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L'égalité professionnelle : une ambition collective

Article du numéro 409 - 15 octobre 2010

Interview

L'accès des femmes aux fonctions de direction supérieure des collectivités avance à pas comptés. Pour Bruno Vincent, leur ascension professionnelle est freinée par des inégalités répétées et cumulatives. L'arrivée aux postes de commande des jeunes administratrices dessine néanmoins un présent en devenir, observe pour sa part Jean-Christophe Baudouin. Et tous deux d'insister : l'égalité ne progressera que si les collectivités en font une ambition collective.

Sur ce thème, participez à notre débat  : Faut-il imposer la parité pour les postes à responsabilité des collectivités ?

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Bruno Vincent

Bruno Vincent est statisticien économiste (ENSAE-École d'économie de Paris) et élève administrateur territorial à l'INET (promotion Aimé Césaire). Coauteur en 2005 du premier recensement national des décès des suites de violences conjugales, il vient de réaliser une étude sur l'accès des femmes aux emplois fonctionnels des grandes collectivités, qui a été présentée au CSFPT le 9 septembre 2010 (*).


Quel est l'état de la sous-représentation des femmes dans les emplois fonctionnels ?

Au sein des grandes collectivités territoriales, les femmes représentent moins de 8% des directeurs généraux des services et à peine plus de 20% des directeurs généraux adjoints. Or les femmes constituent aujourd'hui presque 30% du vivier des administrateurs territoriaux et ingénieurs en chef. À cette sous-représentation s'ajoute une très forte hétérogénéité entre collectivités : 40% des grandes collectivités étudiées concentrent 78% des femmes DGA et 39% autres n'en ont aucune. Ce sont ces dernières qui peuvent donc faire des progrès rapides.


Selon votre étude, les femmes ne subiraient pas un seul et unique plafond de verre dans leur ascension professionnelle, mais « une pyramide de plafonds de verre ». Expliquez-nous...

L'image du « plafond de verre » laisse à penser que les femmes n'en subiraient qu'un seul. Or c'est loin d'être le cas et c'est une des nouveautés de cette étude que de le montrer. La forte sous-représentation des femmes aux postes de direction générale est le produit d'une multiplicité de plafonds de verre, ce que j'appelle une « pyramide ». Chaque plafond se traduit par un écart statistique entre la proportion de femmes à un niveau donné et la même proportion au niveau immédiatement supérieur. Ainsi les femmes représentent la majorité des directeurs, mais seulement 21 % des DGA, à peine plus de 10 % des personnes à la tête de DGA de grande taille et enfin moins de 8 % des DGS de grandes collectivités. C'est donc bien à chaque niveau hiérarchique qu'il faut interroger nos pratiques.


Parmi ces multiples plafonds, il en est un particulièrement épais lié au faible accès des femmes au cadre d'emplois d'administrateur à la promotion interne. Ne faudrait-il pas commencer par là ?

C'est en tout cas un des axes d'action à ne pas négliger. L'accès au cadre d'emplois des administrateurs territoriaux se fait majoritairement à la promotion interne. Or, la sous-représentation des femmes y est notable : elles représentent tout juste le tiers des promus alors que près de six attachés sur dix sont des femmes. Dès lors, les collectivités pourraient, pour mieux piloter leur action en faveur de l'égalité professionnelle, se doter d'indicateurs sur la parité comme, par exemple, la proportion de femmes promues sur les dix dernières années à comparer à la proportion de femmes « promouvables ».


Vous achevez votre étude par une analyse prospective des évolutions possibles dans les années à venir. A-t-on des raisons d'être optimiste ?

Ce qui porte à être optimiste, c'est le constat d'une féminisation progressive des cadres d'emplois A +. Aujourd'hui, 44 % des administrateurs et ingénieurs en chef de moins de 45 ans sont des femmes ; ce n'est le cas que pour 23 % des plus de 45 ans. Cependant, cette féminisation n'enclenchera que des changements mineurs si elle ne s'accompagne pas d'actions volontaristes, non seulement en faveur de la promotion des femmes, mais aussi en direction des hommes pour faire évoluer les représentations et pratiques professionnelles.


(*) Étude statistique menée entre mai 2009 et mars 2010 auprès de 168 grandes collectivités territoriales, dont la quasi-totalité des régions et plus de la moitié des départements.

Téléchargez le rapport sur en complément rédactionnel n° 978.


Jean-Christophe Baudouin

Jean-Christophe Baudouin
est DGS de la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise) et président de l'Association des administrateurs territoriaux de France (AATF).


« L'évolution est en marche »


La hiérarchie se conjugue encore majoritairement au masculin, nous dit l'étude. Qu'en pensez-vous ?

Le constat selon lequel la proportion de femmes s'amenuise à mesure que l'on grimpe dans la hiérarchie est connu. Il n'en est pas moins utile de le rappeler et de l'étayer par des chiffres, ce que fait cette étude. L'AATF pour sa part rendra public à la fin de l'année, un rapport sur l'égalité professionnelle dans les collectivités. Il viendra enrichir la connaissance des enjeux et rendre compte de l'évolution en cours, ce que l'étude ne traduit qu'imparfaitement. Pour l'essentiel en effet, elle s'appuie sur des statistiques de « stock », lesquelles ne rendent pas pleinement compte de l'impact de l'arrivée aux postes d'encadrement supérieur des nouvelles générations d'administratrices. Or, depuis une dizaine d'années, les promotions de l'INET sont peu ou prou composées à parité et on voit aujourd'hui - soit 7 à 8 ans après leur sortie de l'école - des femmes de 30/35 ans accéder aux postes de DGA/DGS de grandes collectivités. L'évolution est en marche.


Une évolution est-elle également perceptible en termes de répartition des rôles professionnels ?

Les représentations traditionnelles associées au genre bougent également. Les jeunes femmes qui arrivent ont un rapport au travail très différent de celui de leurs aînées et elles ne sont pas prêtes à sacrifier leur vie privée au profit de leur vie professionnelle. En termes de secteurs d'intervention également, les cartes sont rebattues. De plus en plus de femmes investissent le domaine technique, et les secteurs fonctionnels (finances, RH...) sont de moins en moins l'apanage d'un genre. Seul le secteur social présente encore un déséquilibre flagrant.


L'étude montre qu'un effort managérial reste à faire concernant la promotion interne des femmes aux postes d'encadrement supérieur. Quel est votre avis ?

La promotion interne est un levier d'action à ne pas négliger. Le concours n'en reste pas moins le meilleur moyen d'intégrer une proportion importante de femmes, sachant que leur progression sera d'autant plus rapide que leur niveau d'entrée sera élevé. Le concours doit donc rester la porte d'entrée principale dans les collectivités et c'est encore le meilleur moyen d'assurer la parité. Il suffit, pour s'en convaincre, d'observer le parcours des promotions paritaires d'administrateurs : en matière de recrutement comme d'évolution, il n'y a pas de différence majeure entre les hommes et les femmes.


En termes d'organisation du travail, comment peut-on avancer ?

L'égalité professionnelle ne progresse dans une collectivité que si elle constitue un enjeu et répond à une ambition collective. 60 % des administrateurs exerçant sur des emplois de direction générale dans de grosses collectivités, ils sont tenus à l'exemplarité de l'organisation du travail qu'ils proposent. Celle-ci doit être adaptée à l'articulation des temps de vie, pour permettre, aux jeunes femmes notamment, de concilier sereinement vie de famille et vie professionnelle. Cette question doit être « contractualisée » au moment du recrutement, de sorte qu'employeur et agent sachent ce qu'ils peuvent attendre et exiger. En faire état en toute clarté, c'est par ailleurs faire front au présupposé, conscient ou inconscient, de l'indisponibilité des femmes. En matière de gestion de carrière également, il nous faut gagner en souplesse et en individualisation, pour mieux intégrer des choix de vie privée, comme la maternité, le congé parental... dans le parcours professionnel.