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Le Havre paie la facture de l'illusion

Article du numéro 456 - 15 janvier 2013

Logement

L'idée, après tout, était bonne : créer les conditions pour proposer des maisons à 100 000 euros aux familles modestes, dans l'emballement de donner consistance à une France des propriétaires. Mais les spécialistes de la construction le savent : construire « pauvre » mène généralement au fiasco. C'est le cas au Havre, où la municipalité vient au secours d'acquéreurs en plein désarroi.

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L'économiste Alain Lipietz, dans son dernier opus (Green deal, éditions La Découverte), l'affirme : « En matière d'habitat, on ne peut pas construire « pauvre ». Les nouvelles réglementations dans ce domaine, découlant du Grenelle de l'environnement, imposent des normes qui pèsent certes sur le coût de la construction. Mais c'est le prix à payer pour éviter des maisons passoires qui ne tiennent pas face à l'épreuve du temps ». Jean-Louis Borloo, ancien ministre de la Cohésion sociale, a fait le pari inverse. L'intention était bonne : construire des maisons à 100 000 euros pour apporter une réponse concrète et rapide à la crise du logement. Certains, et nous en fûmes, ici à La Lettre du cadre, exprimèrent tout de suite quelques doutes, redoutant plus l'effet d'annonce que la bonne solution. Les sceptiques avaient malheureusement raison.


Au Havre, la Ville se substitue au promoteur

Les habitants du Havre l'ont éprouvé amèrement. Ils ont eu la chance de pouvoir compter sur une municipalité compréhensible, dirigée par Édouard Philippe (UMP). La ville a en effet décidé d'assumer la défaillance d'un promoteur d'un lotissement de maisons Borloo à 100 000 euros. Filiale des Nouveaux ateliers urbains, sis dans le Val-de-Marne, la société LH 53 a en effet été placée en redressement judiciaire au début de l'année 2011 avant d'être liquidée en mai dernier, laissant ainsi ses chantiers à l'abandon et plusieurs futurs propriétaires sans recours. Au Havre, on compte treize maisons dont la construction, commencée à l'été 2010, était en cours dans le quartier des grands ensembles de Caucriauville. La ville n'attend plus que le feu vert du tribunal de commerce pour racheter pour un euro symbolique les maisons au liquidateur de l'entreprise. Le chantier consistera à les démolir avant de les reconstruire selon les plans initiaux. Une maigre consolation pour les acquéreurs qui auront à verser la différence entre le prix initial et les sommes déjà versées au promoteur. « Au lieu de finaliser la vente avec le promoteur, ils passeront par la ville », assure Agathe Cahierre, adjointe au maire en charge du dossier de la politique de la ville. Pour l'heure, la ville a consenti un effort financier de un million d'euros mais entend bien se retourner en justice contre la maison mère de LH 53 pour récupérer ses billes.


100 000 euros ? Plutôt 150 000 !

Le cas havrais est particulièrement épineux puisque la formule des maisons à 100 000 euros a séduit de nombreuses personnes. Mais le promoteur aujourd'hui liquidé a multiplié malfaçons ou retards de livraison. Comme d'autres Français désireux d'acquérir leur maison, les maisons à 100 000 euros lancées en 2005 étaient destinées aux familles modestes. Le dispositif reposait sur des prêts à taux zéro, des mensualités proches de celles d'un loyer en logement social et un coup de pouce financier des collectivités. Agathe Cahierre ne veut pas noircir le tableau, assurant que la majorité des programmes similaires engagés au Havre n'ont posé aucun problème, même si l'objectif de prix de 100 000 euros n'a jamais été atteint et que la fourchette des prix oscille plutôt entre 140 000 ou 150 000 euros. « Malgré des aides au foncier mais avec les coûts de construction d'aujourd'hui, on ne pouvait pas s'en sortir avec un prix aussi bas », assure l'adjointe.


Boutin fait pire que Borloo

Très vite, le dispositif a pris le chemin du fiasco. Cinq ans après son lancement, les services de l'État reconnaissaient son échec : seules 800 maisons sont sorties de terre - contre 30 000 annoncées par le ministre au moment de la création du dispositif - et pour des prix situés entre 130 000 et 150 000 euros. Encouragée par le discours présidentiel sur la France des propriétaires, Christine Boutin, qui reprit le portefeuille du Logement au sein du gouvernement Fillon (2007-2009), propulsa à son tour la maison à « 15 euros » par jour. Le flop en fut encore plus retentissant : son successeur Benoist Apparu reconnaissant dans une interview à Capital en 2009 qu'une dizaine seulement était sortie de terre. L'économiste Emmanuel Combe, auteur de Le Low cost (La découverte 2001), assure que l'immobilier n'est pas un secteur où la pratique de bas prix est envisageable. « Avec la crise, les consommateurs ont divisé leur mode de consommation en deux univers, explique-t-il. Les commodités dans lesquelles ils ne mettent pas d'affect et pour lesquelles ils ne veulent pas payer cher, et les biens « affectifs » comme le logement pour lequel ils ne veulent pas d'un espace standardisé. D'autant que quand vous achetez un bien immobilier low cost, se pose la question de la revente. Quelle sera alors la valeur d'un bien acheté low cost ? ». Par ailleurs, le prix du foncier, que les collectivités ont tant de mal à réguler, rend ce type d'opération particulièrement difficile. Cécile Duflot, ministre du Logement, tout en veillant à faciliter l'accession sociale à la propriété, n'est pas tombée dans le piège du dispositif, séduisant dans la forme, et inapplicable dans la réalité.


Quand Sarkozy voulait 70 % de propriétaires

Ce fut l'un des grands thèmes de campagne du candidat Sarkozy en 2007. Il plaidait pour une France « où chacun pourra accéder à la propriété de son logement ». Une volonté largement partagée par les Français puisque 90 % d'entre eux souhaitent en effet posséder leur maison (sondage Opinionway). Il visait 70 % de propriétaires en 2012 ; ils ne sont aujourd'hui encore que 58 %. Pour atteindre l'objectif présidentiel, il eut fallu que dans ce laps de temps, 3,5 millions de Français puissent faire le choix de la propriété en cinq ans, alors que la croissance moyenne se situe dans ce domaine entre 0,2 et 0,3 %. Les familles aux revenus modestes restent toujours aux portes de l'accession à la propriété. En 2011, la Fondation Abbé Pierre avait alerté sur le risque de faire de l'accession à la propriété « la pierre angulaire de la politique du logement », surtout en période de crise. « Elle risque d'accroître les inégalités et de renforcer les difficultés d'accès au logement des plus modestes. Devenir propriétaire exige un effort financier considérable, que les ménages sont plus ou moins en mesure de supporter », assénait la fondation dans son rapport annuel. Il est vrai que les prix de l'immobilier avaient doublé de 2000 à 2008, « quand les revenus ne progressaient que de 25 % ».
En 2007, une fois élu, Sarkozy avait ressorti un dispositif abandonné depuis dix ans : la possibilité de déduire du montant de ses revenus les intérêts payés sur un emprunt immobilier. La mesure était en vigueur en 1990 et avait été supprimée par le gouvernement Juppé, malgré les efforts du député Sarkozy pour la sauvegarder. La loi TEPA remit au goût du jour le principe de la déductibilité. Sans effet réel sur le nombre de propriétaires. Outre le fait que les banques ne prenaient pas en compte cette possible déduction dans le calcul de l'octroi d'un crédit, la mesure coûtait de plus en plus cher à un État sommé de trouver des sources d'économies.
En 2008, le manque à gagner fiscal pour l'État s'élève à 249 millions d'euros. Cette somme passe à 1,3 milliard d'euros en 2009 pour atteindre 2,8 milliards d'euros en 2010. Bercy finit par avoir le dernier mot et le crédit d'impôts est enterré à l'été 2010.


À lire
Sur www.lettreducadre.fr, rubrique "au sommaire du dernier numéro" :
Cécile Duflot, chef de chantiers, La Lettre du cadre n° 453, 15 novembre 2012.