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« L'intérêt supérieur de l'enfant est une priorité absolue »

Article du numéro 461 - 01 avril 2013

Interview

En France, 22 ans après la ratification de la Convention internationale des Droits de l'enfant et 12 ans après l'adoption par l'Union européenne de la Charte européenne des droits fondamentaux, la situation de nombre d'entre eux est encore critique. « L'intérêt supérieur de l'enfant reconnu par ces textes doit constituer de toute urgence une priorité pour nos politiques », plaide Andrée Sfeir, présidente du Cofrade. Un cri d'alarme adressé à la France qui sera auditionnée par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU à Genève, en 2013.

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Andrée Sfeir

est déléguée générale de l'association Éveil qu'elle a fondée en 1993 et dont l'objet est l'éveil à la citoyenneté des jeunes. Depuis 2010, elle préside le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant (Cofrade) qui veille à l'application par la France de la Convention internationale des Droits de l'enfant (www.cofrade.fr).


Présentez-nous le Cofrade. Quelle est sa fonction ?

Le Conseil français des associations pour les droits de l'enfant - association loi 1901 - regroupe une cinquantaine d'organisations qui agissent toutes dans un ou plusieurs champs couverts par la Convention internationale des Droits de l'enfant (CIDE). Cette convention a été adoptée en 1989 par l'ONU et ratifiée par 193 États, dont la France en 1990. Elle proclame les droits fondamentaux des enfants : droits à une famille, à l'éducation, à la santé, à la protection, à la justice, et aussi leurs droits à s'exprimer et à participer à la vie de la société. Notre rôle est de veiller à son application en France. Nous remettons périodiquement un rapport au Comité des droits de l'enfant de l'ONU à Genève (il vient en « contrepoint » du rapport officiel des autorités françaises - NDLR).


L'édition 2012 du rapport du Cofrade estime que la CIDE est oubliée des pouvoirs publics et inconnue du grand public. Qu'en est-il ?

Déjà en 2009, nous avions pointé l'inaction de la France à promouvoir la CIDE. La ratification emporte pourtant l'obligation de veiller à ce que les droits des enfants soient connus et compris des adultes comme des enfants partout sur le territoire. La situation est inchangée depuis. L'État comme les collectivités locales n'ont pas mené d'actions effectives de promotion. Selon un rapport de l'Unicef, 68 % de la population n'a jamais entendu parler de la CIDE, et parmi les 32 % qui connaissent son existence, on compte seulement 10 % de jeunes. Ce n'est guère mieux parmi les parlementaires, dont une minorité seulement classe les droits de l'enfant au rang de priorité.


Vous alertez sur la précarisation de la situation des enfants en France. Quelles sont vos observations ?

Le nombre d'enfants vivant sous le seuil de pauvreté (950 € par mois - NDLR) augmente. 2,65 millions d'enfants sont dans cette situation. Les effets de la crise économique sont aggravés par les mesures qui, ces dernières années, ont fortement porté atteinte aux services publics. La dégradation du système de santé par exemple, a pour corollaire l'augmentation de maux qui affectent directement les enfants. En France, 4,5 % des enfants sont en surpoids et 3,5 % sont obèses ; la toxicomanie chez les jeunes - alcool, drogues - montre une hausse inquiétante ; le suicide représente la 2e cause de mortalité chez les 15/24 ans... Ces questions de santé publique sont insuffisamment prises en compte par les institutions, notamment du fait d'un manque de personnels médicaux et sociaux en mesure de déceler les troubles et mal-être en amont, de prévenir les risques et de proposer une prise en charge spécifique.


En matière scolaire également, nous ne répondrions pas aux critères de la CIDE ?

Le Comité de Genève a recommandé à l'État d'accroître ses efforts pour réduire les effets de l'origine sociale des enfants sur leurs résultats scolaires et de faire baisser les taux d'abandon. Le droit à l'éducation est en effet malmené. En France, tous les enfants n'ont pas accès à l'école : plus de 5 % des jeunes handicapés de moins de 16 ans restent non scolarisés et 13 % ne sont scolarisés qu'à temps partiel en primaire et 4 % au collège. En outre, les enfants issus de minorités, en particulier roms, rencontrent de graves difficultés de scolarisation. Par ailleurs, le système scolaire demeure inégalitaire. Plus de 120 000 jeunes en sortent chaque année sans diplôme ni qualification, avec un pronostic de non-emploi supérieur à 56 %. L'absentéisme scolaire, l'absence de pédagogie réellement personnalisée, le défaut de prise en charge précoce des difficultés scolaires, l'inadaptation du système d'orientation et le manque de considération pour l'enseignement professionnel... sont autant de facteurs sur lesquels nous devons agir.


Vous dénoncez la surexposition des enfants aux images et l'exploitation de leur image. Que voulez-vous dire ?

La CIDE proclame le droit à la protection des enfants. Cela s'entend de leur intégrité physique, mais également de ce qui relève de « la fabrique des esprits ». Or, on ne peut ignorer que les enfants sont exposés aux images de violence et de pornographie présentées sur les écrans - de la télévision et d'Internet - à toute heure de la journée. Il en résulte que les enfants sont de plus en plus souvent auteurs et victimes de violences. La délinquance se durcit et touche des enfants de plus en plus jeunes. Par ailleurs, les enfants font l'objet d'une utilisation de leur image contraire à leur dignité et à leur intérêt avec une utilisation grandissante de représentations hypersexualisées de leur image dans les médias.


Quel regard portez-vous sur la prise en charge et le placement des enfants par les départements ?

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance avait pour objectif la prise en compte effective de l'intérêt de l'enfant et de sa famille lors des mesures de placement. Dans les faits, nous notons un morcellement des situations - l'enfant est pris en charge dans un établissement, un foyer ou une famille d'accueil et ce sont les services de l'ASE qui travaillent avec la famille de cet enfant - qui ne facilite pas une sortie rapide de placement. Nous notons également une augmentation des suspensions de droit de visite et d'hébergement de l'enfant chez ses parents. Aussi, au fil des lois, les familles en difficulté acquièrent des droits pour mieux appréhender l'exercice de la parentalité mais, dans la réalité, le placement de l'enfant devient synonyme d'un accompagnement des enfants et des parents sur des voies parallèles qui se rejoignent difficilement.


Le Cofrade préconise la création d'une mission interministérielle Enfance. Quel serait son rôle ?

Cette mission interministérielle, dans laquelle siégeraient les associations de défense des droits de l'enfant, serait un lieu d'impulsion, de promotion et d'évaluation des politiques de l'enfance. Elle devrait réaliser un état des lieux des droits de l'enfant dans les lois existantes ; mettre en œuvre les préconisations du rapport du Comité de 2009 ; évaluer les résultats des politiques en faveur de l'enfance ; veiller au respect, dans les futures lois de l'intérêt supérieur de l'enfant. Nous avons soumis cette proposition aux candidats à la présidentielle 2012. François Hollande nous a écrit qu'il la jugeait « intéressante, car toutes les politiques publiques sont concernées ». On nous a fait savoir depuis que cette proposition n'était pas retenue...


L'enfance en danger en chiffres

- Plus de 2 millions d'enfants vivent en dessous du seuil de pauvreté.
- 75 000 enfants sont victimes de mauvais traitements chaque année.
- Près de 2 enfants meurent chaque jour suite à des privations et des sévices infligés par leurs proches.
- 1 enfant sur 10 est victime de violences sexuelles.
- Entre 4 000 et 6 000 mineurs seraient victimes de prostitution.
- Plus de 120 000 jeunes abandonnent, chaque année, leur scolarité sans diplôme ni qualification.
- 3,8 % des décès chez les 5-14 ans sont dus à des suicides.
- 40 000 tentatives et 550 suicides ont lieu chaque année chez les jeunes de moins de 24 ans.
(source : Rapport du Cofrade - 2012)


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