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Article du numéro 402 - 01 juin 2010
Les copropriétés dégradées et à la dérive sont un cauchemar pour les maires. La multiplication des plans de sauvegarde et des OPAH copropriétés révèle pourtant une sensibilisation accrue des pouvoirs publics face à ces « logements sociaux de fait ». Pour éviter que les copropriétés fragiles ne s'enlisent, les moyens juridiques existent. Mais il faut les connaître et déclencher l'alerte suffi samment tôt... Tous les articles du numéro 402 |
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Claude Dilain, maire PS de Clichy-sous-Bois, est l'un des plus féroces accusateurs de l'impuissance publique (lire l'entretien). Paradoxalement, il assène : « Je crois en la République », même si cette croyance est fréquemment chahutée par l'entêtement des faits. Sur sa commune s'élèvent cinq copropriétés. Toutes sont à la dérive, mais une d'entre elles, la Pama, vient de sortir la tête de l'eau et cette réussite, toute relative, lui redonne un semblant de sourire. Au-delà de son appellation, fortement suggestive, la copropriété dégradée symbolise tout ce que le mal-logement recèle de situations extrêmes : pauvreté, endettement, immigration, marchands de sommeil, squat, bâti défaillant, sans-papiers, etc. Sans oublier les dégâts collatéraux qui en découlent : cohabitation difficile de voisinage, délinquance, gestion défaillante de l'espace public, etc.
Une causalité du pire plus difficile à gérer, selon certains, que le parc HLM et ses interlocuteurs publics. Car la complexité des copropriétés est bel et bien là : l'interlocuteur est rarement unique et il est toujours privé. Pour reprendre la main sur une situation qui va à vau-l'eau, il faut donc en priorité en dénouer l'écheveau juridique.
L'Agence nationale de l'habitat (ANAH) est chargée d'intervenir auprès des autorités publiques pour éviter que les copropriétés ne s'enfoncent dans le pire. « Nous ne disposons pas d'un état des lieux précis des copropriétés dégradées en France », assure Soraya Daou, adjointe au chef du service études de l'agence, avant de proposer, au final, une comptabilité à peu près précise : 110 plans de sauvegarde en 2008, 137 en 2009 ; 125 OPAH copropriétés en 2008, 228 en 2009. Le plan de sauvegarde est activé généralement par le préfet lorsque la complexité juridique est élevée ; a contrario, l'OPAH copropriétés relève d'une approche d'amélioration de l'habitat plus classique. « L'augmentation du nombre d'interventions n'indique pas forcément un renforcement inquiétant du phénomène mais plutôt un recensement plus fin des difficultés », assure Soraya Daou.
Régulièrement alertées par les difficultés, les collectivités déploient plus tôt les dispositifs à leur disposition. Les diagnostics établis sont généralement très concis, les maîtrises d'œuvre urbaine et sociale (MOUS) permettant de mesurer à l'unité près la diversité des profils sociologiques : propriétaires bailleurs, propriétaires occupants, squatteurs, sans-papiers, ménages endettés ou surendedettés. La Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) et l'ANAH travaillent actuellement sur la conception d'une méthodologie permettant de repérer bien en amont les copropriétés fragiles. L'auscultation des fichiers Filocom1 permettra de constituer une première base des périmètres fragiles. Cet outil sera finalisé au mieux à la fin 2010. Pour l'heure, l'ANAH ne dispose que de certaines évaluations, réalisées par des experts, mais qui méritent une confirmation plus scientifique. Certains assurent en effet que 300 000 logements seraient concernés, d'autres que la proportion des copropriétés dégradées représente entre 10 % et 20 % de l'ensemble des copropriétés.
Comment une copropriété se fragilise-t-elle ? Le problème numéro un est lié à l'absence d'information, de connaissance des droits des copropriétaires. Souvent, la dégradation de la situation s'explique par un syndic défaillant, incompétent ou malveillant. « L'ANAH ne peut intervenir qu'à partir du moment où l'alerte est lancée. Cette dernière peut être donnée par une collectivité ou, plus simplement, par des travailleurs sociaux qui interviennent au quotidien sur les lieux », poursuit Soraya Daou. « Le problème numéro un est lié à l'absence d'information, de connaissance des droits des copropriétaires. La plupart d'entre eux ne savent pas comment fonctionne un conseil syndical, comment sont provisionnées les charges, à quoi elles servent. Lorsque la bascule se fait vers plus de difficultés, les charges ne sont plus payées, les travaux ne sont plus réalisés et, de fil en aiguille, le bâtiment est laissé à l'abandon ».
Il existe deux familles de copropriétés. La première concerne les logements construits avant 1949, dans l'urgence de l'après-guerre pour panser les plaies des combats. Copropriétés de petite taille, de deux à vingt logements, confrontées à des malfaçons originelles dans le bâti qui, progressivement, débouchent sur des situations de péril. Les infiltrations d'eau, les tuyauteries inadaptées, les circuits électriques hors norme... Avec la montée en puissance des réglementations, ces logements ne répondent plus aux critères actuels de viabilité. Ils ont été construits avec des matériaux qui ne tiennent pas dans la durée. La seconde catégorie regroupe les grosses copropriétés, qui tiennent quant à elles le haut de l'affiche de l'actualité, oscillent entre 200 à 5 000 unités d'habitation. La paupérisation des habitants et le poids de la facture énergétique favorisent l'enlisement de ces copropriétés. Ce sont des bâtiments très énergétivores, construits à une époque où le coût de l'énergie était moins élevé. Aujourd'hui, cette facture plombe le budget des ménages.
La rénovation des copropriétés dégradées, une des priorités de l'ANAH, se voit amplifiée par le fonds exceptionnel octroyé à l'Agence dans le cadre du « plan de relance de l'économie » de 2009. 50 millions d'euros lui ont en effet été spécialement consacrés.
Conséquence : l'ANAH étend son champ d'intervention aux copropriétés hors procédure OPAH ou « plan de sauvegarde ». Au total, les aides aux copropriétés dégradées devraient concerner 20 000 à 25 000 logements répartis dans 700 copropriétés, soit une hausse de l'action de l'ANAH de plus de 60 %. Sur les 50 millions d'euros prévus, 30 millions sont affectés aux cinq régions les plus touchées : Bretagne, PACA, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et Ile-de-France. Pour simplifier et fluidifier les procédures, l'ANAH versera des avances au démarrage du chantier. Jusqu'à présent, les sommes étaient versées sur présentation des factures, après la réalisation des travaux. Parallèlement, les commissions locales d'amélioration de l'habitat (CLAH) ne rendront plus d'avis systématique pour chaque opération.
Ce volontarisme ne paraît pas aussi clairement affiché aux yeux de Stéphane Carassou, président de la commission Habitat et Cohésion sociale du Grand Toulouse (lire l'encadré) : « Nous avons mis en place sur notre territoire un observatoire des copropriétés dégradées. 48 d'entre elles font l'objet d'un suivi particulier dont 16 bénéficient d'un accompagnement renforcé, avec l'aide de l'ADIL. Mais nous craignons un resserrement de l'intervention financière de l'ANAH. Elle est confrontée au désengagement financier de l'État, notamment sur la problématique des logements vacants. La paupérisation des habitants et le poids de la facture énergétique favorisent l'enlisement de ces copropriétés ». Autre sujet d'inquiétude : les marchands de sommeil, qui prospèrent dans un secteur où l'outillage juridique est lacunaire : « Nous avons rencontré des élus de l'association Ville et Banlieue et nous avons évoqué le problème. Tous les élus concernés lancent actuellement des études juridiques pour mieux appréhender cette problématique ». Et concourir ainsi à faire en sorte que les copropriétés ne soient plus les culs-de-sac du logement de l'extrême urgence...
1. D'après le CERTU, « le fichier FILOCOM (FIchier des LOgements par COMmunes) est un fichier construit par la Direction générale des impôts (DGI) pour les besoins du ministère de l'Équipement (actuel ministère de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire ou MEEDDAT). Il ne concerne que la France métropolitaine (à l'exclusion des DOM). Il est constitué par le rapprochement du fichier de la taxe d'habitation (TH), du fichier foncier (pour ce qui concerne les propriétés bâties soumises à la TH), du fichier des propriétaires (idem) et du fichier de l'impôt sur les revenus des personnes physiques (IRPP ou IR) ».
Claude Dilain
maire de Clichy-sous-Bois
« Nous sommes confrontés à une exclusion sociale totale »
Comment traiter au mieux les copropriétés dégradées ?
Clichy-sous-Bois compte cinq copropriétés sur son territoire. Nous avons réussi à sortir l'une d'entre elles, la Pama, de la fragilité. Pour y parvenir, nous avons réussi à accélérer le désendettement des propriétaires ou des locataires, à requalifier le bâti... Le tout dans un élan collectif de participation des habitants. La copropriété de la Forestière se porte mieux, mais il est vrai qu'elle est inscrite dans la dynamique ANRU. Les vraies difficultés se trouvent au Chêne Pointu, où les ménages sont très endettés.
Combien de temps faut-il pour sortir une copropriété de la nasse ?
C'est long, 5 à 6 ans environ. À la Pama, nous avons eu la chance de tomber sur un conseil syndical soudé et motivé, ce qui a facilité l'intervention de la puissance publique. Au Chêne Pointu, 70 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et les marchands de sommeil sont très présents. J'ai créé récemment une commission municipale visant à lutter contre ces propriétaires qui prospèrent sur la misère des gens. Tous les intervenants sont présents, de la CAF à la préfecture, en passant par les services fiscaux, les élus... L'objectif est d'arriver à un fonctionnement identique à celui des Conseils locaux sécurité et prévention de la délinquance (CLSPD) qui fonctionnent bien lorsque tous les intervenants sont à l'unisson. Cette union fera la force de l'intervention publique face aux marchands de sommeil protégés par les lois relevant de la propriété privée.
Est-il plus difficile d'intervenir sur les copropriétés, de statut privé, que sur les HLM ?
Oui, parce que nous sommes confrontés à une exclusion sociale totale. Quand trois familles logent dans le même F3, les ados n'ont d'autres solutions, pour respirer un peu, que d'aller à l'extérieur. Ils ne vont pas devenir délinquants pour autant, mais il est clair qu'ils vont côtoyer le risque délinquant. Je crois à la République. Il faut que d'autres maires s'investissent, même si je comprends leur découragement. Moi, je suis l'emmerdeur de service (rires).
Stéphane Carassou
président de la commission Habitat et Cohésion sociale du Grand Toulouse
« Flécher le financement public vers les ménages les plus en difficulté »
« Notre ambition est de flécher le financement public vers les ménages les plus en difficulté sur un plan social. Il est généralement difficile de concerner tous les propriétaires sur le sujet, parce qu'ils se détournent généralement des activités d'un conseil syndical. Nous devons veiller à leur faire prendre conscience de la difficulté de la situation et des moyens dont ils disposent pour en sortir. Dans le cadre d'un financement européen, nous travaillons avec d'autres villes, comme Saragosse ou Bilbao, sur l'intégration de la notion de développement durable dans le traitement des copropriétés dégradées. Cette démarche s'appuie sur un système de démocratie participative que nous avons installé et au sein duquel les représentants des conseils syndicaux sont représentés ».
À découvrir
Notre dossier thématique « logement les collectivités en première ligne », sur www.lettreducadre.fr
Pour aller plus loin
« Le logement décent, de la réglementation au terrain »,un ouvrage de Territorial Éditions. Sommaire et commande sur http://librairie.territorial.fr
Pour se former
« L'habitat insalubre » À Lyon le mardi 29 juin 2010
Contact : Joëlle Mazoyer 04 76 65 61 00
joelle.mazoyer@territorial.fr