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La Génération Y est un mythe

Article du numéro 447 - 15 juillet 2012

Interview

La « Génération Y » fait un carton au box-office des nouveaux concepts du management. Et si, en réalité, elle n'existait pas ? Et si, en vérité, elle avait été inventée par des consultants pour les besoins de managers en perte de repères ? C'est ce qu'affirme Jean Pralong aux termes d'une étude. Le « péril jeune » n'est pas aux portes du travail.

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Jean Pralong est psychologue, docteur en sciences de gestion  et professeur de gestion des ressources humaines  à Rouen Business School. Il dirige la chaire « Nouvelles carrières » qui explore les nouvelles formes d'emploi  et les nouvelles attentes des salariés  Son blog : http://www.nouvelles-carrieres.fr


Vous avez réalisé la première étude scientifique sur la «Génération Y». Pour quelles raisons vous y êtes-vous intéressé ?

Je m'intéresse à la construction des carrières et particulièrement à la part respective des choix individuels et des décisions des entreprises. Les travaux de recherche nous rappellent régulièrement la tutelle des employeurs sur le parcours des individus. C'est évident dans le cas des personnes en contrat précaire ou qui subissent un emploi à temps partiel par exemple. C'est tout aussi vrai, à l'autre extrémité, dans le cas des cadres dits à « hauts potentiels » auxquels on impose des parcours. Or, on nous dit que cette Génération Y s'affranchirait des contraintes de l'entreprise et passerait de l'une à l'autre à l'image de « mercenaires » s'offrant au mieux-disant. Dans un pays qui compte 27 % de chômage chez les jeunes, le propos avait de quoi surprendre.


Comment avez-vous procédé ?

La Génération Y, nous disent ses thuriféraires, présenterait des caractéristiques différentes de celles des générations précédentes. Ses attentes et ses comportements, en particulier, seraient différents. Nous avons donc cherché à vérifier cette affirmation par la comparaison avec d'autres générations. Pour cela, nous avons constitué quatre échantillons distincts composés de cadres baby-boomers (45 ans et +), de cadres de la Génération X (30-45 ans), de jeunes cadres de la Génération Y (20-30 ans) et d'étudiants. Nous les avons interrogés sur l'image du travail, leurs attentes par rapport à la carrière, leur comportement envers leurs managers...


Selon cette étude, la «Génération Y» n'existe pas. Expliquez-nous...

L'étude démontre très nettement que les différences ne sont pas à rechercher entre les générations. Les cadres qui ont entre 20 et 45 ans ont la même relation au travail, à l'entreprise et à la carrière. Les différences sont marginales et les traits prétendument distinctifs des Y sont, en réalité, communs aux autres générations. Tous les cadres partagent l'intérêt de l'opportunisme, l'idée que l'entreprise ne fera pas leur carrière et qu'ils doivent donc compter sur eux-mêmes... Tous aspirent à l'équilibre vie professionnelle-vie personnelle. Ils ont des attentes assez fortes envers leurs managers, mais là encore, en se méfiant de cette relation de contrôle et de supervision. La seule différence notable concerne les étudiants, ceux qui n'ont pas encore intégré la vie professionnelle. On est donc moins face à un effet de génération, qu'à un effet de contexte, où chacun se positionne en fonction de son environnement - l'université, l'entreprise. J'ai initié la constitution d'un réseau international de recherche sur cette question. Dans la vingtaine de pays qui y participent, les résultats sont convergents : il n'y pas de différences notables. Conclusion ? La « Génération Y » n'existe pas !


On serait donc face à un mythe. Comment en expliquer l'apparition ?

Il faut d'abord se demander à qui ça profite. La Génération Y est d'abord un marché pour tous les consultants qui ont lancé l'idée et qui ont écrit des ouvrages sur le sujet. On a ici d'ailleurs quelque chose d'assez original. La question des générations revient sur le devant de la scène tous les vingt-cinq ans, avec un circuit médiatique qui débute généralement par des articles issus d'universités nord-américaines et qui passe ensuite par des textes plus vulgarisés que s'approprient les consultants. L'apparition de la Génération Y s'est faite dans l'autre sens. Tout est parti des consultants et des managers, sans véritable travail académique. L'idée n'était pas révolutionnaire, plutôt sympa : il était facile qu'elle ait du succès. Mais l'existence de ces consultants ne suffit pas à expliquer le phénomène. C'est un peu comme l'astrologie. Il n'y aurait pas d'astrologues si personne ne lisait l'horoscope. Il n'y aurait donc pas de consultants spécialistes de la Génération Y s'il n'y avait pas la volonté d'y croire de la part des managers.


D'où vient cette volonté d'y croire des managers ?

L'adhésion à la notion est fortement corrélée avec le fait de manager une équipe qui ne compte pas de jeunes. Les managers dont l'équipe comprend des jeunes sont moins enclins à considérer qu'ils sont différents et qu'ils présentent les comportements supposés être ceux de la Génération Y. L'adhésion tient surtout au fait que l'encadrant rencontre des difficultés de management et qu'il a été formé à la Génération Y. Elle est principalement le fait de managers qui, en situation d'inconfort dans leur fonction de management, ont été formés à la Génération Y et se sont saisis de cet objet pour expliquer les difficultés rencontrées dans leur équipe. C'est pour eux le moyen de tirer la sonnette d'alarme sur un malaise, une impuissance et de demander de nouvelles règles du jeu en matière de comportement et de management. Quand ces managers s'étonnent que leurs collaborateurs de la Génération Y veuillent partir plus tôt, travailler depuis leur domicile, avoir un mode de communication plus interactif..., ils prêchent pour leur propre paroisse.


Ce malaise des managers, quel est-il ? d'où vient-il ?

Dans la plupart des organisations, une sorte de chasse à la bureaucratique est en cours. Dans les bureaucraties, des règles identiques pour tous sont décidées d'en haut et descendent en cascade. Le nouveau style de management qui se répand désormais promeut l'autonomie, la responsabilité, la participation des salariés. D'abord séduisant, ce modèle se révèle délétère. Dans la pratique en effet, l'hyper-individualisation conduit à alourdir le nombre et l'ampleur des responsabilités que les managers de proximité doivent assumer. Aux responsabilités habituelles de diriger son équipe, d'en garantir la motivation, la performance, le développement... s'ajoute celle d'inventer soi-même la façon d'y parvenir - les objectifs et les techniques de management -, le tout sur fond d'impérieuse nécessité de réussir, faute d'être remis en cause.
Prenons le cas de la Génération Y et d'une étude que nous avons menée dans un établissement bancaire. La direction développait officiellement un discours vantant l'accueil de salariés jeunes et « habillés en jeune », manière de ressembler à ses prospects. Mais, en « off », lorsque nous l'interrogions sur les conditions de promotion de ses employés, elle indiquait que les promus de demain seraient ceux qui respecteraient les « règles du jeu », au rang desquelles les codes vestimentaires, et que le « bon manager » était celui qui savait faire régner un minimum d'ordre - notamment ces mêmes codes vestimentaires... Même constat concernant l'utilisation de Facebook sur le lieu de travail : en « in », un discours favorable à des salariés interconnectés, en « off », l'idée que ce genre de « réseau social » n'a pas sa place dans un service « bien tenu ». Cette anecdote me semble être un parfait exemple des injonctions paradoxales devant lesquelles les managers sont mis quotidiennement. La prétendue responsabilisation cherche à nier les règles traditionnelles de l'entreprise. Pourtant, elles demeurent bel et bien.


Quelles pourraient être les réponses des DRH, selon vous ?

L'enjeu est d'en finir avec ce que David Courpasson (1) appelle la « bureaucratie douce ». Ce système où d'un côté, on affiche un discours enchanté qui fait la part belle à la subjectivation - « faites comme vous voulez, à votre façon, on vous écoute, on vous respecte... » - et de l'autre côté, on accroît le niveau de contraintes, avec des procédures d'évaluation, de sélection, de contrôle, de sanction... Au final, le cadre ne sait plus ce qu'on attend de lui. On comprend dès lors qu'il est plus facile pour lui d'invoquer un problème de Génération Y, que de remettre en cause les objectifs, l'organisation...

1. Professeur de sociologie à EM-Lyon, auteur de L'Action contrainte. Organisations libérales et domination, PUF, 2000 ; Quand les cadres se rebellent, avec JC Thoenig, Ed. Vuibert, 2008.


« Y », quezaco ?

La génération Y regroupe les personnes nées après 1978 (40 % de la population active française sera âgée de 18 à 32 ans, en 2015). Elles auraient en commun, notamment, des attitudes et des comportements au travail différents de ceux de leurs prédécesseurs. Parmi les traits majeurs : une aspiration à l'équilibre vie professionnelle/vie personnelle, la remise en cause du management directif, une aspiration à plus d'autonomie et de liberté...