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Tapis rouge pour l'habitat participatif

Article du numéro 444 - 01 juin 2012

Logement

Construire son logement à plusieurs, pour maîtriser tout ou presque - lieu, prix, formes urbaines, voisins, agencement, matériaux écologiques, éthique de vie... - semble séduire de plus en plus d'habitants. Une trentaine de collectivités se sont lancées dans l'aventure.

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Les collectivités ont entendu le message de leurs concitoyens qui veulent reprendre en main leur façon d'habiter. Elles sont en tout une trentaine de villes, agglomérations, conseils généraux, régions à avoir rejoint le réseau national des collectivités pour l'habitat participatif et signé la Charte d'orientation pour l'habitat participatif lancée le 24 novembre dernier à Grenoble. Elles font de l'habitat participatif une réelle alternative à la construction classique, et accompagnent, voire stimulent son développement (1).


Échange d'expériences

Après avoir connu un certain succès dans les années soixante-dix et quatre-vingts, l'habitat participatif en France a quasi végété, pour repartir dans les années 2000. Il y aurait actuellement environ 250 habitats groupés réalisés et 150 projets en cours, dont 10 % en chantier. Cette aspiration citoyenne coïncide avec l'essor des éco-quartiers, dont la plupart pèchent du côté « participation active des citoyens ». Pour Pierre Zimmermann, coordinateur du réseau national, créé en novembre 2010 au Parlement européen à Strasbourg : « La Charte n'est pas là pour dire ce que chacun doit faire localement, mais pour encourager l'échange d'expériences, la mutualisation d'outils ». Pour sa deuxième consultation lancée en décembre 2011 qui concerne sept terrains, Strasbourg a ainsi tiré les enseignements de son premier appel. Elle accorde cette fois la priorité au projet de vie et à la stratégie d'organisation du groupe, avant la recherche de l'architecte. La taille des terrains retenus est également plus petite (10-12 logements contre 16). Les pratiques sont récentes, et tout est à construire, avec de nombreuses questions auxquelles il faut répondre : comment organiser au mieux l'autopromotion ? Faut-il que la collectivité réserve des terrains ? Faut-il rédiger un cahier des charges, faire des ristournes sur les terrains, imposer une AMO ? Quelles aides sont réellement efficaces ? Lesquelles ont un effet de leviers et... jusqu'où placer le curseur de l'aide accordée par la collectivité ? La multiplicité des formules d'habitats groupés (qui vont de la coopérative d'habitants adossée à un bailleur social à des copropriétés plus classiques) n'est pas un obstacle à une réflexion commune. Pour Pierre Zimmermann, « cela favorise les expérimentations et les chances de voir émerger de nouveaux modèles reproductibles et ouverts au plus grand nombre ».


Démocratiser l'habitat participatif

Si l'habitat participatif concerne aussi le périurbain et le rural, il constitue souvent une solution « pour devenir propriétaire en ville, là où les prix ont explosé et où le foncier est rare ». « Nous voulons démocratiser ce mode d'habitation » souligne Pierre Zimmermann. Car il ne faut pas se voiler la face, une partie de ménages qui composent les groupes sont plutôt « bobo ». Les collectivités souhaitent donc favoriser les projets qui apportent une plus-value environnementale et/ou sociale, c'est-à-dire qui mixent les générations et les catégories sociales. Mais en vue de démocratiser l'habitat participatif, il serait bon aussi de lever certaines inégalités ou freins aux projets collectifs. En France, on bénéficie de moins d'aides et de soutiens en groupe. Quand un particulier fait construire un logement, il peut jouir d'une TVA inférieure, cet avantage est perdu, en groupe. D'autre part, les dispositifs actuels d'aides en faveur d'investissements performants en matière environnementale sont souvent configurés pour des projets individuels. Autre bataille à mener : celle du cadre juridique. Alain Jund, adjoint à l'urbanisme de Strasbourg et porte-parole du réseau a entrepris, avec les élus membres, un travail d'interpellation du législateur pour lever les freins au montage de projet. Par exemple, tout projet incluant du locatif social s'avère compliqué : il faut obtenir une dérogation du bailleur. Marie-Odile Novelli, vice-présidente au logement à la région Rhône Alpes estime qu'il faut « une révolution culturelle, déconnecter le droit d'usage du droit privé... Dans le cas d'une coopérative, les habitants sont propriétaires de parts, et usent d'un bien ». Dans sa région, elle soutient d'ores et déjà, la création d'un centre de ressources avec l'Observatoire régional de l'habitat et du logement.


Opérations hors du commun... à suivre

Il existe quelques expériences d'habitats groupés particulièrement emblématiques, comme le Village vertical à Villeurbanne (69), la première coopérative d'habitants en France dont les participants sont à la fois sociétaires et locataires. Une autre expérience très intéressante est aussi à suivre : la Maison des Babayagas, portée par des retraitées à Montreuil (93). Elle sortira de terre en octobre prochain. Thérèse Clerc, l'une des protagonistes, porte le projet à bout de bras depuis treize ans. Les embûches ont été nombreuses. Il a fallu négocier avec le bailleur : « pour obtenir des passe-droits afin que ces logements ne soient attribués qu'à des femmes ». « Sans l'électrochoc de la canicule de 2003, le projet n'aurait pas avancé » assure-t-elle. Le conseil général ne les a pas beaucoup aidées, sous prétexte que le projet n'était pas mixte. Christine Boutin leur a débloqué des crédits : 600 000 euros, bienvenus dans un projet qui pèse quatre millions d'euros. « La moitié sera remboursée par les loyers des locataires ». La maison sera habitée par vingt retraitées. Un logement reste vide pour accueillir de la famille, mais aussi une infirmière de nuit, car le groupe anticipe sur son futur. Quatre logements sont destinés à des jeunes. Le rez-de-chaussée de 120 mètres carrés sera une salle polyvalente qui accueillera l'Université du savoir des vieux (Unisavi).

1. Parmi les signataires de la Charte de l'habitat participatif : Paris, Lille, Rennes, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Montreuil, Besançon, Saint-Denis, Bordeaux, les communautés urbaines du Grand Lyon, Grand Toulouse et d'Arras et les régions Ile-de-France et Rhône-Alpes... Rejoints entre-temps par Montpellier, PACA.


Témoignage

Audrey Linkenheld
adjointe à la ville de Lille, chargée du logement, signataire de la Charte.
Lille vient de lancer une consultation pour 5 projets.

« Investir dans des projets sociaux »
« Lille a avancé en même temps que la structuration du réseau. Grâce à des cas concrets observés ici et là, nous avons pu nous donner des objectifs. Pour sortir du profil d'habitat groupé « bobo », notre appel à projets propose des terrains dans des sites plus populaires. Nous avons choisi aussi spécifiquement des terrains où la ville aurait dû de toute façon investir lourdement par exemple pour dépolluer les sols... Autant que notre investissement soit au profit de projets innovants et mixtes. Nous subventionnons également deux partenaires qui animent des ateliers et suivent les différents groupes, les forment à la conduite de réunion par exemple. Il faut enfin que le service Habitat de la ville sache se rendre disponible. Une personne est l'interlocutrice permanente des groupes et répond à toutes leurs questions. Sur tout ce volet de l'habitat groupé, ce sont de nouvelles pratiques qui se mettent en place : le service de l'habitat devra travailler plus étroitement avec celui de l'urbanisme. Enfin, les techniciens doivent apprendre à parler technique avec les habitants, qui n'ont pas le même niveau de connaissance. »