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2014, chant du cygne communal ?

Article du numéro 461 - 01 avril 2013

Décentralisation

Ces vingt dernières années sont celles de la montée en puissance de l'intercommunalité. Lois et diverses nécessités financières et techniques y ont contribué. Mais la commune, qui n'est pas, encore, morte passerat-elle le cap de 2014 ?

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Si tu ne vas pas à l'intercommunalité, c'est l'intercommunalité qui ira à toi... Encore nain politique il y a une vingtaine d'années, le phénomène intercommunal s'installe durablement et pèse de plus en plus lourd dans le paysage institutionnel français. L'effet cliquet, ce phénomène qui empêche un retour en arrière durable d'une situation, est en route et il n'est pas près de s'achever. Les cliquets sont en effet nombreux pour parachever la rationalisation de la carte communale...


L'intercommunalité au-delà de nos espérances

Les lois concernant les fusions de communes n'ont jamais eu le succès escompté (de 38 014 communes en 1936 à 36 568 en 2004), la République des députés et sénateurs maires n'ayant jamais permis soit de rendre obligatoire ces fusions par la loi, soit de sanctionner l'inapplication de la loi (nous reviendrons sur le non-cumul des mandats comme cliquet possible pour parachever la cure d'amaigrissement du nombre des communes...). Mais depuis une vingtaine d'années, c'est par une stratégie latérale et non frontale que le grand chantier est mené. Avec un succès qui va au-delà des espérances et des intentions initiales. Plusieurs facteurs sont à l'œuvre, d'autres manquent encore à l'appel, mais le fait est là, 2014 pourrait constituer le chant du cygne de la commune telle que nous la connaissons depuis deux siècles. Les beaux discours ne pourront rien y faire, la tendance de fond est bien ancrée...
La loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale du 12 juillet 1999, connue sous le nom de « loi Chevènement » a bien entendu totalement transformé le paysage institutionnel territorial en offrant, dans un cadre de coopération à la fois simple mais intégrateur, une nouvelle façon de réaliser les politiques locales. Avec une arme constituée sous la forme d'une carotte financière, cette loi a réussi là où la loi du 6 février 1992 n'avait fait qu'amorcer très (trop) modestement la tendance. La carotte, ce fut la DGF bonifiée, sur fond de réforme de la taxe professionnelle (déjà) qui, en enlevant la part salaire, rendait cet impôt bien moins sexy qu'avant : on pouvait bien s'en séparer et le législateur, avec la DSC avait même prévu de quoi se la reverser le cas échéant. Cette carotte de la DGF bonifiée a enclenché un mouvement de couverture du territoire sans précédent, avec deux nouveaux statuts phares, les communautés de communes et les communautés d'agglomération. Les EPCI à fiscalité propre se sont développés, le partage de la richesse fiscale des entreprises, et notamment l'utilisation du levier taux, étant dépolitisée, la déconnection entre contribuables et électeurs étant opérée, et un mode de désignation indirecte par les conseils faisant écran, la coopération a progressé avec un succès qui a pesé lourd sur la progression des dotations de l'État aux collectivités. Ajoutons à cela la souplesse de la définition de l'intérêt communautaire qui laisse une latitude importante aux décideurs locaux pour se familiariser avec un nouvel outil institutionnel et le CIF (coefficient d'intégration fiscale) véritable booster d'intégration par un effet carotte de deuxième niveau, les ingrédients étaient réunis pour réussir. Dans les têtes des élus, la nécessité de travailler ensemble, sans être enthousiasmante, était inéluctable : la compétition du développement se joue à l'échelle de bassins plus large que le territoire communal pour ne pas péricliter dans une concurrence stérile entre voisins.


Chacun sa piscine

La DSC, le mode de représentation des communes, le mode de prise de décision, tout a milité pour faire de l'intercommunalité un cadre efficace de réalisation des politiques publiques. En parallèle, des instruments plus ou moins coercitifs sont apparus pour faire travailler les communes entre elles : les SCOT en sont un, obligeant à s'interroger sur une échelle plus large à un développement partagé sous peine de voir sa capacité de décider réduite à néant en rendant inopérant à terme les outils de planification tel que le PLU...
De même, la complexité, et le coût financier exorbitant, de certaines nouvelles normes a renforcé un peu plus les nécessités de coopération technique, que ce soient en matière d'enlèvement et de traitement des déchets, d'eau, d'assainissement, sur des échelles importantes. Si les années 70, 80 et 90 furent celles de chacun sa piscine et sa médiathèque, les années 2000 ont constitué les prémisses d'une rationalisation et d'un partage des compétences et des équipements au niveau pertinent. Le mouvement n'a pas été uniforme, loin s'en faut. La couverture du territoire a même été laborieuse dans certaines régions et a nécessité un coup de bâton législatif. Si la loi du 13 août 2004 restait encore du domaine de l'interventionnisme soft de l'État pour renforcer l'intercommunalité, la loi du 16 décembre 2010 est d'une nature bien différente : elle donne des instruments juridiques pour favoriser la mutualisation en « légalisant » la notion de services communs et sortir ainsi quelque peu des limites du principe de spécialité. Elle sort la grosse artillerie avec l'obligation faite aux communes (hormis la petite couronne parisienne qui voit son régime aménagé avec le devenir des discussions sur le grand Paris) d'intégrer un EPCI. Les préfets prennent la main dans le cadre des SDCI et le grand jeu de poker menteur a pu se réaliser. Plutôt que de se faire imposer une décision, nombre de communes ont pris les devants en ressortant des cartons des projets de création ou d'intégration d'intercommunalité qu'elles avaient rechigné à réaliser. La mécanique, implacable, est visible : à peu de chose près, le territoire est entièrement couvert. Si les compétences sont diverses et variées et font qu'aucune intercommunalité ne ressemble à une autre, le cadre institutionnel existe... Et c'est ce qui compte si demain, gouvernement et législateurs avaient l'envie de donner une certaine uniformité à ce cadre...


Le poids de la contrainte financière

Mais le maniement de la carotte ne fait pas tout... La contrainte financière constitue, et constituera encore plus sûrement dans les années à venir, un accélérateur de cette lame de fond qui voit le cadre communal se vider de sa consistance au profit de l'échelon intercommunal...
Il est toujours plus facile de partager l'argent qu'on n'a plus et en matière d'intercommunalité autant qu'ailleurs. La pénurie relative d'argent public va accélérer les transferts de compétence, et les cabinets de conseil vont sans aucun doute connaître des années 2014 et 2015 fastes. Se refusant jusqu'alors à transférer des compétences « visibles » qui touchent au rapport direct à l'électeur, des communes, devant l'équation financière complexe à résoudre pour continuer à porter des services publics gourmands en moyens et à tendance inflationniste vont être tentées de les transférer aux intercommunalités : le levier fiscal y existe pour les financer et après tout, avant la TPU, l'impôt économique finançait déjà ces compétences de service à la population. La mutualisation des services, les plateformes de services partagées vont également permettre de réaliser les économies en se dotant des compétences que l'État n'offre plus aux communes, notamment les plus petites.
Mais c'est un pacte faustien qui apparaîtra dans les pactes financiers et fiscaux. L'effet cliquet fera son œuvre : le poids toujours plus important des EPCI, leur visibilité accrue posera la question de l'existence de deux légitimités sur le territoire... et tout simplement de l'utilité des communes si ce n'est comme entremetteur de proximité, sorte de conseil de quartier ou d'arrondissement.
Au final, se pose la question de la légitimité institutionnelle du modèle intercommunal. Le mode de désignation indirecte avec le fait qu'aucune commune ne saurait détenir plus de 50 % des sièges pose un problème de fond : est-ce une démocratie territoriale ou une démocratie populaire qui se fait jour dans les territoires. Avec l'extension des compétences et le nouveau panier fiscal, le modèle ne pourra pas tenir longtemps : faire voter les électeurs pour des compétences communales qui sont réduites à peau de chagrin en faisant des intercommunalités des salons de discussion consensuelle et technique, c'est prendre le risque de creuser un peu plus le fossé entre le politique et le contribuable... l'acte 4 de la décentralisation viendra peut-être plus vite que prévu...


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Le poids du cumul

Avant la disparition quasi-programmée des communes, il coulera encore un peu d'eau sous les ponts : la classe politique n'y est pas forcément prête encore...
La figure de l'élu cumulard dans le monde politique français est un phénomène et le cumul a emporté une conséquence fâcheuse, l'incapacité à réformer l'échelon local, sauf à ajouter une couche de plus. Un député-maire n'avait aucun intérêt à accepter la fusion des communes, à réduire le nombre de mandats disponibles. Mieux, avec l'empilement, la figure du député ou sénateur maire président d'EPCI était née.
Il paraît évident que la fin du cumul des mandats pourrait accélérer le processus en cours en faisant sauter le dernier verrou qui permettrait à l'effet cliquet de l'intercommunalité d'achever sa grande œuvre.