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Article du numéro 441 - 15 avril 2012
Faute de volontarisme, la politique de la ville est empêtrée depuis des années dans un ronron institutionnel qui n'est pas à la hauteur des enjeux. La présidentielle de 2012 constitue un tournant : si elle ne se renouvelle pas de fond en comble, retrouvant l'esprit pionnier des années quatre-vingt, la politique de la ville sera condamnée à la sclérose. Et une politique dérogatoire qui s'encalmine prend généralement le chemin du cimetière... Tous les articles du numéro 441 |
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Il y a quelques semaines, l'affaire était entendue : la politique de la ville serait la roupie de sansonnet de la campagne présidentielle. Une absence qui validerait la sombre lecture de Jacques Donzelot, sociologue de l'urbain, auteur de plusieurs livres référentiels sur le sujet (1) : « La politique de la ville est un sujet à risques pour la gauche. Se pencher sur les quartiers, c'est faire preuve d'attention pour les immigrés et le discours politique ambiant, très anxiogène, stigmatise ces derniers. Pour un candidat, parler des quartiers, c'est perdre des voix ». Mais, ces derniers jours, le climat a changé. La faute à la crise certainement et à cette sourde colère qui gronde dans les classes populaires. Le 14 mars, à Marseille, François Hollande a consacré l'essentiel de son discours à la politique de la ville, avant de récidiver le 16 mars à Strasbourg. Il propose, entre autres, de créer une filiale « quartiers » dans la future banque d'investissement public qu'il entend mettre en place ou encore passer de 20 % à 25 % de logements sociaux par commune pour mieux fluidifier l'offre d'habitat, en multipliant par cinq les amendes pour les communes rétives. Le même jour, Nicolas Sarkozy, à Meaux, s'est attribué la réussite de la rénovation urbaine et a annoncé le prolongement. Les autres candidats, à leur manière, marquent leurs différences : Jean-Luc Mélenchon y fait un tabac avec son SMIC à 1 700 euros, Marine Le Pen entend capter les dividendes de la « bouc-émissairisation » des immigrés, etc.
Il est vrai que dans l'intervalle, le mouvement associatif a occupé le terrain. Le collectif AC Le Feu, né à la suite des émeutes de novembre 2005 avec l'intention, louable, d'inscrire les banlieues dans un traitement journalistique durable, a installé un symbolique ministère de la Crise des banlieues dans un immeuble du Marais parisien. Quelques candidats y sont venus prêcher la bonne parole. De son côté, l'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) a souhaité montrer la politique de la ville sous un autre jour, celui de ses réussites, prenant ainsi le contre-pied du reproche souvent fait aux acteurs de cette action publique dérogatoire d'être dans la déploration permanente. Les candidats à la présidentielle ont donc reçu un recueil de quinze initiatives locales en capacité « d'inspirer les politiques de demain », pour reprendre les termes de Michel Destot, maire PS de Grenoble et président de l'association. On apprend ainsi que la ville de Caen a mobilisé son CCAS pour faciliter l'accompagnement des demandeurs d'emploi, que la ville de Toulouse a mis en place un office de la tranquillité ou que Tourcoing a installé un conseil extra-municipal de la laïcité et du vivre-ensemble pour concerner tous ses habitants à la vie de la commune...
L'Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain (IRDSU) lance à son tour un « appel à une politique de la ville ambitieuse ». L'association établit un constat sans fard : « Prévue en 2009, la réforme de la politique de la ville a été repoussée à 2014 et de nombreuses réformes sur les autres politiques publiques sont inadaptées aux habitants des quartiers. Cependant, les ressources, les savoir-faire et le potentiel des habitants, associations, services publics, élus et entreprises sont inestimables. De très nombreuses actions démontrent que le « mieux vivre, ensemble » marche, pour peu qu'on veuille le voir ! ». Et elle avance plusieurs propositions : un changement du discours politique sur ces quartiers, un renouveau de la démocratie et de la confiance, la préservation des services publics et moyens de droit commun dans les quartiers et un moratoire sur la « RGPP », etc. Enfin, Renaud Gauquelin, président de Ville et banlieue et maire PS de Rillieux-la-Pape (Rhône) (lire encadré), a récemment annoncé 120 propositions pour renouveler la politique de la ville. L'association appelle de ses v½ux une rénovation des outils de la politique de la ville : un contrat unique sur un périmètre unique pour une durée unique (dix ans). « C'est la clé de voûte d'une meilleure efficacité. Dix ans gravés dans le marbre, sans que les éventuelles alternances politiques viennent perturber ce travail de fond ». En attendant de sortir de l'impasse, la politique de la ville est déjà sortie de son ghetto médiatique. Elle joue là sa dernière carte. Si le prochain président ne parvient pas à l'imposer comme un thème central de la réorganisation des territoires français à des fins de rééquilibrage, elle mourra de calcification institutionnelle.
1. Il est l'auteur, entre autres, de Faire société : la politique de la ville aux États-Unis et en France, Éditions du Seuil, 2003 ; Quand la ville se défait : Quelle politique face à la crise des banlieues, Éditions du Seuil, 2006, éd. poche, coll. « Points essais », 2008 ; il vient de publier À quoi sert la rénovation urbaine ?, PUF 2012.
David Martinez
chef de projet ANRU au Grand Avignon
« Malgré l'ANRU, les problèmes sociaux persistent »
« Je supervise la rénovation urbaine du quartier Monclar à Avignon. L'analyse faite par les candidats à la présidentielle ne répond pas aux attentes des quartiers populaires. Depuis le départ de Jean-Louis Borloo, qui a porté l'Anru à bout de bras, on sent un délitement au niveau des partenariats engagés, dans le débat sur le Pnru 2. Les finances s'amenuisent d'année en année, notamment dans le cadre des Cucs. J'ai l'impression que la logique de saupoudrage a repris le dessus, un peu comme il y a quinze à vingt ans.
Nous devons intervenir dans une logique de rattachement des quartiers Anru avec le reste de la ville. Mais, à Monclar, malgré l'investissement de 50 M d'euros, les problématiques sociales sont restées les mêmes. La mixité sociale reste embryonnaire, le chômage reste toujours élevé. Nous avons manqué de cohérence dans l'ouverture du quartier. L'approche transversale fait défaut. Nous devons renforcer l'impact de l'accompagnement social, le bâti ne suffit plus. La clause d'insertion sociale est une excellente chose dans les chantiers publics mais comment
répondre à 1 000 candidatures sur un quartier sans créer de frustrations. De plus, les entreprises qui répondent aux appels d'offres Anru sont celles qui tirent la langue et qui acceptent des chantiers difficiles. À la moindre difficulté avec la population, elles s'en vont. Je pointerai aussi un défaut de partenariats entre les collectivités. L'opération de Monclar est portée par l'agglo mais on ne peut pas dire que la ville y est très présente et encore moins le CG en termes d'accompagnement social. La ville n'est pas entièrement investie dans la gestion urbaine de proximité. Avignon n'est pas un cas isolé, la plupart des opérations Anru ne constituent pas une chance de repenser la ville sur elle-même.
Dans le même temps, le centre social de Monclar a fermé et, ce qui est un comble, rien n'a été fait pour le sauver. Dans la galaxie de la politique de la ville, plusieurs métiers se côtoient : le social, l'aménagement, les opérateurs, etc. Les métiers d'accompagnement social prêchent pour le maintien des dispositifs de financement, les aménageurs veulent la suppression des périmètres qui stigmatisent au contraire des associations qui entretiennent un lien clientéliste avec les financeurs. Le social se sent le mal-aimé de la politique de la ville et toise avec envie les aménageurs qui disposent de moyens financiers importants. Bref, nous sommes dans des logiques antagonistes, de fermeture sur le quartier. Il faut tout remettre à plat ».
Claude Dilain
Sénateur PS, ancien maire de Clichy-sous-Bois
« Une question de volontarisme politique »
« Au Parti socialiste, nous pensons qu'il est important de parler de banlieues au cours de cette campagne présidentielle puisque leurs habitants représentent 10 % de la population française. Nous n'avons pas peur des conséquences sur un plan électoral. Nous martelons au contraire l'idée qu'il n'y a qu'une seule République sur tous les territoires et que c'est pour cette raison que nous créerons un véritable ministère de l'Égalité des territoires et de la cohésion sociale. La réussite de la politique de la ville ne peut passer que par le volontarisme politique, je l'ai constaté lorsque j'étais maire de Clichy. Lorsque Michel Delebarre devient le premier ministre de la Ville, il est aussi ministre d'État, donc directement rattaché au Premier ministre. Ce n'est pas que symbolique. Cela signifie clairement que le droit commun ne peut plus tourner le dos aux territoires les plus délaissés. Ce portage de l'État est nécessaire : quand Jean-Louis Borloo lance le plan de rénovation urbaine en 2003, il est tenu à bout de bras par le président de la République de l'époque, Jacques Chirac. A contrario, quand Fadela Amara se bat seule pour imposer son plan Espoir Banlieue, elle est seule et, malgré une évidente bonne volonté, ne peut mener à bien sa mission. Avec la banque d'investissement public qui réservera certains de ses financements aux quartiers, avec les contrats d'avenir destinés en priorité aux jeunes des quartiers, François Hollande veut faire « péter » le plafond de verre qui empêche les zones urbaines sensibles de se sentir dans la République ».
Renaud Gauquelin
Maire de Rillieux-la-Pape, président de Ville et Banlieue
« Dix ans pour faire « entrer » les banlieues dans le droit commun »
« L'association Ville et Banlieue a présenté 120 propositions pour changer de politique de la ville. Notre démarche est d'autant plus intéressante que nous comptons dans l'association des maires de droite comme de gauche. Nous sommes favorables à un programme inscrit dans la durée, dix ans, après avoir défini les priorités. Cela nous permettrait d'éviter les effets néfastes du stop-and-go, qui a causé beaucoup de torts à la politique de la ville.
Mais nous ferions chaque année une évaluation des chantiers
engagés pour les réorienter si nécessaire. Nous souhaitons la création d'un ministère d'État, pour permettre à tous les territoires français d'« entrer » dans le droit commun dans les meilleurs délais. On ne veut plus que les banlieues soient le reflet d'une France en pire. Ce combat sera radicalement politique. Nous proposons par exemple de faire payer aux communes réticentes le prix des logements sociaux manquants sur leur territoire. Une telle mesure aurait certainement pour effet immédiat de créer plus de mixité sociale. Nous souhaitons que les policiers soient présents dans les quartiers où les besoins se font sentir. Nous voulons que le décrochage scolaire devienne une priorité nationale, que des mesures importantes soient prises pour ramener dans le droit chemin les gamins perdus. Enfin, il faut redonner aux personnels encadrants de la politique de la ville des sources de motivation importantes pour les remobiliser.
L'esprit pionnier des années quatre-vingt-dix a disparu parce que le portage politique n'est plus autant affirmé qu'auparavant. On me dit aussi qu'en 2007, la banlieue était plus présente, que la candidature de Ségolène Royal suscitait plus d'enthousiasme. Il ne faut pas oublier le contexte, deux ans après les émeutes de 2005. La défaite de Royal a entraîné une démobilisation. Les habitants des quartiers attendent des mesures concrètes ».
À lire
- « Il faut fusionner l'urbain et le social », Interview de Jacques Donzelot
- Savez-vous parler la politique de la ville ? La Lettre du cadre territorial n° 435, 15 janvier 2012
- Politique de la ville, l'action publique en miroir, La Lettre du cadre territorial n° 434, 15 décembre 2011
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