La Lettre du cadre territorial

Le magazine des professionnels de la gestion territoriale.

Accueil > Magazines > Lettre du cadre

La Lettre du Cadre Territorial

Un magazine à destination des cadres de la filière administrative qui balaye l'ensemble des questions managériales et décrypte l'actualité dans les domaines RH, finances et juridiques sur un ton impertinent, engagé et incisif.

Ajouter au panier Vous abonner (voir tarif )
(Règlement par CB, chèque bancaire ou mandat administratif)

A partir de :

129 €

Réseaux électriques intelligents : faut-il être parano ?

Article du numéro 441 - 15 avril 2012

Energie

Neufs démonstrateurs de réseaux électriques intelligents démarrent tout juste en France, dont Nicegrid, Réflexe, Greenlys, Smart Zae, Modelec... Et de sérieux doutes planent.

Envoyer cette page à un ami

Soyez le premier à rédiger un commentaire !

Tous les articles du numéro 441

Télécharger cet article en PDF

On parle aussi de smart grids pour désigner les réseaux intelligents. Ce sont en gros des réseaux électriques dopés d'une bonne couche de logiciels et de télématique, pour permettre à la fois d'écrêter les pics de consommation, d'intégrer les énergies renouvelables fluctuantes, de connaître les besoins en consommation en temps réel et les nouveaux usages qui viendront pomper le réseau (recharges de voitures électriques)... Le tout devant profiter au consommateur final qui doit voir sa consommation baisser, et sa facture également. Voilà pour la théorie. Pour la pratique, il n'a pas fallu attendre bien longtemps pour voir surgir les premiers risques de dérapage...


Vigilance sur les factures

Pour les industriels qui en font la promotion, ces réseaux sont d'abord une manne financière : nouveaux matériels, nouvelles installations, nouveaux services pour le consommateur. Un expert à l'Ademe est bien de cet avis : « Ils sont très gentils, mais globalement ils cherchent tous à maximiser leur profit ». La fourchette d'économie d'énergie générée par les smart grids serait entre 5 et 15 %. L'Italie, qui a plus de recul, n'a constaté une économie que de 5 %. Mais ailleurs, le bémol est plus important : en Californie, ou en Grande- Bretagne, les réseaux intelligents ont engendré à la fois des baisses et des hausses de facture, en particulier chez les petits consommateurs du fait des coûts fixes, sans parler des « services » concoctés par les fournisseurs d'énergie... qui sont autant d'éléments en plus sur la facture.
En France, le premier coup de sifflet a été donné par L'UFC-Que Choisir en septembre 2011 au sujet du compteur Linky. Les gestionnaires de réseau, RTE et ERDF sont en train de remplacer les 35 millions de compteurs électriques en France par des compteurs « communicants » relevables à distance (1) d'ici 2018. Selon UFC-Que Choisir, le consommateur serait berné par Linky... L'association souligne que près de la moitié des compteurs du réseau ne sont pas installés directement dans les logements. Si le consommateur veut suivre l'évolution de sa consommation, il doit investir dans un logiciel dédié ou un boîtier déporté, et même payer ce service ! Qui aura le dernier mot ? L'Ademe n'a pas de poids réel, mais elle espère influencer les acteurs en se rangeant du côté du consommateur. Dans un communiqué de presse sorti le 12 janvier dernier, sur les réseaux intelligents, l'agence estime que « pour qu'il conduise à des économies d'énergie effectives, le compteur Linky doit être accompagné de solutions d'information gratuites en temps réel sur le lieu de consommation qui permettent une mobilisation effective du consommateur »..


Vigilance sur la confidentialité

Un autre point de vigilance a été soulevé, celui de la confidentialité des données : le consommateur doit fournir à son fournisseur d'énergie de nombreuses données sur sa consommation. On peut légitimement imaginer que son fournisseur puisse se servir des données, à l'instar d'un Google qui scanne nos mails pour nous inonder de la publicité ciblée. De quoi encore nourrir la paranoïa : en Californie, Google, encore lui, va devenir producteur d'électricité. Il a développé une plateforme ouverte de mesure des consommations d'énergie (PowerMeter). « Il n'y a pas plus de risque qu'avec les opérateurs télécoms » commente un expert à l'Ademe. Mais les risques de piratage sont possibles. Dans un communiqué publié le 5 août 2011, la Commission nationale de l'informatique et des libertés lance un avertissement : « les informations de consommation d'énergie transmises par les compteurs sont très détaillées et permettent de savoir beaucoup de choses sur les occupants. [...] Les distributeurs d'énergie devront donc apporter des garanties sérieuses sur la sécurisation de ces données et leur confidentialité ». Le site nikopik.com dévoile une vidéo où la démonstration est faite que des hackers allemands ont réussi à intercepter les données transitant entre un compteur d'électricité de nouvelle génération et la compagnie d'électricité. En France, il y a aussi un débat en cours sur la propriété du compteur Linky. EDF a décidé de prendre en charge le coût de ce matériel. Mais les élus de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) s'opposent à ce que les compteurs soient son exclusive propriété. L'entreprise n'acceptera de les partager que si on les lui achète, entre 200 et 300 euros, l'unité. Enfin comme le Wi-Fi, Linky est déjà suspecté d'engendrer des maux de tête...
Malgré les risques de dérapage qui pendent au nez des réseaux intelligents, ils n'en sont pas moins incontournables pour diminuer la part du nucléaire dans le bouquet énergétique français. En région Provence-Alpes-Côte d'Azur, « zone prioritaire du développement de réseaux électriques intelligents » par l'Ademe, ils sont vivement attendus, notamment pour remédier aux fréquentes coupures d'électricité, intolérables au xxie siècle. Le département des Alpes-Maritimes ne produit que 10 % de l'énergie qu'il consomme...

1. Ils doivent répondre à une directive européenne.


Quel rôle pour les collectivités ?

Les collectivités sont tout d'abord forcément impliquées dans les futurs réseaux intelligents. Les communes, directement ou au travers de syndicats, sont propriétaires des réseaux de distribution. Elles sont parfois partenaires des expériences en cours cofinancées par l'Ademe et les industriels. François Moisan, directeur exécutif de la stratégie, de la recherche et de l'international à l'Ademe reconnaît : « La place des collectivités dans ces démonstrateurs est un sujet assez peu défriché. On peut supposer que les collectivités puissent être prescriptrices en tant qu'aménageurs ».
C'est bien l'ambition de Nice Métropole. Yves Prufer, directeur adjoint de l'environnement et de l'énergie de Métropole Nice - Côte d'Azur déclare : « Concernant le formatage technique des projets de smart grid (Nice grid et Réflexe), les collectivités locales ont été peu consultées... Mais notre intention est de capitaliser sur les démonstrateurs pour écrire un cahier des charges de bonnes pratiques pour l'extension d'un réseau intelligent à toute l'éco-vallée. Avec les réseaux intelligents, de forts investissements seront à prendre en compte en amont des projets d'aménagement en vue notamment de créer des zones de stockage ou de production complémentaire d'énergie ».