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Article du numéro 446 - 01 juillet 2012
Depuis plusieurs années, le vocabulaire issu du monde « mondialisé » de l'entreprise diffuse au sein de la société française en général, et du secteur public en particulier, les expressions propres ou dérivées du basic english. Tous les articles du numéro 446 |
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Afin de solutionner les tensions ambitionnelles internes, il faut redynamiser la gouvernance collaborative par un Community management innovant. (N° 12, The workshop of Management)
Les managers sont-ils les leaders de demain ? (Numéro spécial : Pour un Management qui déménage)
Face à une problématique d'interactions perdantes-perdantes, un impératif : déployer un bench-mark managérial pour reformater l'approche transversale. (N° 65, The Win-Win post)
Les leaders sont-ils les managers de demain ?(Fiche N° 1 : Le Coaching c'est facile)
Devant la baisse de cotation des mutualisations synergisantes, mieux vaut optimiser le dress code du leader que requalifier le risk management. (N° 3 852, La Lettre du cadre innovant). (1)
Depuis plusieurs années, le vocabulaire issu du monde « mondialisé » de l'entreprise diffuse au sein de la société française en général, et du secteur public en particulier, les expressions propres ou dérivées du basic english. Cet anglais simplifié (à distinguer du globish, anglais d'aéroport), basé sur 850 mots, fut le fruit d'une stratégie délibérée d'après-guerre pour faciliter l'expansion mondiale d'intérêts politiques, économiques et culturels anglo-saxons. Dans son roman d'anticipation 1984, Georges Orwell illustra le pouvoir de la novlangue (2) (newspeak) qui, en transformant profondément le vocabulaire usuel, façonnait des représentations mentales permettant une emprise totalitaire sur les esprits.
Appliquons donc le principe selon lequel les mots structurent la pensée au jargon entrepreneurial, largement véhiculé par certains cabinets de consulting en quête de nouvelles parts de marché auprès de la fonction publique. L'analyse des catégories mentales de cette pensée corporate (3) laisse supposer que : premièrement, nous vivrions dans un monde complexe, changeant, incertain, sans règle ni principe, où régneraient un sentiment d'urgence et une hostilité ambiante ; deuxièmement, les managers devraient s'y comporter en compétiteurs individualistes, sporadiquement agglomérés en fonction d'intérêts conjoncturels, l'essentiel étant d'être dynamiques, surconnectés aux flux d'information, modernes, performants et flexibles ; et troisièment, la seule condition de survie y serait l'hyper-technicité, sans appréhension globale de la situation. Tel un jeu d'arcades, la vie professionnelle serait une succession d'épreuves dont on triompherait en trouvant à chaque fois la solution technique que l'on mettrait en œuvre avec habileté.
Au final, le portrait type du manager moderne tendrait vers celui d'un électron en mouvement perpétuel, qui ne saurait pas où il va, mais n'aurait pas le temps de se le demander car il a un mail à faire...
Cette mode, dans l'hypothèse où elle se transformerait en mouvement de fond, porterait en son sein des risques certains pour notre modèle de fonction publique, à l'instar des effets délétères déjà à l'œuvre dans certains grands groupes privés français :
- les cadres corporate, par peur d'être distancés, tendent à consacrer une part importante de leur temps à assimiler les nouveaux codes et le langage politiquement correct, qui changent au gré des modes conceptuelles, et se consacrent insuffisamment à la stratégie. Leur pensée peut devenir approximative, comme les anglicismes qu'ils répercutent, tel l'écho dans un puit sans fond, et leur action semble discontinue et sans repère ;
- les agents, faute d'un discours porteur d'un projet indiquant les grandes directions, ne comprennent plus le sens de leur action et se vivent en rupture avec une modernité dont ils ne maîtrisent pas les codes.
D'où viendra le sursaut permettant de mettre fin à l'imposture de la pensée PowerPoint dans nos collectivités ? Dans La question humaine, le romancier François Emmanuel s'était attaché à dépeindre les effets du jargon déshumanisant de certaines multinationales, permettant de dévoiler la nature profonde d'une forme de pouvoir en entreprise. À qui le tour ?
1. Ces citations et titres de journaux sont tous imaginaires. Toute ressemblance avec des titres existants est fortuite.
2. S'inspirant en cela de la réflexion conduite par Victor Klemplerer sur la Lingua Tertii Imperii, la langue totalitaire du IIIe Reich.
3. Corporate : issu du monde de l'entreprise. Dans son sens péjoratif : synonyme de formaté.
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