Le magazine des professionnels de la gestion territoriale.
Un magazine à destination des cadres de la filière administrative qui balaye l'ensemble des questions managériales et décrypte l'actualité dans les domaines RH, finances et juridiques sur un ton impertinent, engagé et incisif.
|
A partir de : |
![]() |
Article du numéro 437 - 15 février 2012
Les collectivités territoriales (comme les chambres consulaires) présentent l'originalité d'avoir une double chaîne de commandement : politique et administrative. En cela, elles sont fondamentalement différentes des entreprises et des administrations de l'État. Dans ces dernières, le politique est certes présent mais de manière indirecte. Tous les articles du numéro 437 |
Télécharger cet article en PDF
Théoriquement, la place et le rôle des uns et des autres sont très clairs. Les élus déterminent les orientations politiques et l'administration les met en ½uvre. Dans la réalité, les choses sont bien plus compliquées car les jeux d'acteurs entrent en scène.
Cette complexité ouvre des zones de risques pour le cadre territorial, lesquelles ont été très bien analysées par Denys Lamarzelle qui a beaucoup publié sur le sujet et qui parle d'« aigle à deux têtes » pour désigner le couple DGS-patron de l'exécutif.
Cette zone de risques peut être réduite à condition de ne pas commettre d'erreurs dans la relation élus-cadres.
Les élus sont des gens comme les autres, sauf que...
D'abord l'élu est en général porté par des convictions sur le bien, le juste, l'économique, le social... Plutôt que de garder ses convictions pour lui, il a décidé de les porter sur la place publique. Il a une vision militante de son rôle qui le rend exigeant avec lui-même et donc aussi avec son entourage. Il a renoncé très souvent à ce que le commun des mortels appelle « une vie normale ». Il aura tendance à penser que tout le monde vit comme lui. Cela va créer de sa part une demande de disponibilité pas toujours compatible avec le temps que vous pouvez ou souhaitez consacrer à votre vie professionnelle.
Avant d'être élu, il lui a fallu être désigné, c'est-à-dire avoir éliminé ses rivaux. Or, l'affrontement politique entre adversaires est d'une grande aménité comparé aux luttes internes pour la désignation. Ces luttes laissent des meurtrissures durables et des jeux d'acteurs complexes qui se prolongent longtemps. Il vous faudra éviter d'en être complices ou victimes.
Enfin l'élu est élu. Il a reçu l'onction du suffrage universel. Cela peut le rendre très réticent à la critique (même constructive) et hermétique au conseil. Le pouvoir attire souvent une cour de flatteurs qui renforce cet aspect des choses. Enfin l'élu a dû séduire pour l'emporter. La séduction peut devenir un comportement avec ses bons et ses mauvais côtés.
Les élus peuvent se diviser en deux types : Cincinnatus et César. Cincinnatus est ce consul qui, dans l'antiquité romaine a reçu du Sénat le titre de dictateur pour battre l'ennemi. Il le fait en quelques jours, rend ses insignes et retourne à sa charrue devenant ainsi « un symbole de dévouement au bien public, de vertu et de modestie » (Wikipedia). César, lui, symbolise la transgression (le Rubicon), l'ambition et la conquête. La politique et les médias mettent en avant les élus « César » bien plus spectaculaires. Ce sont souvent eux qui cumulent les mandats. Mais la plupart des élus locaux de terrain sont des élus « Cincinnatus » sans lesquelles les institutions territoriales ne tourneraient pas.
Cette typologie est relative à l'énergie de l'élu, là où il la met et là où il trouve sa satisfaction. Est-il plutôt sensible au fonctionnement de son institution, à sa bonne gestion ? Ou est-il plutôt axé sur la politique au sens noble du terme, à une vision de ce qu'il veut changer, entreprendre ? Ce qui se joue ici c'est la délégation dont le cadre pourra bénéficier avec un élu visionnaire. La marge de délégation sera bien moindre avec un élu gestionnaire, plus préoccupé de faire tourner la boutique que d'inventer des projets. C'est encore plus compliqué quand l'élu a reçu une délégation dans un domaine qui recouvre son activité professionnelle : un enseignant élu aux affaires scolaires, un urbaniste à l'aménagement...
Cincinnatus ou César, visionnaire ou gestionnaire. Le curseur est différent d'un élu à l'autre. Et différent chez un même élu en fonction de son déroulement de carrière. Disons simplement qu'on a beaucoup à gagner et qu'on ne s'ennuie jamais à collaborer avec un élu de type César et (ou) visionnaire, même si ce n'est pas de tout repos ! Mais encore faut-il installer la confiance et ne pas la laisser s'altérer quand elle existe.
Les conseils qui suivent visent donc à créer les conditions de la confiance en évitant les pièges et maladresses qui peuvent coûter si cher.
La spécialisation du cadre peut l'enfermer dans sa vision technique. Or, la dimension technique n'est qu'une facette de la réalité. Ce n'est pas toute la réalité ; rien n'indispose plus un élu qu'un cadre monomaniaque, qui ne voit les choses que par sa technicité et ne mesure pas tous les impacts de ses préconisations. Ce qui se joue ici, c'est la capacité d'aide à la décision. Quand des propositions venues des cadres sont retoquées par les élus, c'est parce qu'elles en ignorent certains impacts. Ou qu'elles ne prennent pas en compte des préoccupations des élus pourtant connues. Vous devrez donc avoir une vision politique : une vision globale, systémique, qui prend en compte la complexité de la situation et des différents acteurs.
Cette posture est inconfortable car il s'agit d'être compétent techniquement tout en dépassant cette technicité pour intégrer à vos propres préconisations tous les aspects à prendre en compte. Ces aspects peuvent être secondaires pour vous : ils sont déterminants pour le décisionnaire final qu'est l'élu.
Bien des cadres abîment leur image en toute bonne foi et en toute inconscience. Très souvent parce que la simple analyse de la demande de l'élu se heurte à des moyens qu'ils n'ont pas, au temps qui leur manque ou au strict respect de la légalité. La tentation, c'est de répondre du tac au tac : « c'est impossible, on ne peut pas ». Parfois, un élu pose une question à laquelle le cadre n'a pas la réponse, soit parce qu'elle est trop complexe pour y répondre immédiatement, soit parce qu'elle est détenue par une tierce personne, souvent un collaborateur. La tentation est de dire « je ne sais pas ». Attention ! On peut le faire une fois ou deux mais pas plus car ce type de réaction vous grillera irrémédiablement.
Que faire ? Il s'agit de ne pas répondre sur le fond de la question, puisqu'on ne peut ou ne veut pas, mais plutôt de se positionner sur des éléments connexes mais fondamentaux qui permettent de ne pas se piéger. Autrement dit, il faut savoir en pareil cas différencier trois choses : le sens de la demande, le contenu opérationnel de la réponse et le processus qui permettra d'élaborer la réponse. À défaut de pouvoir apporter une réponse sur le contenu, vous devez vous intéresser au sens de la demande : pourquoi cette demande, avec quel niveau de réalisation, dans quels délais ? Cela vous évitera par exemple de fabriquer une horloge à l'élu alors qu'il ne demande que l'heure. Puis indiquez un processus de réponse crédible avec des étapes et un délai de « livraison » qui devra être contractualisé avec l'élu.
N'oubliez pas non plus que votre fonction de cadre consiste à proposer des idées, des solutions créatives et de dépasser les limites dictées par les moyens dont vous disposez. Parallèlement à cela, contractualisez avec vos collaborateurs, dans le cadre d'une saine délégation, vos besoins de retours d'information en temps et en heure. Cela vous évitera d'être secs face à un élu qui vous pose une question dans votre domaine de responsabilité.
Les attentes latentes sont celles qui ne sont pas exprimées. Les raisons en sont multiples : la méconnaissance, la pudeur, la peur de s'exposer. L'élu peut ainsi apprécier que vous l'accompagniez sur le terrain car il ne veut pas être confronté seul au public. En effet, et c'est paradoxal, bien des élus répugnent au contact direct avec le citoyen. Évidemment ils ne l'avoueront jamais. L'élu peut aussi apprécier de passer des moments informels de discussion, notamment lors de déplacements et de voyages car il se sent finalement seul et qu'il a envie de vrais échanges. Là non plus, il ne le dira jamais. Mais il appréciera que vous lui proposiez même si pour vous ce temps passé l'aura été au détriment de votre c½ur d'activité.
Bien des élus ont des dadas. Autrement dit des goûts qui ne relèvent pas de la haute politique mais d'une préférence, d'une envie, d'une obsession, d'un goût personnel. Ce sont des choses qu'ils veulent absolument ou qu'ils ne veulent pas ! Cela peut parfois dérouter et choquer l'encadrement car inusuel, puéril, pas prioritaire, coûteux. Le risque, c'est d'ignorer consciemment ou inconsciemment ces dadas ou de les évoquer avec ironie ou mépris. Cela peut coûter cher au cadre. Au contraire, le fait de les reconnaître et les intégrer à vos propositions leur donne une sorte de mieux-disant qui peut faire la différence.
Il n'est pas interdit à un cadre d'avoir de bonnes idées et de les proposer aux élus. Au contraire, rien n'est plus gratifiant de voir nos idées récupérées par les élus et devenir des réalisations concrètes. Mais attention : avoir de bonnes idées est une chose, faire savoir à tout le monde que c'était NOTRE idée en est une autre. Il faut savoir laisser à l'élu la paternité d'une idée qu'il n'a pas eue et la jouer modeste. Votre élu vous en saura gré et reconnaîtra vos mérites le moment venu. Il faut donc savoir différer une satisfaction narcissique immédiate, qui risque de vous coûter cher, au bénéfice d'un retour plus lointain mais réel si votre élu est, comme on dit, quelqu'un de bien.
Les élus sont en général très mal à l'aise avec les conflits. Ils sont d'autant plus réticents d'avoir à trancher ceux qui sont provoqués par le positionnement ou les comportements de leurs collaborateurs. Les conflits de transversalité et les conflits de personnalité doivent être réglés par la hiérarchie administrative. Parallèlement, les élus ou les chefs d'exécutifs ne doivent trancher que les conflits qui relèvent de leur responsabilité politique. Si, malgré votre performance individuelle, vous générez trop de conflits collatéraux sans en assurer la résolution, vous le paierez d'une manière ou d'une autre.
Les conseils précédents pourraient donner l'impression qu'il s'agit de « coller » à l'élu et de satisfaire toutes ses demandes sans broncher. Il n'en est rien. Vous avez le devoir de dire non si votre sentiment d'intégrité personnelle est affecté par la relation. L'intégrité personnelle, c'est la cohérence entre ce que vous faites et vos valeurs. C'est cet alignement personnel qui permet de jouer un rôle constructif dans la relation à l'élu.
Vous vous positionnerez clairement par rapport à vos élus et vous ferez reconnaître vos compétences, vos valeurs et vos droits, comme le droit à un équilibre vie privée-vie professionnelle. Ce que peuvent vous apporter les conseils ci-dessus, c'est de pouvoir installer une base de confiance et de qualité relationnelle vous permettant de dire non quand il le faut, sans casser la relation avec votre élu.
En résumé, la collaboration avec les élus repose sur une alchimie complexe où se mélangent le relationnel et le professionnel.
La dimension relationnelle n'a rien à voir avec le fait d'épouser les options politiques de l'élu. Ce n'est pas là que se joue la confiance. Cela peut être un « plus » temporaire, mais à moyen terme cela peut être un handicap. Être membre du parti de votre élu peut vous amener à tremper dans des combines d'appareil qui peuvent se retourner contre vous. Garder une certaine distance permet de se donner de l'air dans bien des circonstances. La relation se joue en réalité sur des aspects plus personnels. Et ceci vaut aussi pour des fonctions de cabinet.
La qualité de la relation se fonde aussi sur la dimension supplémentaire que vous apporterez à votre professionnalisme : vous serez en permanence une solution pour lui. Être une solution, cela signifie savoir tirer les épines du pied de votre élu, être constamment une ressource pour lui. Cela suppose de bien le connaître, de savoir ce qu'il veut et ne veut pas, ce qu'il aime et n'aime pas et de jouer pleinement votre rôle de proposition et d'aide à la décision. Le mieux, c'est d'apprendre à le connaître, sans préjugé, et de contractualiser, avec lui, régulièrement, la manière de fonctionner ensemble, en vous respectant et vous préservant vous-même en même temps. Élu et cadre sont en quelque sorte un couple qui a besoin régulièrement de refonder sa manière de vivre et travailler ensemble pour durer.
Emmanuel Cattiau,
DGS d'une commune de 9 000 habitants
L'école de l'humilité
L'alchimie de la relation de confiance entre l'élu et son cadre dirigeant, nécessite de s'impliquer mais pas de se renier. La différence entre le cochon et la poule dans l'omelette au jambon, c'est que la poule participe et le cochon s'implique. Nous sommes bien dans le paradoxe du technicien qui se jette dans l'arène complexe de la relation étroite avec un élu qui ne vit souvent que pour son engagement, ses idées, ses combats.
Pour autant, dans toute alchimie, l'évolution s'opère par étapes et celle de la séparation est aussi importante que l'adhésion. « Solve coagula » diront les opératifs du Grand ½uvre, mais la grandeur de l'½uvre ne se mesure qu'à l'aune de l'humilité de l'opérateur. Pour quitter la métaphore, outre les excellents conseils de cet article en forme de viatique pour les dirigeants territoriaux, notre compétence est notre seule armure et notre capacité de discernement notre seule boussole. Et dans toute « queste », avec le temps, notre pire ennemi est nous-même. Inutile donc de faire porter la responsabilité des problèmes à l'élu car en matière de querelle d'ego, l'élu se sentira toujours plus légitime car issu du suffrage universel. Alors il faudra penser à partir pour réaliser une nouvelle étape de sa carrière et affronter d'autres épreuves.
..., DGS d'une commune de 7 500 habitants.
Proches... mais distants
Mes rapports avec le maire sont remplis d'une série de paradoxes. Ils sont à la fois proches et distants. Je dois être à la fois en accord avec sa démarche tout en gardant une capacité critique, et même une fonction d'alerte. C'est sans doute cela qui fait que de temps en temps l'on se retrouve entre le marteau et l'enclume, mais l'intérêt de cette relation est aussi qu'elle est avant tout
humaine, dans les bons et les mauvais sens du terme. Un élu, comme nous tous, peut être en proie au doute, à la fatigue, à la maladie, à l'exaspération. Il faut savoir lire dans son comportement.
Je dois aussi faire avec la susceptibilité de l'élu. Je pense que les élus ont un rapport particulier à l'ego, et que ce rapport naît de leur propre fonction. Il faut savoir amener les choses.
Finalement, nous devons être le complément des élus avec qui nous travaillons. Mon rôle consiste bien souvent à sécuriser le maire sur ses objectifs. Lorsqu'il recherche la synthèse ou une vision politique globale, je recherche le détail et j'analyse la complexité des dossiers, les écueils éventuels. Quelquefois, je suis réduit au rôle de faire-valoir, et je m'en accommode. Sur les réponses aux candidatures, par exemple, nous avons pour consigne de répondre à chacune d'entre elles. Mais M. le maire signe les réponses positives quand je signe les réponses négatives...
Éric Philippart,
DG de l'OPAC de Saône-et-Loire
Le moteur de la confiance, c'est le projet
Je suis aujourd'hui DG d'un office, un statut dont il y aurait sans doute à s'inspirer, après avoir exercé les mêmes fonctions dans une communauté urbaine et auparavant dans une commune. Même si cela paraît très banal, je crois que le principal moteur d'une relation cadre/élu, c'est la rigueur professionnelle, la confiance et l'adhésion à un projet politique municipal. Le DG doit à la fois jouer le rôle d'expert de l'action publique dans l'aide à la décision et la mise en ½uvre du projet pour lequel il a été recruté. Bien sûr, tout cela se trouve forcément compliqué notamment du fait des décalages des temps. Le temps politique n'est pas celui de l'administré, ni celui du développement politique et social. De plus, cette relation ne s'impose pas, elle se construit en permanence, au fil des dossiers, des problèmes et des réussites. C'est ce qui rend d'ailleurs la fonction passionnante. Dans un office de l'habitat, le DG recrute les collaborateurs, met en ½uvre les décisions adoptées par un CA, il rend compte formellement une fois par an de sa gestion devant le conseil d'administration : c'est plus clair en terme de responsabilité, avec des marges de man½uvre plus importantes.
Pierrick Lozé
DGS de Moulins communauté, administrateur national du SNDGCT
Auteur de l'ouvrage : Le couple infernal maire/DGS (éditions Territoria, 2010)
Équilibre instable
Pour écrire le livre sur « le couple infernal maire/DGS », j'ai été amené à rencontrer des maires et des DGS, afin d'aller au-delà des mots. J'ai été frappé par l'expression de l'un des maires qui parlait, pour qualifier la relation entre un élu local et un cadre territorial, d'équilibre instable.
« Si nous voulons inscrire cette relation dans la durée, me dit-il, il faut qu'elle puisse reposer sur une espèce d'équilibre où l'élu apporterait sa légitimité démocratique et sa vision politique et le cadre territorial, sa compétence, sa modestie et son courage - car il faut parfois résister aux élus ». Mais cet équilibre théorique est soumis aux turbulences du temps ; il est aussi lié aux personnalités des protagonistes et à leurs
capacités à faire le dos rond, par gros temps. Cet équilibre est donc instable parce qu'il repose à la fois sur des éléments tangibles, à savoir l'onction démocratique et la compétence professionnelle mais aussi sur des éléments plus immatériels, ceux qui ont trait au savoir être et au caractère ainsi qu'à l'ego (les élus en ont souvent beaucoup même si certains cadres n'en manquent pas...), autant d'éléments fragiles et variables par nature. La stabilité de l'équilibre ne pourrait s'envisager que si, et seulement si, cette relation était désincarnée, ne reposant que sur l'aspect professionnel. Mais elle est au contraire humaine, profondément humaine, et donc sujette aux soubresauts, aux mouvements d'humeur, aux jours sans et aux jours avec. À la dimension très professionnelle de la relation, il faut être capable évidemment, d'ajouter de l'intelligence relationnelle, mais dans quelle proportion, je n'en sais rien et c'est sans doute pour cela que l'équilibre de cette relation est instable.
À lire
- Demain, des élus plus pros, La Lettre du cadre territorial, n° 393, 15 janvier 2010.
- Nouveaux élus, nouvelles méthodes ! La Lettre du cadre territorial, n° 360, 1er juin 2008.