Guide de jurisprudence

Accueil > Magazines > Guide de jurisprudence

La Lettre du Cadre Territorial

Un magazine à destination des cadres de la filière administrative qui balaye l'ensemble des questions managériales et décrypte l'actualité dans les domaines RH, finances et juridiques sur un ton impertinent, engagé et incisif.

Ajouter au panier Vous abonner (voir tarif )
(Règlement par CB, chèque bancaire ou mandat administratif)

A partir de :

129 €

« Grands ensembles : l'État doit reprendre la main »

Article du numéro 420 - 15 avril 2011

Interview

En parcourant l'histoire des grands ensembles, Pierre Merlin pointe les défaillances de l'État. Il invite à une prise de conscience collective et solidaire de l'importance du logement dans la formation du pacte républicain.

Envoyer cette page à un ami

Soyez le premier à rédiger un commentaire !

Tous les articles du numéro 420

Télécharger cet article en PDF

Pierre Merlin est professeur émérite à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) et président de l'Institut d'urbanisme et d'aménagement de la Sorbonne. Il vient de publier : « Les grands ensembles - Des discours utopiques aux quartiers sensibles » à la Documentation française.


Vous assurez que les grands ensembles sont nés d'une volonté politique d'amélioration des conditions de vie des personnes. Cet esprit prédomine-t-il encore dans le domaine du logement ?

Non. Il est vrai que la trame de mon livre met en évidence ce combat des pouvoirs publics pour loger la population dans les meilleures conditions. Aujourd'hui, on insiste beaucoup sur l'enfer des cités mais il était pavé de bonnes intentions. La dégradation de l'image des grands ensembles n'est pas liée au seul cadre physique mais à la paupérisation de la population qui y vit.


N'était-ce déjà pas le cas au début du 20e siècle, où les premiers logements à caractère social sortaient de terre ?

Il y a eu une accélération de la paupérisation que je situe dans le sillage de la loi Raymond Barre du 3 janvier 1977 et qui a consisté à individualiser l'aide à la pierre avec la création de l'allocation personnalisée pour le logement (APL). C'est ici, à mon sens, que se situe le tournant de l'aggravation de la paupérisation de la population dans les grands ensembles. Avec l'APL, l'effort de l'État ne s'est plus porté sur la construction mais a donné, en quelque sorte, carte blanche aux ménages pour choisir le lieu de leur habitation. Une partie de la population, plus solvable qu'une autre, a fait le choix de quitter les grands ensembles, notamment dans les lotissements en périphérie ou dans le parc privé.

Il y a donc eu un changement radical de peuplement et une prévalence de la pauvreté dans les HLM. Au sortir de la guerre, 2 % de la population française disposaient de WC, de salles d'eau et de chauffage à l'intérieur de la maison. C'est dire à quel point les grands ensembles ont constitué un progrès immense en termes de renouvellement du cadre de vie. Le profil socio-économique de ces habitants était plus élevé qu'aujourd'hui : le revenu moyen des personnes vivant dans les HLM était au-dessus du revenu moyen des Français.


C'était une époque où la mixité sociale était mieux partagée dans ce pays...

Oui. Aujourd'hui, il est clairement plus difficile d'en faire un objectif absolu, surtout à l'échelle d'un immeuble. La loi SRU tente vainement de la mettre en place à travers une répartition territoriale du logement social plus équilibré. Mais cette loi et son article 55 sur les 20 % de logements sociaux pour toutes les communes ne sont pas assez contraignants. Il faudrait rehausser progressivement ce pourcentage, sans intégrer dans ce calcul des formes plus douces de logement social. Quant aux pénalités infligées, elles restent dérisoires et il serait judicieux de les augmenter de façon considérable. Beaucoup de communes préfèrent payer les amendes ou s'attellent à construire du logement social plus par esprit civique qu'autre chose.


Faudrait-il, pour y parvenir, que l'État reprenne en main la gestion du sol ?

Je suis un jacobin extrémiste (sourires). Je ne suis pas sûr qu'en matière d'urbanisme, la décentralisation ait apporté de véritables améliorations à nos concitoyens. Il me paraît dangereux de confier de tels dossiers sensibles à des élus de proximité, liés à des intérêts électoralistes à court terme. Le développement de la coopération intercommunale permet aujourd'hui de corriger quelque peu les dégâts de la décentralisation. Mais pas assez. Nous avons pris beaucoup de retard. Il faut s'inspirer de l'exemple anglais où toutes les décisions importantes en matière d'habitat sont prises par le district et non pas par les communes, district dont le bassin de vie minimal est de 250 000 habitants.


Les élus n'évoluent-ils pas dans le bon sens face à la crise récurrente du logement ?

On peut l'espérer. Mais le réflexe reste la prudence. Pour mettre en place une politique urbanistique raisonnée, il faut des élus d'une certaine surface. Il est aussi nécessaire que l'État fasse preuve d'une plus grande pédagogie. Il est capable d'être convaincant dans un domaine comme l'environnement, par exemple. Pourquoi ne le serait-il pas sur l'urbanisme ? On ne peut pas reprocher à la population son ignorance sur l'importance d'un habitat équilibré si rien n'est fait pour l'informer des enjeux. La crise du logement peut accélérer en effet cette prise de conscience.


L'État a essayé de multiplier les dispositifs innovants : le droit au logement opposable, la maison à 100 000 euros de Borloo, celle à 15 euros par jour de Boutin... Pourquoi cela ne marche-t-il pas ?

Nous sommes chaque fois dans le gadget. Chaque ministre veut laisser sa trace. Le Dalo est un échec, une loi adoptée dans la précipitation à des fins uniquement électoralistes. Le plan national de rénovation urbaine (PNRU) de Borloo a été révisé à la baisse puisque les objectifs annoncés étaient irréalisables. Je suis choqué par cette frénésie de démolition qui guide l'action de l'agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Je sais que je suis un peu seul à défendre ce point de vue.

J'estime que le coût de la rénovation serait moins élevé que celui de la démolition, surtout lorsque l'on compte le nombre de personnes sans logement. Mais peut-être qu'une démarche si radicale arrange les professionnels de la construction, qui en tirent un bénéfice financier plus important. Mais aussi les élus, qui ne désespèrent pas de changer de population ou encore les gens qui habitent dans ces HLM et qui espèrent être débarrassés de familles peu fréquentables. En fait, à travers ces démolitions, on ne fait que stigmatiser un peu plus les grands ensembles en question.


Il est de bon ton d'accuser la politique de la ville d'impuissance en la matière. Un certain optimisme caractérise les passages de votre livre sur le sujet. Pourquoi ?

La politique de la ville a toujours hésité entre l'intervention sur le cadre bâti ou sur la dimension humaine. La vérité est sans doute au milieu. Sans la politique de la ville, la relégation de ces grands ensembles aurait sans doute été plus grande. La meilleure période de la politique de la ville se situe dans les années quatre-vingt. Elle s'incarnait dans le discours d'un élu, le maire de Grenoble de l'époque, Henri Dudebout. Son volontarisme a permis d'entraîner une conscience politique de la population. Il a réussi à démontrer concrètement que le logement social n'était pas synonyme de mal vivre. Il faut revenir à ce discours.

Les Français doivent comprendre qu'une grande partie de nos problèmes sociaux provient de cette gestion imparfaite des grands ensembles. Il faudra dépenser beaucoup de temps et d'argent pour y parvenir. Il ne faut pas baisser les bras. J'étais un des rares à l'époque à mettre en avant l'importance du développement des transports urbains en matière d'aménagement. Il a fallu une génération et demie pour que cette priorité fasse l'objet d'un consensus. Le logement bénéficiera peut-être un jour d'une approche aussi consensuelle.