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Fausses bonnes idées et vrais conseils pour en finir avec le mal-être au travail

Article du numéro 396 - 01 mars 2010

Management - Prévention

Même ceux qui sont décidés à lutter contre la souffrance au travail ne prennent pas toujours le problème du bon côté. Une chose est en effet de se préoccuper d'un fléau qui touche particulièrement les collectivités, une autre est de ne pas tomber sur le principal écueil : se concentrer sur la souffrance de l'agent en oubliant les conditions de travail.

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Suicide au travail, harcèlement moral : ces situations extrêmes font la une des médias et alimentent de nombreuses conversations... Un plan d'urgence contre le stress au travail est mis en place par le gouvernement et un accord sur la santé au travail a été signé en décembre 2009 pour la fonction publique territoriale... Chercheurs et experts analysent, conseillent et aident à décrypter ce qu'il se passe aujourd'hui dans le travail. La santé au travail est devenue, pour un temps au moins, plus qu'une actualité sociale : une préoccupation affichée.
Sur les lieux de travail, qu'en est-il ? Au sein des collectivités, comment ce phénomène est-il appréhendé ? Comment s'organise la riposte au mal-être dans le travail ? Existe-t-il des actions de prévention efficaces ?


L'écueil du non-dit sur les lieux de travail

L'émergence du sujet dans le débat social n'a pas vraiment franchi le seuil des lieux de travail. Les conditions d'une prise de parole libérée sur le travail ne sont pas encore totalement réunies. Plusieurs raisons à cela :
- la crainte des agents de dire les maux du travail, sous peine d'être jugés inadaptés et dépassés, d'être considérés faibles et sans ressource ; le sentiment de culpabilité ; le non-dit pour ne pas attirer le ressentiment de collègues, de la hiérarchie...
- pour celles et ceux qui prennent la parole, celle-ci est souvent dirigée contre la hiérarchie de proximité, celle qui encadre et qui prescrit le travail, mélangeant commentaires sur le relationnel de travail et critique de l'organisation du travail. Le statut de cette parole est alors peu considéré car relevant de l'appréciation personnelle et de la capacité d'individus isolés à travailler ensemble.

À cela il convient de rajouter la judiciarisation croissante des conflits du travail qui stigmatise plaignant et accusé, la culpabilisation du fonctionnaire qui « bénéficie d'un statut », la faible culture des organismes de prévention qui n'aide pas à l'expression collective des dysfonctionnements et des problèmes dans le travail et enfin la culture de service public, qui donne le sens au travail mais qui ne sait pas toujours se nourrir de la critique des conditions dans lesquelles le service est rendu...


La FPT parmi les secteurs d'activité les plus touchés

Et pourtant, les collectivités sont au c½ur des évolutions du travail. L'Institut national de veille sanitaire, dans une récente enquête sur la souffrance au travail, en témoigne(1) : la fonction publique est l'un des trois secteurs d'activité les plus touchés. Dans son ouvrage Alerte à la souffrance(2), Anne Duriez illustre la réalité quotidienne et livre de nombreux témoignages de fonctionnaires : contrôle omniprésent du temps de travail et des procédures, absence de reconnaissance de l'investissement individuel et collectif, stress de l'encadrement, multiples restructurations qui désorganisent le travail, déshumanisation du travail social, intensification... La territoriale connaît des modifications importantes qui changent le travail : dématérialisation, décentralisation et transferts de personnels, évolution des missions (protection de l'enfance, RSA...) sans que les moyens matériels et humains soient toujours suffisants. Lorsque le débordement et la surcharge de travail deviennent chroniques, lorsque les agents n'ont pas ou peu de prise sur la prescription de leur travail et sur les moyens de le réaliser, les facteurs de dégradation de la santé sont réunis et les signaux de tensions apparaissent : absentéisme, violences entre collègues, avec la hiérarchie, maux de dos, fatigue, prise de médicaments « pour tenir », irritabilité, dépression, accident de service...

Si les déterminants collectifs du travail sont en cause, les conséquences sont individuelles et dépendent des trajectoires et caractéristiques personnelles (âge, sexe, métier, expérience dans le poste occupé, ancienneté, formation...) ainsi que de l'environnement de travail (existence d'un collectif de travail, d'un soutien de la hiérarchie, possibilité d'évolution professionnelle...). Il est alors tentant d'apporter des réponses individuelles, plus faciles à identifier mais qui ne pensent pas le travail dans sa dimension collective. La prévention des TMS passe aussi par des actions concernant les facteurs de risques liés à l'organisation du travail : rythmes de travail, réorganisation du collectif de travail, reconnaissance du travail...


Penser l'individu et jouer collectif

Les expertises en santé au travail accréditent de plus en plus l'existence d'un lien très intime entre le travail et la santé, et relèvent la nature pathogène de nombreuses organisations du travail. Or, force est de constater qu'il subsiste encore une vision très darwinienne du monde du travail, où les plus faibles seraient naturellement exclus et les plus résistants appelés à réussir.
Si des prises en charge individuelles sont nécessaires face à des symptômes physiques ou psychiques de souffrance, cela ne peut valoir de politique globale et durable de prévention.


4 fausses bonnes idées

« Il faut agir vite »
Intervenir quand un médecin du travail, un collègue ou un cadre détecte une souffrance est indispensable. Cependant, l'amélioration réelle des conditions de travail nécessite que l'activité de travail soit questionnée, éclairée et modifiée. Autrement dit, il faut du temps, une méthode et des moyens. Agir vite, c'est agir en surface ; c'est ignorer la profondeur du travail et de ses déterminants, ainsi que ses effets sur les agents et sur la qualité du travail effectué.

« Il faut des stratégies d'écoute individualisées »
Numéro vert, accompagnement personnel, chèque psychologue, intervention de « victimologues »... la liste est longue des actions proposées aux agents. Souvent la prise en charge est confidentielle, individualisée et hors temps et lieu de travail. Cette prise en charge, souvent psychologique ou médicale, risque d'enfermer l'agent sur ses propres capacités à s'adapter. Elle peut le poser en victime d'un système dont on ne dit rien ou qui s'incarne au mieux dans un manager inhumain. Enfin, elle s'avère totalement insuffisante si elle ne s'accompagne pas d'un diagnostic sur les conditions de travail, d'une détection des dysfonctionnements qui ont généré du mal-être, des coopérations empêchées, des tensions...

« Faisons des formations à la gestion du stress, des tensions, des conflits »
Les violences au travail révèlent souvent des risques organisationnels forts. Du coup, la question de leurs règlements est renvoyée sur les encadrants : stages de management et autres modules de formation fleurissent, sans parler des formations à la relaxation, à l'approche d'autrui et de la gestion des émotions... Ils constatent les dégâts occasionnés et aident les agents à gérer les situations à risque. À faire face. Or, restreindre l'approche de la souffrance au travail à leur seule capacité à posséder les techniques requises de gestion relationnelle est une approche comportementaliste qui a ses limites, voire ses dangers. En effet, elle ne conteste pas la nature pathogène de certaines organisations du travail. Dans ce cas, il y a peu de chances pour que cet investissement consenti par la collectivité soit durablement utile et à l'agent et à la collectivité.

« Créons un observatoire du stress, mettons en place des groupes de travail »
La démarche reconnaît explicitement l'existence de risques psychosociaux sur le lieu de travail. Cependant, elle isole le phénomène des autres dimensions de l'évaluation des risques liés au travail. Alors que toutes ces dimensions sont étroitement liées, le travail ne saurait s'envisager sous le seul angle du risque psychique. Si la création de ce type d'instances peut aider à la définition et à la mise en place d'indicateurs, si elle est un signal de la prise en compte du phénomène dans la collectivité, le risque reste grand de produire des données aux interprétations non consensuelles, de ne déboucher sur aucune mesure concrète de prévention.


Comment aborder la souffrance au travail dans la durée ?

Les instances représentatives du personnel, CTP et CHS, et bientôt les CHSCT, sont les instances légitimes pour aborder ces questions : conditions de travail, reconnaissance du travail (promotion, traitement, formation...), santé au travail. L'identification des problèmes et les solutions envisagées peuvent y être collectivement débattues. En sollicitant la parole des représentants syndicaux, le rapport et les données des services de santé au travail, de l'infirmier(e) ou de l'assistant(e) social(e) ; en demandant l'aide d'un expert familier des organisations du travail en collectivité territoriale ; en examinant les chiffres de l'absentéisme ou des déclarations d'inaptitude aux postes de travail. Bref, il s'agit d'utiliser l'ensemble des données disponibles pour engager un débat et un début de diagnostic sur l'état du travail et des personnels. Un vrai travail !


Quelles solutions envisager ?

En premier lieu, rappelons que les principes généraux de la prévention du Code du travail (voir encadré) s'appliquent aussi dans les collectivités territoriales, même les plus petites ! Malgré la complexité de la tâche, trouver une méthode et s'y tenir dans le temps sont la clé d'une politique de prévention pérenne.

Les incontournables :
- Produire de la connaissance sur les liens existants entre travail et santé, des données sur la santé des agents. En débattre au sein des CHST donne de la visibilité sociale au travail et contribue aussi à sa reconnaissance. Rendre visible le travail est une action de prévention en soi. Pour les petites collectivités, un regroupement des moyens et des énergies au niveau intercommunal peut être une bonne solution, l'appui d'un centre de gestion un support méthodologique. Pour toutes, un appui du Fonds national de prévention peut être sollicité(3).
- Élaborer et mettre à jour le Registre unique santé et sécurité au travail (RUSST) en prenant en compte toutes les dimensions du travail et des atteintes à la santé potentiellement liées. L'analyse doit être faite au plus près du travail, dans les services, dans les ateliers, avec les personnels concernés. Parler de son travail est le premier pas des agents vers une prévention intégrée à l'activité de travail.
- Engager des actions de prévention qui s'attachent à faciliter le travail, à conjuguer amélioration de l'environnement physique de travail et réorganisations du travail.
- Communiquer aux personnels l'ensemble de ces éléments régulièrement, pour restaurer la confiance là ou elle est mise à mal, pour réhabiliter la capacité à s'investir dans un collectif de travail.


Qualité du travail et santé au travail : deux faces d'une même pièce

Comprendre ce qui fait la spécificité des métiers - et ils sont nombreux ! - de la fonction publique territoriale et analyser ce qui fait l'originalité de leur exercice au sein des collectivités territoriales pourraient permettre d'élaborer des démarches de prévention appropriées. Faire cette économie en recherchant dans le secteur privé des techniques, mesures, indicateurs qui ne leur correspondent pas, en important du secteur marchand une culture de la performance et de la concurrence dont on voit aujourd'hui les dégâts en matière de santé au travail serait une erreur.

Dans un contexte économique et social bousculé par la crise et des discours officiels peu favorables aux fonctionnaires, dans une période où la santé au travail prend une place importante dans le débat public, les collectivités territoriales ont la responsabilité (bien au-delà de la seule responsabilité des employeurs telle que définie par le Code du travail en matière d'obligations de santé et de sécurité) de proposer un modèle d'organisation du travail rénové, montrant que la satisfaction des usagers et la qualité du service rendu dépendent fortement de la santé et de la sécurité physique et psychique des personnels.

1. Mal-être et travail : premier enseignement du programme de surveillance Samotra-ce, mai 2009 - www.invs.santé./fr
2. Alerte à la souffrance, Anne Duriez, 261 p. 2007, Éditions Balland
3. http ://www.cdc.retraites.fr


LES PRINCIPES FIXÉS PAR LE CODE DU TRAVAIL

Article L. 4121-1. L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1° Des actions de prévention des risques professionnels ; 2° Des actions d'information et de formation ; 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'employeur met en ½uvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Éviter les risques ; 2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.


À liresur ce thème : « Santé au travail : un accord à concrétiser », La Lettre du cadre territorial n° 395, 15 février 2010

Pour se former

« Adapter son management aux contextes difficiles »
Lundi 7 juin 2010 à Paris,
contact : Joëlle Mazoyer,
joelle.mazoyer@territorial.fr,
Tél. : 04 76 65 61 00


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