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« Il faut fusionner l'urbain et le social »

Article du numéro 441 - 15 avril 2012

Interview

Dans le dernier ouvrage collectif qu'il dirige (1), le sociologue Jacques Donzelot salue les acquis de la rénovation urbaine tout en s'interrogeant sur la réussite de l'intégration dans la ville des habitants des quartiers populaires. Pour redonner de la vivacité à la politique de la ville, il propose de créer des agences locales mêlant les acteurs de l'urbain et du social afi n d'éviter une trop grande segmentation du traitement des banlieues.

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Jacques Donzelot est maître de conférences en Science politique à l'université de Paris X Nanterre. Il est directeur du Cedov (Centre d'études, d'observation et de documentation sur les villes) depuis 1991 et directeur du CEPS (Centre d'études des politiques sociales) depuis 1984. Jacques Donzelot est aussi conseiller scientifique au PUCA (Plan urbanisme construction et architecture), centre de recherches du ministère de l'Équipement.


Vous rangez-vous dans le camp des sceptiques modérés, qui disent que sans la politique de la ville, la situation des quartiers populaires serait pire, ou considérez-vous qu'il s'agit d'un échec complet ?

Il ne s'agit pas d'un échec à proprement parler. Si l'on reste dans le cadre lourdaud de la pensée républicaine qui est le nôtre, on peut constater que nous avons eu du mal à avancer. Mais on ne peut nier l'avancement. Dans un premier temps, la politique de la ville a consisté à laisser les habitants sur les lieux pour qu'ils n'en sortent pas et qu'ils se calment, si j'ose dire. C'était le temps du DSU (développement social des quartiers). Ce programme était destiné aux habitants pour qu'ils se réapproprient le quartier, pour devenir de vrais citoyens. Le mot quartier a été re-positivé. L'effet pervers fut la tentation du saupoudrage des financements. Cette politique de terrain, très créative, a ensuite souffert de sa reprise en main administrative, entraînant l'extinction de l'innovation.


Était-il possible d'éviter une telle institutionnalisation ?

Les chefs DSU ne pouvaient pas faire autrement, ils sont trop dépendants des élus locaux qui, eux-mêmes, sont dépendants de la bienveillance de l'État ! 1981 a constitué un tournant avec les émeutes urbaines, notamment à Vaulx-en-Velin. Mitterrand a alors décidé de mobiliser les moyens financiers de l'État. Nous assistons alors à une politique d'enrichissement des lieux, de connections des quartiers à la ville. Les services publics sont renforcés, les contrats d'insertion professionnelle se multiplient. En 1996, apparaissent les zones franches urbaines (ZFU) qui prolongent cet effort de densification de l'offre d'emplois. Enfin, vient 2003, et Jean-Louis Borloo lance le programme de rénovation urbaine avec la même philosophie : enrichir les lieux, ne pas jouer la carte du potentiel des habitants.
Parallèlement, des efforts en matière de transports collectifs ont été accomplis, notamment à travers le retour du tram dans les grandes villes, qui relie périphéries et centre, en dehors de Marseille, qui constitue une étrange exception.


Malgré cela, la mixité sociale reste aujourd'hui encore très en deçà de ce qu'elle devrait être...

La mixité sociale ne se construit pas : dans le meilleur des cas, elle s'induit. C'est une bêtise de laisser croire que les immigrés souhaitent être déconcentrés de leurs quartiers, puisque la mixité sociale porte en elle cette idée d'un mélange positif des origines. Les immigrés restent ensemble pour des raisons internes. Les travaux mémoriels de l'Anru sont d'ailleurs passionnants sur le sujet, ils mettent en lumière l'importance du quartier pour les habitants, les solidarités fortes qui s'y sont construites. C'est pour ça que je n'aime pas le mot « communautarisme ». Oui, en effet, il existe des communautés qui vivent entre elles parce que lorsqu'un Français se rend au Québec, il aime bien vivre près de ses compatriotes, pour des raisons relevant de réflexes culturels.


Pour reprendre le titre de l'ouvrage collectif que vous dirigez : À quoi sert la rénovation urbaine ? L'Anru a-t-elle échoué en matière de mixité sociale ?

Les services publics sont un des moyens de remettre de la mixité sociale, mais il ne faut pas en exagérer l'impact. L'Anru n'a pas compris l'importance de liens forts dans les quartiers. La mixité sociale ne dit rien de l'état d'un quartier, la mobilité oui. Créer le lien entre le quartier et la ville est constitutif de la mixité sociale. Si ce rattachement ne se fait pas, c'est à cause d'institutions défaillantes parce qu'elles ne parviennent pas à créer les conditions d'une rencontre entre les habitants, et donc de favoriser le développement de l'emploi, de l'élévation sociale. Les services publics sont une condition de cette réussite mais elle n'est pas suffisante : l'école, les services publics culturels, etc. constituent des liens faibles sur le quartier. Parce que l'école est fermée sur elle-même et pour les élèves, elle est souvent synonyme d'humiliation et non d'émancipation.


Est-ce une fatalité ?

C'est un constat. Ces jeunes sont souvent dirigés vers des lycées professionnels. Pour beaucoup, l'orientation, c'est l'élimination. Mais je ne souhaite vraiment pas accabler les enseignants. Beaucoup se battent. J'ai rencontré un proviseur à Roubaix, il y a quelque temps, qui a mis en œuvre des choses simples : il fait venir à l'école des chefs d'entreprise, des représentants de la chambre de commerce, organise des sorties sur les lieux de travail et demande aux jeunes de noter sur un cahier ce qu'ils veulent faire plus tard. Et régulièrement, sur une heure de cours, ils font le point ensemble. Il leur demande de réfléchir à leur futur professionnel. Et ça marche, les résultats sont meilleurs. Il n'y a pourtant rien de révolutionnaire dans cette démarche.


Pourquoi ces cas sont-ils isolés ?

Dans ce pays, l'élitisme républicain est terrible. Je vais avoir une position de droite. Il faut donner aux chefs d'établissement dans ces quartiers la possibilité de recruter leurs profs. Nous devons instaurer une mobilité obligée des enseignants. Il faut des profs qui en veulent. J'aime bien aussi le principe de l'école de la deuxième chance. L'objectif est clair : l'insertion professionnelle, le réapprentissage des fondamentaux perdus. On sort d'une logique scolaire. On vise un objectif plus concret.


Il est urgent de redonner une profondeur d'avenir à la politique de la ville. Quelles sont les mesures d'urgence à adopter ?

Il faut très vite fusionner l'urbain et le social. Aujourd'hui, les cadres de la politique de la ville sont en plein doute parce que leur savoir-faire ne vaut rien et date de l'époque de l'éducation populaire. Il faut créer des agences locales pour la rénovation urbaine, sociale et économique. Et en finir avec la stupidité de la participation des habitants.


C'est-à-dire ?

Les chefs de projets DSU sont pris entre deux feux : mettre en place un débat contradictoire, encourager un pouvoir collectif et le risque de mettre en difficulté l'élu qui les paie ! Dans ces agences locales, il est possible de mettre en place un triptyque, élus, techniciens et habitants, au sein d'un conseil d'orientation, mais aussi des représentants des services publics, des associations, de tous les corps qui souhaitent s'investir sur le quartier. Je trouve que ça renforcerait beaucoup plus l'impact politique de la démarche. Il s'agirait d'une démarche plus pertinente qu'une consultation publique où les gens viennent raconter leurs angoisses.
Il faut bien sûr poursuivre le travail de rénovation urbaine en y intégrant les préoccupations sociales et économiques que j'ai décrites.

1. À quoi sert la rénovation urbaine ?, PUF. 12 €.