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Soigner la maladie de la norme

Article du numéro 428 - 15 septembre 2011

Interview

Alors qu'il devrait favoriser la culture de projets et les initiatives locales, l'édifice normatif est devenu une invraisemblable source de complexité. La fracture est béante entre un État prescripteur de contraintes nouvelles et des collectivités sommées de financer des dispositifs pensés au niveau national. Au-delà de la simplification des normes existantes, Éric Doligé prône un big bang de la culture normative de l'État et la mutation profonde de la gouvernance normative, afin qu'un dialogue équilibré s'installe entre échelons central et local.

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Éric Doligé
Sénateur (UMP) et président du conseil général du Loiret, il a remis au président de la République, le 16 juin 2011, un rapport sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Une proposition de loi, déposée au Sénat le 4 août, reprend les 268 propositions de simplification préconisées. Elle doit être discutée d'ici la fin de l'année (Rapport et proposition de loi : www.senat.fr).


Les collectivités font face à des exigences administratives toujours plus nombreuses et plus complexes. Comment expliquer cette inflation normative ?

C'est un phénomène ancien et le reflet d'une incompréhension grandissante entre l'échelon central et le niveau local. D'un côté, la volonté de réformer, d'améliorer, de répondre à l'urgence médiatique pousse le législateur et les administrations centrales à l'élaboration constante de règles nouvelles. Cette croyance inconditionnelle dans les vertus de la norme, dans sa capacité à améliorer l'intérêt général favorise un certain zèle normatif. Il n'existe pas véritablement de stratégie normative, chaque ministère étant autonome sur sa production juridique, dans le respect de l'article 21 de la Constitution.

De l'autre côté, l'extrême précision réglementaire des décrets et surtout des arrêtés et circulaires est ressentie sur le terrain comme un excès de défiance, une présomption d'incapacité à remplir l'objectif de la norme en dehors d'un cadre prédéterminé. Les textes se superposent créant davantage d'obligations et en dépit de l'effort de simplification depuis quelques années, l'impression d'une charge normative toujours plus lourde prédomine, laissant peu de place pour l'innovation et la créativité, qui font la valeur ajoutée de nos territoires.


Que proposez-vous pour modifier la gouvernance normative État- collectivités ?

La mise en place d'une instance d'évaluation partagée des normes. Capable de modéliser l'impact financier par type de collectivité, elle comprendrait des personnels de l'État et des collectivités, et disposerait d'un système d'information partagé. Je préconise également de structurer les processus de consultation pour permettre aux collectivités d'exercer « un contre-pouvoir normatif ». Au niveau européen, il s'agit d'intégrer dans la fiche d'impact simplifiée l'impact financier, de s'assurer que les projets de réglementation sont présentés à la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN), d'associer les collectivités aux groupes de travail et de définir un mode de consultation formelle des collectivités.

Au niveau national, chaque ministère a développé une méthode plus ou moins participative en direction des collectivités. Mais, dans la mosaïque de commissions existantes, seuls le comité des finances locales, la commission consultative d'évaluation des charges et la CCEN semblent en mesure de développer une approche transversale de la réglementation applicable aux collectivités. Cependant on peut s'interroger sur la capacité des élus à exercer un contre-pouvoir normatif efficace en l'absence de véritables instruments de contre-expertise. C'est pourquoi la CCEN devrait pouvoir bénéficier de l'expertise d'un pôle de compétences financier pour vérifier la pertinence des études d'impact présentées.


Il faut aussi, dites-vous, changer en profondeur la culture normative de l'État. Comment y parvenir ?

En imposant une obligation de résultat plutôt que de moyen, en privilégiant les référentiels de bonnes pratiques aux textes réglementaires à portée contraignante, en limitant à quinze le nombre de ministères et en empêchant qu'un texte puisse porter le nom d'un ministre ou d'un parlementaire, en créant un outil de planification de l'ensemble de l'activité réglementaire validée en début d'année en conseil des ministres et définissant l'ensemble de la stratégie normative, en déterminant des règles de stabilité minimale des textes dans le temps, associées à une clause de révision périodique, selon l'exemple des sunset law américaines.

La compétitivité et la réactivité des territoires sont également entravées par la surenchère normative et la mauvaise transposition des textes communautaires. Pour maintenir la compétitivité des territoires et attirer de l'emploi, il est essentiel de mettre un terme à cette pratique, en transposant directement les nouvelles directives sans verbatim.


Une meilleure adaptation de la norme aux réalités locales passe-t-elle aussi par la reconnaissance à l'échelon local d'une capacité d'adaptation des lois et règlements ?

C'est une nécessité. Les collectivités ne constituent pas un bloc monolithique, réparti de manière mathématique et homogène. L'application uniforme des règles de droit à des collectivités aussi hétérogènes n'est pas sans poser de difficultés, et les contraintes normatives sont d'autant plus lourdes que la collectivité ne dispose pas de toute l'ingénierie nécessaire, ce qui est le cas de la majorité des petites communes.

Afin de s'adapter à cette inégalité de fait, je propose de moduler le droit en fonction de la taille des collectivités concernées. Il s'agirait d'introduire en droit un principe d'équité et d'adaptation favorisant l'établissement de règles prévoyant elles-mêmes, lorsque l'application uniforme de leurs dispositions de détail s'avère inadaptée, de déroger, suivant des mécanismes encadrés, aux dispositions qu'elles édictent (1).
Par ailleurs, face au manque de souplesse dans l'application du droit au niveau local, il serait utile d'instituer une instance de dialogue et de concertation au niveau local pour pallier les difficultés des procédures de recours et permettre des dérogations locales. Composée d'anciens élus, elle serait chargée d'examiner les conflits entre les collectivités et l'État sur l'application d'une norme.


L'État devrait-il payer les conséquences des règles qu'il édicte en finançant un fonds de compensation comme le propose le sénateur Claude Belot (2) ?

Une telle proposition condamnerait toute réforme nationale. J'ai préféré opter pour une solution plus pragmatique. Afin de protéger les collectivités contre les conséquences financières de l'activité normative de l'État, il me paraît nécessaire d'introduire en droit français un principe de proportionnalité, au sens du droit communautaire - défini comme l'exigence que toute charge imposée au destinataire de la règle de droit soit limitée à la stricte mesure nécessaire de l'objectif à atteindre et requière un minimum de charges pour le destinataire de la norme. Il faudrait aussi étendre le droit de compensation des collectivités aux aménagements et approfondissements des compétences prévus par la loi (à l'exception des lois de transposition des directives communautaires). Parallèlement, il convient enfin de réaliser un suivi long terme du coût réel des normes intégrant l'ensemble des coûts cachés.

1. La proposition de loi introduit le principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités, en permettant au préfet d'accorder des dérogations dans l'application des textes réglementaires, notamment dans trois domaines : l'accessibilité des établissements recevant du public (en cas d'impossibilité technique ou de coût exorbitant des aménagements), la restauration collective (qualité nutritionnelle des repas) l'agrément des assistants maternels et familiaux (adaptation des critères d'agréments par le conseil général).
2. Rapport sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriale, juin 2009.