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Article du numéro 452 - 01 novembre 2012
Le chacun pour soi est-il en train de l'emporter sur un engagement politique ou associatif qui aurait fait long feu ? Les recherches de Jacques Ion montrent que l'engagement change de forme et que les réponses face à ces changements restent à construire. Tous les articles du numéro 452 |
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Certes, admet Jacques Ion, l'engagement n'est plus ce qu'il était. Nombre de constats pourraient donner raison aux nostalgiques de la belle époque des militantismes, associatif, syndical, politique. Les militants « à vie » d'une seule cause, au sein d'une même organisation, se font rares. Le citoyen-modèle, soucieux du seul intérêt général est souvent introuvable. L'addition de la non-inscription sur les listes électorales et de l'abstention révèle un éloignement du politique préoccupant.
Faut-il pour autant en conclure à la fin de l'engagement au profit d'un « chacun pour soi » en phase avec le néolibéralisme ambiant ? En aucun cas, plaide cet ouvrage, de manière très argumentée. Engagement, citoyenneté, implication dans la vie collective sont en mutation plutôt qu'en régression. L'intérêt pour la politique est manifeste dès lors que l'enjeu d'une échéance est clairement perceptible. La dynamique associative est intacte, même si les pratiques en ce domaine changent : moins de grandes associations fédérées, des réunions plus courtes empiétant beaucoup moins sur la vie familiale (voire pas de réunions du tout grâce à Internet), de nombreux groupements non déclarés... Des transformations en cours se dégagent quelques grandes tendances. L'engagement ne se fait plus sur le mode de l'affiliation, impliquant l'adhésion à de « grands récits » qui n'ont plus cours. Les participants aux collectifs d'aujourd'hui sont affranchis des disciplines et appartenances stables qui caractérisaient le militantisme d'hier. Ils s'engagent sur des causes concrètes, avec le souci du résultat et pour le temps nécessaire à celui-ci. Leur capacité réflexive s'est accrue à la mesure des progrès de l'éducation et de la circulation de l'information et leur esprit critique s'exerce tout autant en interne des groupements à l'égard des interlocuteurs externes. C'en est largement fini de l'adhésion inconditionnelle et de la révérence à l'égard de l'autorité et de l'expertise
Vues des institutions publiques, ces évolutions peuvent paraître déroutantes. La fragmentation et l'instabilité qu'elles génèrent privent les décideurs d'interlocuteurs stables et compréhensifs. Et, plus encore, elles accordent aux intérêts particuliers et aux affects une place que notre modèle républicain de citoyenneté désincarnée ne nous prépare pas à comprendre. C'est ainsi que, selon J. Ion, l'expression NIMBY (not in my back-yard) est désormais trop facilement utilisée pour disqualifier des contestations dont il s'avère pourtant, lorsqu'on les regarde de près comme il l'a fait, qu'elles sont souvent le vecteur de nouvelles formes de politisation et d'implication dans la vie publique.
Entre les nouvelles formes d'engagement qui transforment aujourd'hui l'espace public et la vie politique traditionnelle dans les lieux de la démocratie représentative, il y a comme une « dérive des continents ». La symbiose qui existait entre monde politique et univers militants est en train de se perdre du fait des évolutions qui affectent l'un et l'autre : les transformations de l'engagement dans la société civile d'un côté et, de l'autre, la professionnalisation de la politique qui ne cesse de gagner du terrain. À ce dangereux écart en train de se creuser, les réponses restent pour l'instant à construire : les difficultés des partis à transformer leur mode de fonctionnement, les réticences à en finir avec le cumul des mandats, le caractère encore balbutiant des expériences de démocratie participative... tout cela montre qu'on est encore loin du compte.
S'engager dans une société d'individus, Jacques Ion, édité chez Armand Colin, septembre 2012.