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Projet Émeraude : une organisation apprenante

Article du numéro 393 - 15 janvier 2010

Management - Expériences

Améliorer la qualité du service tout en maîtrisant les coûts, c'est la difficile équation que tente de résoudre la ville de Lyon à travers son plan Émeraude, vaste action lancée début 2009.

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Améliorer la qualité de service, maîtriser des coûts, donner une nouvelle impulsion à la démarche de développement durable, en un mot tout remettre à plat pour faire le tri de l'essentiel et cibler les manques, c'est la tâche fixée par le plan Émeraude. Né il y a un an tout juste, ce projet d'envergure s'est fixé trois objectifs :
- la réduction/l'optimisation des coûts ;
- le développement de la qualité des services ;
- l'amélioration du développement durable.
Les services ont revisité sans tabou leurs activités, l'idée étant de tout mettre à plat pour dégager l'essentiel, réfléchir au périmètre des activités, envisager des réorganisations nécessaires le cas échéant, améliorer la politique d'achats, en vue de se donner les marges de man½uvre et mener à bien les projets de nos élus dans le cadre du nouveau mandat. « Le moment était venu de rassembler tout cela dans un projet fédérateur » explique Jean-Baptiste Fauroux, DGS de Lyon. Et par fédérateur, il entend que tout le monde, y compris les agents de terrain, y participe. Les initiateurs du projet partent en effet du principe que pour savoir précisément comment devenir plus performant, il paraissait évident de demander l'avis de ceux qui agissent dans les services au quotidien.


Une préparation du terrain en amont

Lors du premier mandat du maire PS Gérard Collomb, l'administration avait déjà revu et corrigé un certain nombre de points, en ayant comme trame de fond l'amélioration de la qualité des services.
L'organigramme de la ville avait été revu, de manière à resserrer la direction générale, autour de laquelle sont désormais articulées des délégations opérationnelles. Une première phase de réorganisation qui a préparé la mise en place d'un projet d'envergure. « Le plan Émeraude, c'était l'occasion de se demander quelle direction prendre pour s'inscrire dans un processus de modernisation, explique Caroline Audy, chef du projet. Il y avait l'idée de la qualité de service d'abord, puis avec la crise s'est ajoutée la question de la maîtrise des coûts. Il fallait trouver des marges de man½uvre, voir à la fois où l'on pouvait économiser, mais aussi comment trouver de nouvelles recettes. »

La direction générale choisit alors une voie originale pour la mise en ½uvre du plan. « On a pris le risque d'un processus participatif dont on ne savait pas où il allait nous mener », raconte Jean-Baptiste Fauroux, qui explique que le projet ne s'est pas fixé d'objectifs d'économies chiffrés par services, mais qu'il a au contraire voulu donner à ces derniers des aires d'autonomie pour laisser se développer leurs capacités de proposition.


Un planning très serré

Dès le début, Émeraude a été mené avec la volonté de tenir un rythme soutenu : si cela a parfois pu susciter un sentiment de « marche forcée » chez certains, c'était pour les artisans du projet la condition pour pas « se perdre en route » et pour pouvoir aboutir sur des décisions concrètes.
Dans un premier temps, l'hiver dernier, deux directions testent la méthode - méthode définie à l'aide d'un consultant, seul intervenant extérieur à prendre part au projet. « Nous avions besoin d'établir une méthode, mais surtout pas qu'on nous apporte des solutions toutes faites sur un plateau », détaille Jean-Baptiste Fauroux. Le reste sera donc réalisé en interne.
À commencer par la phase de diagnostic, qui démarre dans les soixante directions de la ville dès le mois de janvier 2009. Elles ont cinq mois pour mener les débats, réunir les informations et les propositions. Un timing très serré avec lequel il faut composer, que l'on ait un service très centralisé ou au contraire, complètement éclaté. C'est le cas de la direction des sports, qui avec 450 agents répartis sur 130 sites, a dû s'organiser avec minutie. Martine Altieri, responsable RH et référente du plan Émeraude pour sa direction, a commencé par expliquer le détail des actions aux cadres intermédiaires. Dans le même temps, elle envoie un courrier à chaque agent : comme la plupart des gymnases ne sont pas équipés de postes informatique, il faut utiliser d'autres méthodes pour les tenir informés.
Comme dans les autres directions, elle constitue ensuite un groupe qui se réunira régulièrement pour discuter du fonctionnement du service. Seize volontaires, agents de terrain, cadres intermédiaires et membres de la direction y prennent part. Seize, un bon nombre pour pouvoir avancer dans les discussions, estime Martine Altieri. Cette phase de diagnostic permet de cibler les prestations à proposer aux usagers de la ville. Cela va du plus simple, comme l'amélioration de la signalétique, au plus complexe, comme la mise en place d'un système de télégestion du traitement des eaux de piscine ou de l'allumage automatique des gymnases pour économiser l'énergie. Des axes de travail sont dégagés, ils sont présentés par le directeur des sports à l'ensemble du personnel, qui organisera 28 réunions au total pour informer les 450 agents : la démarche incite le personnel à apporter sa pierre à l'édifice.


Des diagnostics au plus près de la réalité

« Dans l'ensemble, les agents d'exécution sont satisfaits d'avoir pu donner leur avis, mais aussi de mieux connaître leur service et ceux d'à côté, explique Caroline Audy. En contrepartie, d'autres ont été gênés, mal à l'aise quand il s'agissait de préconiser de réduire la voilure : on les mettait dans une position inconfortable. » La crainte de participer à un plan de réduction des coûts plane un certain moment (voir encadré syndicats). « Mais on tenait à revoir les compétences obligatoires et celles qui ne l'étaient pas. Par exemple, fermer une crèche une heure plus tôt si on se rendait compte que les enfants ne restaient pas jusqu'à 20 heures » conclue-t-elle.
S'ensuit la phase d'élaboration des scénarios où sont revisitées toutes les activités de l'administration ; elle se déroule pendant l'été. Certains projets sont retoqués : ainsi les élus décident que le parc de la Tête d'Or doit rester gratuit. Enfin, à partir de ce qui a été gardé, sont émis des plans d'action : 168 au total. Certains projets d'externalisation ont été proposés, que les élus n'ont pour le moment pas validés, préférant avoir des études précises sur les économies réelles et des garanties sur l'absence de dégradation du service public. Ce sont les Centres de responsabilité municipaux, spécificité lyonnaise (voir encadré), qui les mettront en application sur le mode de la gestion de projets.


Le début de la mise en ½uvre

Les plans d'actions, qui portent à la fois sur la maîtrise des coûts, sur la qualité du service et sur les questions de développement durable, font maintenant l'objet d'une étude approfondie. Il s'agit de pouvoir mettre des chiffres et des résultats concrets attendus en face de chaque fiche d'action, de manière à pouvoir constater le résultat.
Certaines actions seront facilement visibles, comme la décision de rassembler deux restaurants à vocation sociale pour n'en faire qu'un, afin de rassembler les agents sur un même site et d'offrir un soutien plus complet. D'autres prendront du temps avant que l'on ne constate les résultats, comme la mise en place d'un agenda 21 pour le développement durable, la volonté d'avoir recours à l'énergie solaire pour les nouveaux bâtiments et ouvrir l'accès aux espaces culturels à tous les milieux sociaux.


Une démarche innovante payante

La direction générale est satisfaite du résultat : elle a réussi à tenir les délais, à mobiliser ses agents et à instaurer de nouvelles méthodes de dialogue. « Nous avons lutté, explique Jean-Baptiste Fauroux, contre la tendance à vouloir donner des directives chiffrées pour que les agents eux-mêmes définissent le niveau de qualité qu'ils attendaient de leur service. C'était une logique d'organisation apprenante, où la direction générale a également eu à se poser des questions sur des domaines que l'on n'avait pas inclus au départ. Il y a une espèce de maïeutique qui s'est créée dans le processus lui-même. » Un management participatif innovant qui a permis d'instaurer un dialogue plus franc et bilatéral, aussi bien avec les syndicats qu'avec les agents sur le terrain. Affaire à suivre, pour vérifier les résultats concrets à la fin du mandat de Gérard Collomb...


La crainte des syndicats

Impossible d'avancer si les syndicats sont remontés contre le projet : la direction en est bien consciente. Aussi lorsqu'une grève est déclenchée par l'intersyndicale en mai dernier, elle réagit très vite. Outre des revendications autour des promotions et des conditions de travail, l'intersyndicale demande le retrait du plan Émeraude. Il y a une dizaine d'années déjà, un plan appelé « Performance » avait échoué à cause des grèves.
« Cela nous a poussés à mettre en place un calendrier social » raconte Jean-Baptiste Fauroux, le DGS. La participation des tickets restaurant est renégociée, 200 000 euros sont investis pour améliorer les conditions de travail et une démarche GPEC est lancée. Le maire promet également que sous ce mandat, l'effectif restera stable. Autrement dit, pas de postes supprimés, mais pas d'embauche non plus : si une nouvelle structure est ouverte, il faudra trouver des agents dans l'effectif existant.
Enfin, les syndicats sont associés au plan Émeraude : ils sont informés de toutes les avancées, peuvent s'exprimer et apporter des contre-propositions. Il reste des mécontents et des tracts encore vindicatifs mais, dans l'ensemble, le mouvement est canalisé et la ville ne connaîtra pas d'autre grève sur le sujet.


Les CRM ou Centres de responsabilité municipale, quesaco ?

Spécificité lyonnaise, les CRM sont des cercles de qualité : à chaque nouvel objectif fixé à un ou plusieurs services, un CRM voit le jour. Cette année, la direction des sports totalise une vingtaine de CRM, chacun sur un objectif et une durée différente. Ils resteront actifs jusqu'à ce que l'objectif soit atteint et en fonction de la réussite, un intéressement sera reversé aux agents concernés. Plus ou moins 50 % si l'objectif est partiellement atteint, 100 % s'il l'est totalement.
Les plans d'actions Émeraude seront portés par les CRM : tous les responsables de ces structures ont reçu une formation pour piloter un projet, de sa mise en ½uvre à l'évaluation des retombées. À partir de cette année et jusqu'à la fin du mandat, ils sont chargés de décliner les plans d'actions sur le terrain, et d'en observer le résultat par des indicateurs à déterminer.


L'½il du manager

Une forte implication des élus

Dans le travail de la ville de Lyon, il faut souligner deux dimensions :
- l'implication des élus a été forte, et déterminante pour le projet : constitution d'un comité stratégique associant un groupe d'élus ; évocation du sujet lors des réunions autour du maire ; forte implication des adjoints dans l'analyse critique des propositions des services, et dans la commande que les élus leur ont passée ;
- la tenue de l'équation impossible : parler d'économies... mais aussi de qualité de service et de développement durable ! Très souvent, parler des deux derniers est contradictoire avec le premier... l'analyse menée par les services montre que les trois peuvent être menées de parallèle, et qu'il est sain de ne pas les opposer !
- l'importance de la démarche participative : l'ensemble des agents de la ville aura participé aux CRM et un millier d'agents à la démarche participative de construction des plans d'actions... c'est considérable !

Un des défis maintenant ? une démarche participative de ce type génère de fortes attentes. Comment faire en sorte de ne pas les décevoir ? Très certainement en suivant la mise en ½uvre de ce qui a été décidé :
- en tirant les conséquences sur le mode de management : comment faire vivre un management plus participatif dans la durée ? Quel type de dialogue cela demandera dans les services ?
- en poursuivant le dialogue élus/administration sur le fonctionnement des services et sur l'équilibre « développement durable/qualité de service/management » ;
- en « suivant Émeraude », sans passer tout de suite à autre chose ! Une démarche participative aussi importante est trop impliquante pour être dans l'effet de mode ou dans le « un clou chasse l'autre » !

Frédéric Petitbon
directeur associé d'IDRH, cabinet conseil qui a contribué au lancement d'Émeraude.