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Article du numéro 419 - 01 avril 2011
Le syndicat mixte des aéroports de Charente attaque en justice la compagnie Ryanair. Il lui réclame un million d'euros pour avoir brutalement déserté le tarmac charentais. Une première judiciaire dans le bras de fer qui oppose des collectivités à la compagnie low-cost irlandaise. Le début de la fin d'un modèle ultra-profitable ? Tous les articles du numéro 419 |
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Le Syndicat mixte des aéroports de Charente (1) a signé une convention avec Ryanair, en janvier 2008. Il s'y engage à verser à la compagnie une aide de 925 000 euros (HT) sur trois ans, en contrepartie de l'engagement de celle-ci d'assurer pour cinq ans (2008-2012) une rotation Angoulême-Londres, trois fois par semaine, d'avril à octobre. Conformément à la législation européenne, les aides publiques ne concernent que les trois premières années et respectent le principe de dégressivité : 400 000 euros en 2008, 300 000 en 2009 et 225 000 en 2010. Officiellement, il ne s'agit pas d'une aide directe, interdite par la réglementation, mais d'une « contrepartie support marketing » destinée à financer la publicité de la société sur internet.
En décembre 2009, Ryanair, prétextant la crise économique, change brutalement les règles du jeu et exige que le SMAC s'acquitte, pour 2010, d'une somme équivalente au premier versement, soit 400 000 euros contre les 225 000 prévus. Une exigence que la compagnie assortit d'une menace : en cas de refus de la collectivité, elle cessera toutes ses liaisons depuis l'aéroport d'Angoulême-Brie-Champniers. Ryanair n'en est pas à son coup d'essai. Avant celui d'Angoulême, d'autres aéroports se sont vus sommés de mettre la main à la poche. En 2007 par exemple, arguant d'une baisse de rentabilité durant la période hivernale, la compagnie a fermé sa liaison quotidienne entre Poitiers et Londres de mars à novembre, et ne l'a reprise qu'après avoir obtenu une rallonge.
Le sénateur et président du conseil général de Charente, Michel Boutant, refuse de céder à ce qu'il qualifie de « diktat » : « J'ai souhaité que l'on arrête les frais tout de suite. Ryanair exigeait 175 000 euros de plus la 3e année. Et les années suivantes, quel aurait été le montant ? J'ai dénoncé publiquement ce qui s'apparente, ni plus ni moins, à un racket, et invité toutes les collectivités victimes du même chantage à s'unir contre ces pratiques » (cf. encart). Devant ce refus, Ryanair propose de maintenir le montant d'aide au niveau initialement prévu, mais en limitant le service aux deux seuls mois d'été au lieu des huit mois prévus au contrat. Le Syndicat écarte la proposition et, le 1er avril, la compagnie interrompt ses vols, laissant le ciel et le tarmac charentais vide de toute activité. Pour rompre la convention, elle dénonce la rupture d'une clause de confidentialité : les élus n'auraient pas respecté le contrat liant les parties en exposant publiquement les nouvelles exigences financières de la compagnie.
Le bras de fer se déroule à présent sur le terrain judiciaire. Le 30 juin dernier, le SMAC a saisi le tribunal administratif de Poitiers. Il dénonce la rupture brutale, injustifiée et unilatérale de la liaison aérienne. Selon lui, Ryanair était tenu par le contrat de poursuivre l'exploitation de la ligne en 2011 et 2012, après le versement des trois premières années de l'aide, sans contribution particulière ou supplémentaire. Surtout, le Syndicat présente la facture et réclame plus d'un million d'euros de dédommagement à la compagnie : « nous demandons à être indemnisés du préjudice qui résulte de l'abandon de la ligne. Pour s'installer, Ryanair avait posé comme conditions la réalisation de travaux d'aménagements de l'aéroport, le rallongement de la piste pour permettre le mouvement d'appareils de type Boeing 727, la mise en place d'équipements spéciaux pour l'approche sans visibilité... au total 836 000 euros d'investissements. Nous souhaitons aussi obtenir le dédommagement du déficit occasionné par le départ précipité de la compagnie et le remboursement d'une partie des aides marketing versées par avance alors que la ligne n'était plus exploitée », détaille Michel Boutant.
Ryanair tente de délocaliser le traitement judiciaire du contentieux. La société n'a pas déposé de mémoire en défense auprès du TA de Poitiers, mais a saisi fin décembre 2010, la Cour d'arbitrage de Londres. Visiblement échaudée par sa condamnation par le TGI d'Aix-en-Provence pour travail dissimulé, Ryanair préférerait être jugée en Angleterre plutôt qu'en France (2). Le SMAC a fait valoir devant la Cour londonienne que les contrats administratifs ne sont pas arbitrables. Les deux procédures vont continuer à se dérouler parallèlement, chaque juge se prononçant sur sa compétence à statuer sur le litige. Michel Boutant espère bien plaider sa cause devant le tribunal poitevin. Une décision en ce sens pourrait en effet constituer pour les collectivités confrontées aux agissements de Ryanair une incitation forte à suivre l'exemple charentais pour, à leur tour, résister aux diktats de la compagnie et, le cas échéant, la poursuivre en justice.
Dans le sillage de la Charente, les aéroports régionaux sont aujourd'hui plus nombreux à ne plus céder aussi facilement aux exigences de Ryanair. Bratislava, Malte, Gérone et Barcelone se passent désormais de ses services. En France, c'est l'aéroport de Pau qui, en février, l'a « remerciée » : la compagnie exigeait une augmentation de sa subvention de 100 000 euros, la CCI a répondu... en la supprimant. Une décision radicale rendue possible par l'arrivée sur le tarmac béarnais de la low-cost Flybe et de la filiale d'Air France, City Jet. « Ces nouveaux opérateurs ne réclament pas d'aides pour s'installer », affirme Patrick de Stampa, le président de la CCI de Pau.
Si elle venait à prendre de l'ampleur, la fronde des aéroports pourrait remettre en cause le business model de Ryanair, entièrement basé sur les subventions publiques. Entre les aides marketing et des conditions d'exploitation des lignes très favorables (ristournes sur les taxes d'aéroport, mise à disposition gratuite de personnels...), la Cour des comptes estime entre 32 et 35 M. d'euros le montant annuel des aides perçues par la compagnie en France. Air France, qui a déposé une plainte contre ces subventions, estime que Ryanair touche 660 M. par an de la part des gestionnaires d'aéroports en Europe. Un volume tel que les économistes relativisent aujourd'hui la profitabilité de l'entreprise : le CA est passé de 1,3 à 1,8 Md d'euros et le bénéfice après impôt de 268 à 387 M. d'euros entre 2004 et 2009. Si l'on soustrait le total des subventions publiques des résultats de Ryanair, l'entreprise serait... déficitaire en 2010.
1. Le département, le Grand Angoulême et la CCI d'Angoulême sont actionnaires du SMAC à hauteur de 32 % chacun. Les 4 % restant sont pris en charge par la CCI de Cognac, la CC de Braconne-Charente et la CC de Cognac.
2. Les salariés de Ryanair (installée à Marseille depuis 2006) étaient assujettis au droit du travail irlandais alors que la législation soumet les personnels navigants des compagnies étrangères installées en France au droit français.
Michel Boutant
sénateur et président du conseil général de Charente
« Nous avons été les premiers à nous opposer à Ryanair. Nous en payons le prix fort. J'ai écrit à mes collègues élus pour les appeler à la constitution d'un front commun (les aéroports de la Haute-Vienne, de la Vienne, de la Charente-Maritime, de la Dordogne, de l'Indre-et-Loire... sont concernés - NDLR). Chaque département pris individuellement est otage de la compagnie.
La société menace les réfractaires de fermeture de ligne et fait miroiter une augmentation de trafic pour les autres. Tant que des collectivités acceptent le diktat, le chantage continue. Seule une réponse collective pourrait faire reculer la compagnie. Je ne pense pas que l'adoption d'une position commune conduise à voir Ryanair quitter les aéroports régionaux. Je suis certain en revanche qu'elle l'obligerait à négocier avec des collectivités en position
de force. »
À lire
- Aéroports régionaux : le privé entre en piste, La Lettre du cadre territorial n° 413, 15 décembre 2010
- Brouillage sur les lignes aériennes en Auvergne, La Lettre du cadre territorial n° 408, 1er octobre 2010
- Chantage aérien, La Lettre du cadre territorial n° 393, 15 janvier 2010