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« François Hollande a trois mois pour réformer la France »

Article du numéro 443 - 15 mai 2012

Interview

Auteur prolifique (1), ancien conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali liste les enjeux de la présidence de François Hollande au lendemain de son élection. À ses yeux, la double conjoncture de la crise et de la présidentielle est propice au lancement rapide de grandes réformes. Ces dernières devront concilier deux impératifs : réduire les déficits et relancer la croissance par une plus grande intégration européenne.

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Jacques Attali a publié Candidats, répondez, chez Fayard en 2011. La consolation, édité chez Naïve, est une série de 18 entretiens réalisés sur le thème de la mort et de la nécessaire consolation auprès de ceux qui restent.


Après sa victoire, quels sont les grands défis que François Hollande devra relever ?

Nous sommes dans une situation de très grande dette. Le prochain gouvernement devra agir à budget constant, les réformes annoncées ne passeront pas par de nouvelles dépenses. Mais ce n'est pas impossible. Les grandes réformes de François Mitterrand en 1981 n'ont pas coûté cher à l'État. Souvenez-vous de l'abolition de la peine de mort, de la libéralisation des radios, de la retraite à 60 ans, etc.


Par quoi faut-il commencer ?

C'est d'abord absolument indispensable qu'il dispose d'une majorité claire à l'Assemblée nationale... car, dans le cas contraire, nous courons à la catastrophe. Il faudra dès lors définir une politique à moyen terme pour atteindre l'équilibre budgétaire en 2017 puis rester, pour les 15 prochaines années, en situation excédentaire pour que la dette ne reparte pas de l'avant. Depuis dix ans que la droite est aux affaires, la baisse des impôts, favorisant en particulier les plus riches, a coûté 22 points de PIB à notre pays. Baisser les impôts n'est pas en soi condamnable mais il eut fallu, dans le même temps, baisser les dépenses, ce qui n'a pas été fait. La question est donc simple : les plus jeunes vont-ils accepter de payer nos dettes et de payer nos retraites ? Au-delà de la réduction budgétaire, qui n'est qu'un préalable, il faudra aussi que le moteur de l'Europe puisse relancer la croissance. Dans le même temps, nous devrons réformer le travail, l'école, la négociation syndicale, le pacte écologique en sortant de la trajectoire du court terme. Ce qui ne sera pas fait pas dans les trois premiers mois risque d'être difficile à mener au-delà.


Réduire les déficits et relancer la croissance, l'équation n'est-elle pas intenable ?

Les Français doivent savoir qu'à partir du mois de septembre prochain, les retraites et le salaire des fonctionnaires seront payés par les emprunts. Si on ne nous prêtait plus d'argent, je vous laisse imaginer dans quelle situation nous serions. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas : l'armée américaine en Afghanistan est payée par les emprunts chinois. Nous sommes dans une situation de déficit primaire. Il est donc urgent de faire des efforts mais dans la justice, ce qui correspond au projet porté par François Hollande. Quant à la croissance, la France n'est réellement jamais entrée dans la mondialisation. Mieux encore, certains partis extrémistes, notamment le Front national, souhaitent que nous en sortions. Or, des niveaux d'impôts élevés et des réussites économiques ne sont pas inconciliables, il suffit de constater comment les pays nordiques en Europe s'en sortent mieux que nous.


Comment en est-on arrivé là ?

Nous avons arrêté d'investir dans le futur. Depuis trente ans, nous n'avons plus rien inventé, comme Airbus ou le TGV. La commission sur le grand emprunt Juppé-Rocard avait établi que, depuis trente ans, nous aurions dû engager 400 milliards d'euros dans des investissements d'avenir pour garder un temps d'avance. C'est regrettable parce que la France n'a pas à rougir de ses atouts. Nous ne représentons qu'un petit pour-cent de la population mondiale et nous sommes pourtant présents dans vingt des trente secteurs mondiaux les plus porteurs. Dans l'énergie, les transports, les assurances, les banques, la gestion de l'eau, le luxe, le tourisme..., nos savoir-faire sont unanimement reconnus. Notre grande faiblesse se situe au niveau des entreprises de taille moyenne. Pourquoi ? Parce que les entreprises se développent en miroir de la nation. Comme la France est un pays très centralisé, nous n'avons que de grandes entreprises. Dans les pays comme l'Allemagne ou l'Italie plus décentralisés, les entreprises de taille moyenne sont nettement plus importantes.


Que faire pour combler ce déficit ?

Réformer les collectivités territoriales ! Tant que nous conserverons sept niveaux administratifs de décentralisation, ce qui est une folie, nos entreprises resteront de taille modeste. Dans la plupart des pays européens, outre l'État, on ne compte que deux échelons administratifs. Comment voulez-vous qu'une entreprise se développe si elle doit frapper à sept portes différentes pour obtenir un soutien financier public ? Il y a en France plus de communes que dans le reste des pays européens ! Et accessoirement plus de ronds-points que dans toute l'Europe réunie ! La fusion des régions et des départements sera une nécessité, de même que certaines communes entre elles.


En 2008, vous avez rédigé, à la demande de Nicolas Sarkozy, 316 propositions contenues dans un rapport «pour la libération de la croissance». Que sont-elles devenues ?

Au sein de la commission, il y avait des personnalités venues de différents horizons, du patronat, des syndicats, Mario Monti, devenu depuis le chef de gouvernement italien. Nous avons dégagé un consensus à l'unanimité. Nous avions par exemple acté le fait que la rupture du contrat de travail à l'amiable devait être favorisée. Mais cette mesure appréciée par le patronat avait son pendant social, qui n'a malheureusement pas été retenue, celui de la formation poussée des chômeurs pour s'adapter aux évolutions du monde du travail. On désigne cette politique par un vilain mot, celui de la sécurité sociale professionnelle. C'est injuste, le chômage n'est pas une maladie. Le principe était plus noble : toute personne entrant en formation professionnelle est utile à la société. Comme dans une équipe de foot, si quelqu'un décide de s'améliorer, il est utile au collectif. Notre proposition était révolutionnaire : toute formation mérite salaire. Un chômeur ne doit plus recevoir une allocation d'assistance mais un salaire de formation. La société a déjà admis ce principe puisque lorsque vous travaillez, vous cotisez pour être payé lorsque vous êtes malade. Avec la formation, ce sera la même chose. Sur ce rapport, j'avais dit à Nicolas Sarkozy qu'il devait l'appliquer dans son intégralité et qu'une application partielle serait un échec. C'est malheureusement cette dernière attitude qui a été privilégiée.


Vous aviez suggéré la mise en œuvre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP). Le bilan vous semble-t-il positif ?

Réformer pour casser n'est pas la bonne attitude à adopter. De bonnes économies budgétaires ont été faites, d'autres beaucoup moins, notamment en matière éducative. Nous avions détaillé, à l'euro près, les mesures à prendre pour réduire les dépenses. Si notre schéma avait été adopté, la France aurait conservé son triple A et nous serions aujourd'hui autour de 70 % de déficit budgétaire.