générale, des instruments financiers à terme, en revanche, on sait qu'une circulaire du 29 janvier 2013 (7) a rappelé que « les offices publics de l'habitat ne peuvent légalement agir que dans le cadre des objets définis aux articles L.421-1 à L.421-4 du Code de la construction et de l'habitation. L'engagement des finances des offices dans des opérations de nature spéculative ne relève pas des compétences qui leur sont reconnues par la loi ». La circulaire conclut que seuls les produits de couverture sont ouverts aux OPH. On ne peut qu'approuver la position ainsi adoptée, pour au moins deux raisons. :
- la compétence des OPH est limitée (compétence d'attribution) par les articles L.421-1 et suivants du CCH, en vertu d'un principe dit de spécialité. Des opérations annexes peuvent certes être déployées, mais à la double condition d'être le complément normal de leur mission et d'être elles-mêmes d'intérêt général et utiles (avis du Conseil d'État du 7 juillet 1994 rendu à propos d'un établissement public industriel et commercial (8)). Or, les emprunts structurés et instruments financiers à terme à caractère spéculatif ne sont pas un complément normal des missions des OPH, ne relèvent pas de l'intérêt général et ne sont pas utiles ;
- la gestion financière des OPH est contrainte. La loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources (article 34 de la Constitution). Il en va de même des établissements publics. Le Conseil constitutionnel a décidé que des dispositions portant sur la détermination des ressources d'un établissement public de coopération intercommunale relèvent de la loi en raison de leur objet (9). Appliqués aux OPH, ces principes pourraient rendre compte de ce que l'article L.421-15 du CCH fixe seul la liste des ressources des OPH (10).
Dès lors, faute d'être mentionnés dans la liste des ressources dressée par l'article L.421 15 précité, les instruments financiers à terme (et donc les emprunts structurés) ne comptent pas au rang des ressources ouvertes à un OPH.

- La question du conflit d'intérêts du prestataire de service d'investissement
Par l'effet du Code monétaire et financier et du règlement général de l'AMF, la banque doit prévenir tout conflit d'intérêts avec ses clients (12). Cette obligation pourrait avoir des répercussions importantes sur la question des « emprunts toxiques ».
La Cour fédérale de justice allemande (13), a en effet condamné en mars 2011 la Deutsche Bank pour n'avoir pas exécuté ses obligations légales et contractuelles vis-à-vis de la société Ille Paper. Prise à la gorge par les effets désastreux d'un swap « snowball » (14), Ille Paper paya à la banque une « soulte » pour « sortir » du swap, puis agit en annulation du contrat et remboursement de la soulte. L'entreprise obtint gain de cause devant la Cour, au titre d'un manquement de la banque à ses obligations d'information et de conseil et de révélation à son client d'une situation de conflit d'intérêt. La solution, rendue au profit d'une entreprise privée, vaut tout autant pour un OLS.
Fondé notamment sur la directive MIF transposée (15), cet arrêt est susceptible d'inspirer le juge français :
- l'opacité des produits structurés justifie qu'incombe à la banque un devoir d'information, de conseil et de mise en garde renforcé, afin de pallier l'asymétrie de compétences entre elle et son client, qui n'est pas en mesure d'apprécier le risque réellement emporté par de tels contrats ;
- la valeur de marché à initiation du produit structuré trahit le conflit d'intérêt de la banque, qui doit révéler sa « marge cachée », plutôt que de laisser croire à son co-contractant que le coût initial de la transaction est nul.
Pour finir, on se doit de souligner le caractère international, à tout le moins européen, du débat. En Allemagne, on l'a dit, la Cour fédérale de justice, a condamné l'établissement Deutsche Bank au titre d'un swap de taux d'intérêt, au motif que la banque n'avait pas respecté ses obligations en matière de conflit d'intérêts. En Italie, le tribunal de Milan vient de condamner UBS, JP Morgan, Deutsche Bank et Depfa Bank pour avoir placé frauduleusement (16) des produits dérivés auprès de la ville de Milan. Faut-il rappeler que la législation britannique interdit depuis des lustres aux collectivités territoriales de s'engager dans les liens de telles conventions à caractère spéculatif ? Reste aux juges français à se positionner clairement sur la question.


Notes

1) Sur les conséquences de l'omission du TEG dans les télécopies constatant la formation des prêts « structurés », voir notre étude parue à l'AJDI en avril 2012 : « Omission du TEG dans la formation des « emprunts toxiques » », Bruno Wertenschlag, Olivier Poindron, Margaux Azoulay, Gilles Sébé et Charlotte Valette. Solution confirmée par le TGI de Nanterre le 8 février 2013, voir La Lettre du cadre n° 458 : « Le taux a bon dos », Bruno Wertenschlag et Olivier Poindron.
(2) « Le ver est dans le fruit », Bruno Wertenschlag, La Gazette des communes, 13 février 2013.
(3) Les prêts et swaps structurés sont des contrats de droit privé. Les banques sont donc soumises aux obligations prévues par le Code civil. En matière d'opérations spéculatives, le banquier doit informer son client des risques encourus en la matière, hors les cas où le client en aurait déjà connaissance (Cass. com., 5 novembre 1991, n° 89 18005 - Arrêt « Buon »).
(4) En jurisprudence, le caractère spéculatif d'un swap est donc pour l'instant défini sur la base de l'interprétation a contrario de cet arrêt (Cass. com., 19 juin 2007, n° 05-22037). Est ainsi spéculative l'opération ne permettant pas au client de la banque de connaître
la charge maximale d'intérêts qu'il devra supporter sur la durée du contrat.
(5) Trib. com. Toulouse, 27 mars 2008, Patrimoine Languedocienne c. CE Midi-Pyrénées et & Ixis CIB. Il avait été indiqué à la SA d'HLM que l'opération serait « gagnante à tous les coups ».
(6) Dont il faut rappeler qu'ils consistent en la combinaison d'un financement et d'un ou plusieurs instruments financiers à terme.
(7) Circulaire n° NOR ETLL1225918C du 29 janvier 2013.
(8) Les établissements publics sont dotés d'une compétence d'attribution dite « limitée » et régis par un principe de spécialité. Les frontières de cette limitation des compétences peuvent toutefois être franchies, si l'établissement public respecte certains critères décrits dans l'avis du Conseil d'État du 7 juillet 1994 (CE, 7 juillet 1994, n° 356089, Avis « Diversification des activités d'EDF/GDF » - http://www.rajf.org/spip.php?article1063).
(9) Cons. const. 12 mai 1964, Journal officiel du 31 mai 1964, Recueil, p. 37.
(10) Et ce, sans que l'emploi du terme « notamment » change quoi que ce soit au caractère impératif et fermé de la liste ; en ce sens, Benoît Plessix, Jurisclasseur administratif.
(11) Selon l'expression de MM. Brouant, Fatôme et Jégouzo dans une étude consacrée aux modalités de coopération entre organismes d'HLM menée pour la Fédération des offices publics de l'habitat. Ces auteurs très autorisés considèrent que, même si elles ne sont pas, à proprement parler, soumises au principe de spécialité, les SA d'HLM sont limitées par l'objet qui leur est fixé par le CCH, Le partenariat entre les organismes d'HLM et les opérateurs privés, sept. 2009, Gridauh - http://www.gridauh.fr/fileadmin/gridauh/MEDIA/2010/contrats_de_recherche/federation_oph/4aa91699795fc.pdf).
(12) Ainsi les articles L.533-10 3e du Code monétaire et financier, 313-18 du règlement général de l'AMF, 313-19 du règlement général de l'AMF.
(13) Voir La Lettre du cadre n° 429 : « Emprunts toxiques, la banque gagne toujours », Bruno Wertenschlag, Olivier Poindron, Elsa Sitruk et Stéphane Kourganoff.
(14) Dont le taux payé devait exploser en raison de l'aplatissement de la courbe des taux.
(15) Dans des termes quasi-identiques en droit allemand et en droit français.
(16) Délit de « truffa », article 640 du Code pénal italien. Voir La Lettre du cadre n° 459, « Emprunts toxiques : opérations mains propres », Bruno Wertenschlag et Olivier Poindron.


Qu'est-ce qu'un TEG erroné ?

Un TEG est « erroné » si les éléments communiqués ne sont pas conformes aux exigences des articles L.313-1 et R.313-1 du Code de la consommation. Le TEG est ainsi « erroné » s'il est mathématiquement inexact et/ou si les mentions s'y rapportant sont incomplètes, s'agissant en particulier du « taux de période » et de la « période » sur lesquels repose le calcul du TEG. Voir la synthèse parue à l'AJDI, en février 2013 : « La formation des prêts toxiques et la communication d'un TEG erroné », Bruno Wertenschlag & Olivier Poindron.


Le cas particulier des entreprises sociales pour l'habitat

Les instruments financiers à terme (et donc les emprunts structurés) ne comptent pas au rang des ressources ouvertes à un OPH. Cet argument ne peut pas être repris tel quel pour les entreprises sociales pour l'habitat car elles ne sont pas des établissements publics. La doctrine emploie à leur propos le concept de compétence limitée (11). Cette notion exprime une règle similaire de celle du principe de spécialité des OPH, et commande une interprétation stricte des compétences dévolues par la loi aux ESH. Elle fonde aussi l'interdiction du recours par les ESH aux instruments financiers à terme et aux emprunts structurés.