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De l'eau dans le gaz à Vichy

Article du numéro 386 - 15 septembre 2009

Intercommunalité

Parce qu'il veut un retour à trois collectes d'ordures sur les semaines de jours fériés, le maire de Vichy a lancé une « action coup-de-poing » en juillet dernier en organisant lui-même le ramassage et en déversant le contenu devant les locaux de la communauté d'agglomération.

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Claude Malhuret n'est pas content du rythme du ramassage des ordures ­ménagères sur sa commune, orchestré par la communauté d'agglomération Vichy Val d'Allier. Le maire de Vichy a donc décidé de faire les choses lui-même et de réaliser une opération « coup-de-poing », mi-juillet, en donnant l'ordre aux employés municipaux d'effectuer la collecte et de la déverser devant le siège de VVA, sur des bâches en plastique.

Au c½ur de cette affaire, il y a la suppression totale par la CA, en début de l'année, de la collecte des ordures ménagères si celle-ci tombe un jour férié. « Il y a dix ans, le ramassage était assuré trois fois par semaine par la commune, explique Claude Malhuret. Puis en 2000, la collecte est devenue une compétence de VVA à la création de cette dernière. Le rythme est resté trois ramassages mais deux pour les ordu­res ménagères et une pour le tri sélectif. Le rythme était alors assuré, qu'il y ait un jour férié dans la semaine ou non, jusqu'à cette année. »


« Une année expérimentale »

Le choix de VVA de ne plus assurer la collecte sur les jours fériés fait suite à une étude réalisée en 2008, à la reconduction de la délégation de service public. « L'étude a montré que le niveau de collecte n'était suffisant ni sur les jours fériés ni sur les lendemains, les gens hésitant à sortir les poubelles, commente Jean-Michel Guerre, président de VVA. Nous avons donc décidé lors du renouvellement de la DSP de la supprimer à titre expérimental pour 2009. Cette­ décision a été prise à l'unanimité en conseil communautaire. Un bilan était prévu en fin d'année, mais en juin nous avons décidé d'avancer ce dernier en septembre. Le coup de force de Monsieur Malhuret n'avait donc pas lieu d'être. »
Mais pour Claude Malhuret, la décision n'aurait pas dû s'appliquer à Vichy. « Nous sommes une ville touristique où les commerces du centre-ville sont ouverts les dimanches et les jours fériés. Peut-être y a-t-il une baisse dans les quartiers périphériques de la ville mais certainement pas dans le centre. Des pétitions de commerçants et de riverains circulent pour se plaindre. Quelle image donne-t-on d'une ville où les ordures traînent sur le trottoir ? »
Le maire prend alors la décision d'organiser sa propre collecte sur les jours fériés : vingt-sept mètres cubes sont ramassés à la Pentecôte, quatorze à l'Ascension. Le 14 juillet, profitant de la visite de Nadine Morano dans la ville et de la présence des médias, le maire réitère l'opération et fait déposer les ordures devant le siège de la CA, la contraignant à faire appel à du personnel en congé pour faire retirer les sacs poubelles.


Communication polluée ?

Le président de VVA, lui, dénonce l'organisation de ces collectes sauvages : « le maire a lui-même semé la confusion chez ses concitoyens. En effet, lorsqu'a été prise la décision de supprimer la collecte des jours fériés, la communauté d'agglomération a mis en place différents actes de communication tels que le porte-à-porte effectué par les ambassadeurs du tri, l'envoi de courriers ou ­encore des articles dans la presse pour rappeler que la collecte est annulée en raison d'un jour férié. » Le maire de Vichy réfute l'utilité des ambassadeurs du tri. « La communauté d'agglomération a embauché des personnes qui font du porte-à-porte pour expliquer comment sortir ses poubelles. C'est très bien mais la confusion réside malgré tout sur les semaines de jours fériés. Certains sortent leur poubelle le jour même, d'autres le lendemain. Il vaudrait mieux embaucher des personnes qui ramassent. »
Jean-Michel Guerre précise enfin que la suppression de la collecte sur les jours fériés « a permis, d'un point de vue financier, de ne pas augmenter pour la sixième année consécutive la taxe des ordures ménagères. Les économies réalisées permettront d'améliorer le ramassage et de mieux maîtriser les coûts. »


Acte illégal ?

Mais au-delà de l'affaire médiatique, Jean-Michel Guerre met en doute la légalité de l'acte. Dans un courrier adressé au maire de Vichy, il précise que l'action paraît « préjudiciable » « pour l'image donnée à nos concitoyens de voir un maire conduire sur sa commune des actions répréhensibles. » Le président de VVA n'a pas porté plainte, mais rappelle que plusieurs articles de loi mettent en cause la responsabilité pénale de Claude Malhuret. L'article R. 635-8 du Code pénal stipule en effet qu'« est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait de [...] déverser, en lieu public [...] des ordures, déchets [...] ». L'article précise également que « les personnes morales peuvent être déclarées responsable pénalement [...] de cette infraction. »
Claude Malhuret réfute en bloc cette vision : « nous n'avons fait que transporter des sacs poubelles d'un trottoir à un autre ».


Quelle responsabilité des agents territoriaux ?

Jean-Michel Guerre rappelle par ailleurs que l'infraction a été commise par des agents municipaux, sur ordre donné par leur maire. Il souligne que ce dernier « semble pénalement responsable en qualité de « complice par instigation ». La question peut se poser de savoir si la responsabilité des agents peut être exonérée du fait de l'ordre donné par la plus haute ­autorité ­administrative de la commune employeur, relayé par l'encadrement. » Et de rappeler que l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 énonce qu'un fonctionnaire « n'est dispensé de son ­devoir d'obéissance qu'en présence d'un ordre ­manifestement illégal. » Le président conclut donc que « dans ce cas-là, la responsabilité des agents ayant procédé au déchargement des ­ordures ménagères semble engagée, tout comme celle du maire et de l'encadrement ayant respectivement donné et relayé l'ordre. »
Enfin, Jean-Michel Guerre regrette la passivité de l'État. « Nous n'avons eu connaissance d'une quelconque intervention du préfet de l'Allier dans cette affaire. Des maires se font rappeler à l'ordre pour moins que cela », constate-t-il.
En tout état de cause, l'action conduite par le maire de Vichy n'aura pas permis au président de VVA de revenir sur la décision prise en conseil communautaire. « La réunion bilan est prévue en septembre. Une décision sera prise en fonction de ce qu'il en sortira. Point final. »


Avis d'expert

Qui fait quoi ?
- Qui assure le service et est compétent pour prendre des décisions sur ce point ?
La communauté bien sûr. C'est pourquoi il ne restait plus au maire de Vichy qu'à faire de la communication provocatrice, domaine dans lequel on ne lui connaissait pas ce talent.
- Le maire a-t-il donc perdu toute marge de man½uvre ?
Non : le maire conserve ses pouvoirs de police et il peut donc prendre des mesures de sécurité, de tranquillité ou de salubrité publiques sous condition, schématiquement, que ces mesures soient proportionnées au trouble à l'ordre public à prévenir. C'est ainsi que de nombreux maires, par exemple, prennent des arrêtés pour encadrer les horaires des activités bruyantes... y compris le ramassage des déchets ménagers. Ces pouvoirs de police peuvent certes, depuis 2004, faire l'objet d'un ersatz d'intercommunalisation, mais selon un régime complexe, limité, et qui passe par des arrêtés conjoints entre le maire et le président de la communauté...
- La frontière est donc claire entre commune et communauté ?
Hélas, non : les débats juridico-techniques abondent sur de nombreux points (nettoiement de voirie, poubelles de rue...).
- C. Malhuret a-t-il commis une infraction en matière de dépôt d'ordures ? Cela y ressemble, mais les conditions de ce dépôt (bâche plastique etc.) pourraient lui donner une ligne de défense.
- Existe-t-il des règles sur la périodicité de la collecte ?
Non, mais une collecte vraiment trop peu fréquente pourrait dans des cas extrêmes soulever des problèmes sanitaires au point de violer quelques normes sur ce point, voire de constituer des infractions.

Éric Landot
Cabinet Landot & associés - Avocats au Barreau de Paris


Pour aller plus loin
« La gestion globale des déchets ménagers », un classeur des éditions Territorial. Sommaire et commande sur http://librairie.territorial.fr, rubrique « Classeurs ».