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CAP : parité faussée, décision annulée

Article du numéro 457 - 01 février 2013

Cahier RH - Actus statutaires

Les CAP sont un acteur essentiel du dialogue social dans la FPT, compte tenu de leur composition représentative et de leurs règles de fonctionnement. Mais encore faut-il que les règles régissant la composition et le fonctionnement ne soient pas faussées. C'est ce qu'a récemment rappelé le TA de Bordeaux.

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Le tribunal administratif de Bordeaux a jugé une affaire qui soulevait de nombreuses questions concernant à la fois le statut des CAP (traité dans la première partie de cet article qui en compte deux) et la protection des agents publics par la juridiction administrative (que nous traiterons dans La Lettre du cadre du 15 février 2012). Alors qu'en application de la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et du décret d'application n° 2011-2010 du 27 décembre 2011 les comités techniques ne sont plus nécessairement paritaires, le présent jugement réaffirme le paritarisme des CAP.
Le TA de Bordeaux a rendu le 2 mai 2012 une intéressante décision dans une affaire opposant un agent public de la ville de Mérignac à cette dernière, dans laquelle il rappelle que le directeur général des services et le directeur des ressources humaines ne peuvent, sans irrégularité substantielle entachant la composition et le fonctionnement des CAP être présents et intervenir dans les délibérations et assister au délibéré (dossier n° 1003158-5).


Questions sur un déroulement de carrière

Le tribunal a été saisi d'un recours pour excès de pouvoir formé contre la liste d'aptitude au grade d'attaché territorial pour l'année 2010 établie le 25 juin 2010 par le maire de la commune de Mérignac, par un agent de cette collectivité qui s'estimait injustement méprisé à un double titre. Cette personne, aux compétences reconnues et qui avait créé avec succès le premier service informatique de la ville, a fait l'objet de neuf refus de promotion successifs au grade d'attaché, alors qu'elle avait été lauréate du concours d'attaché territorial en 2001, sans jamais avoir été nommée ni invitée à postuler dans une autre collectivité. De surcroît, au cours des deux CAP réunies en 2009 et 2010, le DRH avait tenu à son encontre des propos blessants, non circonstanciés, à la limite de l'activité professionnelle et de la vie privée, sans que le directeur général des services, ni le premier adjoint qui présidait la commission n'aient réagi ni démenti (le DRH avait affirmé qu'elle était incompétente et que des « éléments factuels » (sic), non précisés, s'opposaient à toute promotion). Aussi cet agent a-t-il demandé à la juridiction administrative l'annulation de la liste d'aptitude établie par le maire, qui retenait une candidate qui n'avait jamais été lauréate du concours, et qui excluait la requérante au moins pour la dixième fois.
En matière de promotion interne, la procédure prévue par l'article 39 de la loi sur la fonction publique territoriale implique, comme on le sait, l'inscription sur la liste d'aptitude après avis de la CAP, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l'expérience professionnelle des agents. La requérante n'a pas invoqué, à l'appui de son recours formé contre la liste d'aptitude, le caractère volontairement équivoque des « éléments factuels » (que visaient-ils exactement ?), a priori non rattachables à la valeur ou à l'expérience professionnelle, mais elle s'est fondée sur la composition irrégulière de la commission. En effet, le DRH qui, en son absence, la traitait d'incompétente et portait atteinte à sa dignité, offrait-il lui-même des garanties de compétence dans l'organisation des travaux de la commission administrative paritaire ?


obligation légale et jurisprudentielle de parité

Par-delà les questions de déontologie administrative, peut-on considérer que la présence du DGS et du DRH notamment, est utile, voire indispensable à l'examen des questions soumises à la CAP alors que la loi ne leur confère pas la qualité de membre de cette commission ? Corrélativement, n'est-ce pas amoindrir le rôle des représentants titulaires et suppléants du personnel si, en sus des représentants en nombre égal de la collectivité, le DGS, le DRH et le chef du service carrières viennent inspirer les travaux et influencer les avis donnés par la commission, qui n'a plus alors de paritaire que le nom ?
Le cas pratique est exemplaire, dans la mesure où la nature du propos tenu par le DRH résultait d'une animosité personnelle réitérée et non pas d'un impératif technique. Si en pratique, dans de nombreuses collectivités territoriales, le DGS et le DRH siègent de droit dans les commissions administratives paritaires, appartient-il à la collectivité de juger la loi mal faite, et de s'en écarter systématiquement, établissant ainsi leur propre légalité coutumière dérogatoire ? Il n'est pas certain toutefois que la loi qui impose une stricte parité soit mal pensée, dans la mesure où elle prévoit, sous certaines conditions, la participation régulière du DGS aux travaux des commissions administratives paritaires.
Sur le plan de la recevabilité du recours contentieux, n'était soulevée aucune objection sérieuse, dans la mesure où une liste d'aptitude publiée présente, au même titre qu'un tableau d'avancement ou les délibérations d'un jury de concours, le caractère d'une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir (1).
Dans cette affaire, le tribunal administratif de Bordeaux adopte une lecture littérale de la loi imposant un strict respect du caractère paritaire des CAP.
Il est des évidences qui peinent à s'imposer dans la pratique, et tel est le cas pour la composition des CAP. Comme leur nom l'indique, « les commissions administratives paritaires comprennent en nombre égal des représentants des collectivités territoriales ou établissements publics et des représentants du personnel » (2). Le même article ajoute qu'« elles ont des membres titulaires et un nombre égal de membres suppléants ».

Les trois « autres participants »
Le texte est très clair concernant le nombre et la qualité des participants à la CAP. Au cas particulier de la ville de Mérignac, comme dans bien d'autres collectivités, il est de tradition que les CAP comprennent, outre les membres titulaires et suppléants désignés conformément aux articles 2 et s. du décret du 17 avril 1989 modifié, trois autres personnes, appelées « autres participants » ou « personnalités qualifiées », membres de droit, à savoir le directeur général des services, le directeur des ressources humaines et le chef des services carrière.
Dans son jugement du 2 mai 2012, le TA juge que « leur présence au sein de la commission, dont ils ne sont pas membres, a entaché d'une irrégularité substantielle la composition de ladite commission ». Le tribunal relève que ces trois personnes ne peuvent revendiquer la qualité d'expert, susceptible d'être convoqué par le président à la demande des représentants des collectivités ou établissements ou à celle des représentants du personnel, dans les conditions prévues à l'article 29 du décret précité.
En effet, le statut de l'expert convoqué à une CAP obéit à des règles précises. Son intervention doit être demandée par les représentants de la collectivité ou du personnel. Il ne peut être entendu que sur un point précis de l'ordre du jour et ne peut assister qu'à la partie des débats, à l'exclusion du vote, relative aux questions pour lesquelles sa présence a été demandée. Or au cas particulier, les trois responsables qui s'estimaient membres de droit de la commission avaient assisté à tous les points de l'ordre du jour et n'étaient pas sortis au délibéré.
Cette solution complète une jurisprudence récente du Conseil d'État rendue le 10 février 2010 à propos de la commune de Melun. Il résulte de cette décision, rendue sur un recours pour excès de pouvoir formé par le syndicat Interco CFDT de Seine-et-Marne contre le règlement intérieur des CAP de la commune, que le président de ces commissions ne pouvait conférer au DGS la qualité d'expert permanent pour toutes les questions à l'ordre du jour (3).


Une présence influente

Le jugement du TA apporte une précision supplémentaire et importante, concernant la présence des trois personnes étrangères dans les réunions des CAP.
En effet, leur présence ne suffit pas à elle seule à entacher d'une irrégularité substantielle les travaux de la commission. Il faut encore que leur présence et leurs interventions aient influé sur le sens des propositions formulées par la commission. C'était le cas en l'espèce, puisque le directeur des ressources humaines, censé être un spécialiste du fonctionnement des organismes paritaires de la fonction publique territoriale, avait abruptement dénigré la requérante alors qu'il n'était pas son supérieur hiérarchique direct, sans s'expliquer précisément devant les représentants du personnel interloqués, ni par la suite, lorsque la requérante a demandé par écrit des éclaircissements.
Même si la solution est favorable pour la requérante, cette exigence jurisprudentielle est regrettable. En effet, elle revient à tolérer une légalité assouplie, approximative, dans la composition des commissions, attitude conciliante qui affaiblit en réalité le respect dû aux textes. L'évolution de notre droit a conduit d'ailleurs le juge à considérer que certaines irrégularités ne sont pas substantielles, selon lui, alors qu'elles peuvent paraître graves. C'est cette conception peu formaliste de la légalité que valide la jurisprudence Commune de Béziers en matière contractuelle (4). De surcroît, l'objectivité et la sécurité juridique n'y trouvent pas leur compte. En effet, la censure d'une illégalité dépend de l'appréciation, nécessairement subjective, de l'effet supposé déterminant ou non de l'illégalité sur le sens de l'avis qui en a résulté.
En réalité, il serait plus simple et plus juste de considérer que la seule présence du DGS, supérieur hiérarchique de l'ensemble des membres titulaires et suppléants de la commission - excepté évidemment son président qui est un élu - vicie ipso facto le déroulement de ses travaux. Un simple regard de sa part fait savoir à tous les membres ce qu'il attend d'eux. Elle nuit à la sérénité des travaux de la commission et à la libre discussion sur les questions abordées. Qui plus est, et même si le tribunal ne l'a pas relevé, la présence de trois personnes défendant les mêmes intérêts de la collectivité, devrait faire présumer l'irrégularité substantielle. En définitive, si l'irrégularité entachant la composition de la commission n'est pas une cause invariable d'annulation de la décision prise ultérieurement par l'autorité territoriale, il y a une très forte probabilité d'annulation de la décision qui en a résulté. En prenant en compte l'influence de l'irrégularité, la juridiction administrative a entendu introduire une certaine souplesse dans l'appréciation. Cette jurisprudence nuancée s'applique à tous les organismes consultatifs irrégulièrement composés (5).


Notes

(1) CE 14 mai 1997 Chougny n° 176427 Rec. T. p. 916.
(2) Article 1er du décret n° 89-229 du 17 avril 1989 modifié, relatif aux CAP des collectivités territoriales et de leurs établissements publics.
(3) CE 10 février 2011 n° 314648 AJFP juillet-août 2010 p. 181, AJDA 2010 p. 296 ; confirmant l'arrêt de la CAA Paris du 29 janvier 2008 n°05PA03278 AJDA 18/2008 p. 1015.
(4) CE, Ass. 28 décembre 2009, AJDA 2010 p. 142.
(5) CE 7 novembre 1984 Soc. Affichage Giraudy DA 1984 n°539 ; CE 24 juillet 2009 Fédération des syndicats SUD des activités postales et de télécommunications n° 310476 AJDA 41/2009 p.2311.


Le DGS a sa place dans les cap

Contrairement à ce qui est parfois affirmé, le DGS n'est pas nécessairement exclu des consultations des CAP.
L'alinéa 3 de l'article 29 du titre III du statut général de la fonction publique prévoit que le président de la commission peut désigner le DGS ou son représentant pour l'assister lors de la réunion des commissions administratives paritaires.
Cependant, en l'absence de précision jurisprudentielle sur ce point, cette assistance ne confère pas au directeur général des services la qualité de membre de la commission. Assister n'est pas participer, et encore moins délibérer.


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