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Conflits d'intérêts : ce qui va changer

Article du numéro 416 - 15 février 2011

Actualités

La commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique a rendu son rapport fin janvier. Elle prône « l'élaboration d'une véritable stratégie de prévention ». Les hauts cadres de la territoriale sont concernés par les mesures proposées. Un projet de loi devrait voir le jour et les élus locaux pourraient également être concernés.

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L'actualité pousse fréquemment les plus hautes autorités de l'État à créer une commission de réflexion et/ou à commander un rapport public. Il y a là une sorte de énième spécificité française comparable au plan local à la « réunionite aiguë ». En l'occurrence, le chef de l'État avait commandé le rapport en septembre 2010, au moment où l'affaire Woerth-Bettencourt battait son plein et quelques jours après la sortie du livre de Martin Hirsch, Pour en finir avec les conflits d'intérêts.

Le rapport rendu a la légitimité de la qualité des membres qui composent la commission : Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, Jean-Claude Magendie, ancien premier président de la cour d'appel de Paris et Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État. Néanmoins, on regrettera que, conformément à la demande du président de la République, le rapport rendu ne concerne pas expressément les élus locaux et les parlementaires. Les nouveaux dispositifs préconisés visent ainsi « seulement » leurs proches collaborateurs ainsi que les hauts cadres de la fonction publique territoriale. Il faut cependant espérer que le projet de loi qui devrait voir le jour dans les prochains mois s'attachera à établir de nouvelles règles pour l'ensemble des acteurs potentiellement concernés par la problématique des conflits d'intérêts et donc élus compris.


Le conflit d'intérêts : une situation d'interférence

La commission préconise d'inscrire dans une loi la notion de conflits d'intérêts. Pour la commission, un conflit d'intérêts est une situation d'interférence entre une mission de service public et l'intérêt privé d'une personne qui concourt à l'exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme pouvant influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions.

L'intérêt privé d'une personne concourant à l'exercice d'une mission de service public s'entend d'un avantage pour elle-même, sa famille, ses proches ou des personnes ou organisations avec lesquelles elle entretient ou a entretenu des relations d'affaires ou professionnelles significatives, ou avec lesquelles elle est directement liée par des participations ou des obligations financières ou civiles.


Des mécanismes préventifs

La commission recommande la mise en place dans chaque administration de dispositifs préventifs : des formations adaptées, des codes de conduite et chartes de déontologie incluant notamment des recommandations de bonnes pratiques dans les relations avec les représentants d'intérêts (« lobbyistes »). Est également recommandée la mise en place de mécanismes d'alerte permettant à un agent de signaler un risque d'infraction sans risque d'être sanctionné. En pratique, certains agents se sentent aujourd'hui parfois démunis entre une solution potentiellement excessive (dénoncer des faits au Procureur de la République en application de l'article 40 du Code de procédure pénale) et ne rien faire.

Il s'agit aussi de généraliser une obligation « d'abstention ou de déport » dans le traitement d'un dossier pour lequel les intérêts privés de l'acteur public sont de nature à compromettre ou paraître compromettre son indépendance, son impartialité ou son objectivité. Très concrètement, cette obligation devrait s'appliquer à tous types d'affaires (marchés publics...), y compris pour la nomination aux emplois publics. On comprend donc la nécessité d'élargir aux élus cette obligation même si elle existe en partie déjà compte tenu de l'existence du délit de prise illégale d'intérêts et de l'article L2131-11 du CGCT, relatif à la notion de « conseiller intéressé » qui précise que « sont illégales les délibérations auxquelles ont pris part un ou plusieurs membres du conseil intéressés à l'affaire qui en fait l'objet, soit en leur nom personnel, soit comme mandataires ».

La commission préconise également d'instaurer un dispositif de déclaration d'intérêts pour les acteurs publics les plus exposés, notamment les ministres, leurs proches collaborateurs, les plus hauts cadres des collectivités territoriales d'au moins 30 000 habitants, de même que les responsables des sociétés d'économie mixte, sociétés publiques locales, groupements d'intérêt public et établissements publics. La déclaration d'intérêts serait souscrite au moment de la prise de fonctions et mise à jour chaque année ainsi qu'en cas de changement significatif de la situation de l'assujetti. Leurs déclarations ne seraient pas rendues publiques, contrairement à celles des membres du gouvernement. Quelque 4 000 personnes seraient concernées. La méconnaissance grave des obligations déclaratives, notamment l'absence de déclaration, serait sanctionnée par une amende (assortie, le cas échéant, d'une peine complémentaire d'inéligibilité ou d'interdiction d'exercice d'une fonction publique) et/ou une sanction disciplinaire.


Modification des règles existantes

La commission préconise également de restreindre les possibilités de cumul de fonctions ou d'activités. L'interdiction qui est faite aux agents publics de cumuler plusieurs activités (sauf exception) serait étendue aux collaborateurs des cabinets tant au niveau national que local. De plus, le directeur général ou le directeur général adjoint d'un EPCI ne pourrait pas être en même temps conseiller municipal d'une commune membre de l'établissement. Enfin, les ministres devraient renoncer à l'exercice d'un mandat exécutif dans une collectivité ou un EPCI.

Rejoignant une proposition parlementaire, la commission préconise de mettre en cohérence les dispositifs répressifs et préventifs, en précisant, à l'article 432-12 du Code pénal relatif à la prise illégale d'intérêts, qu'est sanctionnée la prise d'un intérêt « de nature à compromettre l'impartialité, l'indépendance ou l'objectivité » de la personne et non plus « un intérêt quelconque ».

Concernant la mobilité de certains agents publics ou membres de cabinets vers des entreprises du secteur privé avec lesquelles ils ont eu un lien, la commission estime que le mécanisme consultatif actuel géré par la Commission de déontologie, très critiqué au moment de « l'affaire » Pérol, n'est pas satisfaisant. À la place, il est proposé l'instauration d'un régime d'autorisation préalable délivrée par une autorité indépendante, dont la méconnaissance serait sanctionnée par les peines de l'article 432-13 du Code pénal.


Quid des cadeaux ?

La commission préconise également d'interdire les cadeaux, libéralités et invitations venant de partenaires ou de prestataires, à l'exception de ceux dont le montant peut être considéré comme mineur. Elle indique que le montant retenu pourrait être fixé à 150 euros, montant qui peut néanmoins apparaître comme non négligeable. Au-delà de ce montant, les cadeaux devraient faire l'objet d'une déclaration et d'une remise à la collectivité.

La commission recommande aussi d'édicter une charte du parrainage (« sponsoring ») posant les principes directeurs applicables en la matière, qui pourraient être adaptés selon les secteurs d'activité. Les autorités publiques devraient ainsi s'abstenir de solliciter ou d'accepter des sponsors ou mécénats dont la nature et le montant seraient de nature à compromettre leur indépendance.


La transparence, sauf pour les élus locaux et les parlementaires

L'association Transparence international France s'est félicitée de la « solidité » des mesures proposées. Mais elle a regretté, en particulier s'agissant de l'obligation de déposer une déclaration d'intérêts, qu'elles ne s'appliquent pas aux « parlementaires et aux élus des grandes collectivités ».