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Loi mobilité : une voie à sens unique

Article du numéro 388 - 15 octobre 2009

Débat

La loi relative aux parcours professionnels entend faciliter la mobilité inter-fonctions publiques. Sera-t-elle effectivement un accélérateur de mouvements ? Pas sûr, répondent les DRH ou alors dans un sens seulement : celui de la FPE vers la territoriale.

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Faute de passerelles bien balisées, la ­mobilité inter-fonctions publiques ­relève du parcours du combattant à l'issue incertaine. Si l'on croit les enquêtes, les fonctionnaires ­seraient pourtant enclins au mouvement. Un sondage Ipsos réalisé à l'automne 2008 indiquait ainsi que neuf agents sur dix ­désiraient pouvoir changer de métiers au cours de leur vie professionnelle, quitte à changer d'administration de rattachement. Du reste, quand la mobilité aboutit, c'est plus à la ­faveur de mouvements de personnels de l'État vers la territoriale, que l'inverse. En 2005 par exemple, sept agents sur mille étaient détachés de l'État ou de l'hospitalière vers la territoriale, contre trois pour mille de la FPT vers la FPE ou la FPH (synthèse nationale des rap­ports au CTP sur l'état des collectivités au 31 décembre 2005). La loi relative à la mobilité et aux parcours professionnels adoptée le 3 août dernier (loi n° 2009-972) permettra-t-elle de changer la donne, de ­favoriser, faciliter, fluidifier les mouvements ? Elle en affiche en tout cas l'ambition.


Des verrous sautent

Sur le papier, plusieurs dispositions font ­effectivement sauter des verrous qui jusqu'alors pouvaient décourager un certain nombre de mobilités. Dorénavant, tous les corps et cadres d'emplois sont accessibles par la voie du détachement (suivi, le cas échéant d'une intégration directe) ou de l'intégration directe (sans période transitoire de détachement), même en l'absence de dispositions dans le statut particulier ou de dispositions contraires dans celui-ci. De plus, le détachement ou l'intégration s'effectuent entre corps et cadres d'emplois appartenant à la même ­catégorie (A, B ou C) et de « niveau comparable », apprécié au regard des conditions de ­recrutement ou de la ­nature des missions. Exit donc le verrou statutaire qui prévoyait que le détachement s'effectue dans les conditions prévues par les statuts particuliers. Cette avancée est prolongée par la création d'un véritable droit à intégration dans le corps ou le cadre d'emplois d'accueil au terme de cinq années de détachement. Dans la même veine, la loi institue une reconnaissance mutuelle par les administrations d'origine et d'accueil des avantages de carrière ­acquis aux cours des périodes de détachement. Les fonctionnaires pourront donc faire valoir ces avantages au moment de l'intégration (à l'issue du détachement) et les capitaliser au ­moment de leur réintégration (à la fin du ­détachement) pour être reclassés au grade et à l'échelon qui leur seront le plus favorables. « Les règles du détachement étaient trop complexes et les simplifier en matière de classement notamment, est une bonne chose pour la mobilité », commente Catherine Barczi-­Issakidis, DRH de Drancy.


Un « droit au départ »

Sur le papier encore, le texte instaure un quasi droit au départ en mobilité. À l'avenir, l'administration ne pourra plus s'opposer à une demande de détachement, de mise en disponibilité ou de placement en position hors ­cadres, qu'en raison de « nécessité de service » ou d'un avis d'incompatibilité de la commission de déontologie. En outre, elle ne pourra exiger de l'agent qu'un délai de préavis de trois mois (ces dispositions sont également applicables en cas de mutation). « La loi ne fait là qu'imposer le bon sens. Dans la pratique en effet, il était très rare que l'administration s'oppose à une mobilité », commente Bruno Romoli, DGS de Chalon-sur-Saône et président de l'ADT-INET. Cela va mieux en l'écrivant néanmoins et la mesure pourrait ne pas être sans incidence pour les petites communes, relève Pierre Lesaint, ­directeur en charge de la gestion administrative et ­financière des personnels de Lille Métropole : « l'agent de retour de ­mobilité dont le poste a été pourvu doit être ­reclassé, or le coût du maintien en surnombre la première année et l'augmentation du montant des cotisations à verser au CDG ou au CNFPT qui prend en charge le fonctionnaire les années suivantes (150 % du traitement brut pour une collectivité affiliée au CDG les 2e et 3e années - NDLR) a parfois dissuadé les employeurs de ­répondre favorablement à la ­demande de mobilité ». En l'espèce, la loi n'apporte aucune modification aux modalités pécuniaires de prise en charge.


Une partie truquée

Sur le papier donc, des avancées. Et pourtant, un sentiment très largement partagé que les dés sont pipés. Le texte permettrait effectivement de faciliter la mobilité inter-fonctions publiques... mais à sens unique. « La loi tend moins à faciliter les allers-retours entre les fonctions publiques, que les allers simples de la FPE vers la FPT. En réalité, il s'agit de faciliter le ­dégraissage de la FPE et d'offrir à des cadres de l'État des perspectives de carrière qu'ils n'auront plus dans le ­cadre de la RGPP (révision générale des politiques publiques - ndlr) », explique Jean-­François Crost, premier vice-président du SNCT (syndicat national des cadres territoriaux). Comment en effet accréditer l'hypothèse de ­détachements plus nombreux d'agents territoriaux dans un contexte où l'État ne cesse de réduire ses effectifs (- 61 600 en 2007/- 2,4 %) et programme la quasi-suppression de l'échelon départemental des administrations déconcentrées ? Tandis que parallèlement, les collectivités dont les compétences ne cessent de se développer expriment un besoin de recrutement, encore renforcé par le départ en retraite programmé de nombreux agents (86 000 agents recrutés dont 35 000 TOS en 2007/+ 5,17%), les mouvements se feront donc préférentiellement dans l'autre sens : « la FPT semble un excellent déversoir pour les surplus de fonctionnaires des administrations centrales ou déconcentrées et pour les redistributions de compétences. Finalement rien de nouveau au regard par exemple de l'intégration des TOS... », commente
Catherine Barczi-Issakidis.


Ticket sans retour

Plusieurs dispositions sont effectivement directement destinées à permettre l'intégration des agents de l'État dans la territoriale. C'est le cas notamment de l'introduction d'un dispositif de subventionnement des mises à disposition. Jusqu'alors, l'employeur local devait rembourser à l'État l'intégralité du salaire du fonctionnaire mis à disposition. Désormais, il bénéficiera d'une exonération de remboursement (plafonnée à un an et 50 % du traitement). ­Selon le rapporteur du projet de loi à l'AN : « il s'agit de faciliter la réaffectation des fonctionnaires de l'État concernés par une restructuration de leur administration. Ces agents pourraient ainsi occuper temporairement un emploi dans la FPT, dans l'attente d'une affectation définitive dans un nouvel emploi ». Du temporaire qui pourrait devenir du définitif, ironisent nombre de DRH... C'est le cas également de la création de nouveaux statuts d'emploi « comportant des responsabilités d'encadrement, de direction de services, de conseil ou d'expertise, ou de conduite de projet », pourvus par la voie du détachement (des décrets en Conseil d'État doivent venir fixer les conditions de nomination et d'avancement de ces emplois). Là encore, la loi en ouvrant la possibilité, le caractère temporaire du ­détachement pourrait aisément déboucher sur de l'emploi durable ; « l'intégration directe aux termes de cinq ans de détachement s'apparente à du recrutement imposé. L'État ne se donnera pas les moyens de réintégrer tous ses agents et se montrera très sélectif pour ceux qu'il décidera de conserver. C'est une manière pour lui d'assurer, à peu de frais, à ses agents une entrée d'office dans la FPT et je ne vois pas comment les collectivités pourront s'y ­opposer », explique Bruno Romoli. Et d'alerter sur la nécessité d'apprécier la qualité d'un candidat au détachement en regard de la perspective programmée de son intégration dans les effectifs.


Effet inverse ?

Et si la loi censée faciliter la ­mobilité en constituait in fine une limitation pour les territoriaux, s'interrogent des DRH. Les « facilités » au détachement et à l'intégration des agents de l'État ne viendront-elles pas abonder le « tropisme » de certains élus à privilégier le recrutement de fonctionnaires de l'État pour occuper des postes à responsabilité, au détriment de leur propre recrutement ? La création de nouveaux statuts d'emplois pourvus par des agents de l'État ne conduira-t-elle pas à limiter encore les perspectives de carrière des attachés principaux et des directeurs territoriaux ? Et dans un contexte plus concurrentiel, la réduction et l'uniformisation des durées de formation initiale des ­attachés territoriaux ne jouera-t-elle pas en défaveur des attachés territoriaux, face à des homologues de l'État qui continuent, eux, de bénéficier d'une formation initiale longue (IRA) ? Etc.
Beaucoup de questions donc, mais une certitude largement partagée : la réforme de la mobilité est ici essentiellement commandée par des considérations financières.
On est loin, du « Grand soir » annoncé par ­Nicolas Sarkozy dans son discours de Nantes (19 septembre 2007) et fidèlement suivi par Jean-Ludovic Silicani dans son ­Livre blanc sur l'avenir la fonction ­publique...


Bruno Romoli
DGS de Chalon-sur-Saône

« Cette réforme est essentiellement commandée par des considérations financières. Elle permet à l'État de se décharger à peu de frais de ses agents. C'est l'incarnation de la relation négative de l'État aux collectivités locales, dans laquelle celles-ci sont la variable d'ajustement de sa politique ».


24 mois pour solde de tout compte

En marge de la loi mais dans le même esprit, le gouvernement veut étendre à la FPT le bénéfice de l'indemnité de départ volontaire (IDV) ouverte aux agents de l'État en avril 2008. Le CSFPT a rendu sur le projet de décret un avis favorable le 1er juillet dernier. « Mais pourquoi étendre ce qui ne fonctionne pas ? », s'interrogent les DRH. Si l'on en croit en effet les chiffres publiés dans la presse en mars dernier, six agents de l'État avaient perçu l'IDV et une soixantaine de demandes seulement étaient à l'étude dans les ministères (l'ensemble des circulaires ministérielles permettant sa mise en place n'était toujours pas publié fin mai 2009). Les territoriaux seront-ils plus réceptifs ? « Son attractivité dépend surtout du contexte économique général, or nous sommes dans une période d'incertitude », relève Catherine Barczy-Issakidis. « Un effet d'aubaine pourra jouer en faveur des agents qui souhaitent créer leur entreprise, mais pour le reste, je n'y crois pas », explique Jean-François Crost. « Le bénéficiaire ne devra pas être à moins de cinq années de l'âge de la retraite. Avec une IDV plafonnée à vingt-quatre mois de traitement brut, comment vivra-t-il, les trois années suivantes ? », s'interroge Pierre Lesaint... Pas sûr donc que le pécule fasse florès...


Georges Tron,
Député (UMP)
« Il faut penser à la façon dont les fonctionnaires de l'État qui, à moins de compétences, seront en mesure d'avoir un emploi garanti, mais dans d'autres fonctions publiques, comme la FPT. C'est tout le sujet. » (débat AN)


À lire
Sur www.lettreducadre.fr, rubrique« au sommaire du dernier numéro » :
- « Projet de loi mobilité : du nouveau pour la FPT », La Lettre du cadre territorial, n° 384, 15 juillet 2009.
- « Intérim : l'emploi à la carte ? », La Lettre du cadre territorial n° 370, 1er décembre 2008.
- « Mise à disposition : des vices cachés ? »
La Lettre du cadre territorial n° 367, 15 oct. 2008.
- « Mobilité : amélioration ou révolution ? »,
La Lettre du cadre territorial n° 357, 15 avril 2008.