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TP : les perdants... et les gagnants

Article du numéro 386 - 15 septembre 2009

A la une

La réforme de la TP va se traduire par un grand chamboulement : les EPCI percevront une taxe sur l'économie réduite à la peau de chagrin et la fiscalité mixte se généralisera.
Bref, c'est la fin de la spécialisation fiscale au sein des agglo. Quelles seront les conséquences de cette révolution pour les EPCI ? Cela dépendra de leur tissu économique. Avec une quasi-certitude : l'augmentation de la pression fiscale pèsera sur les ménages.

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Christine Lagarde a raison de dire que peu nombreux sont ceux qui comprennent quelque chose à la taxe professionnelle et à sa réforme : l'impôt n'étant pas simple, sa modification contenue dans un pensum d'environ cent vingt pages, produit par la ­Direction de la ­législation fiscale et adressé aux associations d'élus au début du mois d'août, l'est ­encore moins. Cependant, toutes les collectivités et en particulier les EPCI et les communes doivent bien prendre conscience que rien ne sera plus comme avant avec cette réforme.


6 milliards de moins à payer pour les entreprises

Les grands gagnants de la réforme sont ­incontestablement les entreprises et principalement l'industrie, avec un allégement d'impôt d'environ 6 milliards d'euros par an. Jusque-là pas de surprise, cela répond au cahier des charges du président de la République. Ce montant est à peu près pris en charge par l'État. Certes, celui-ci doit compenser le manque à gagner pour les collectivités, qui est beaucoup plus important, mais il bénéficiera par ailleurs de la quasi-suppression des ­dégrè­vements.
La TP sera remplacée par une cotisation économique territoriale composée d'une cotisation locale d'activité, qui ­reviendra au secteur communal (communes et EPCI), et une cotisation complémentaire qui ira pour les trois quarts aux départements et un quart aux régions.
Les réflexions conduisant à remplacer l'impôt par une assiette foncière et une part ­valeur ajoutée cheminaient depuis plusieurs années. Mais le projet de réforme, initié par le gouvernement et substantiellement ­rema­nié et amélioré par la commission des ­finan­ces de l'Assemblée nationale, n'en est pas le meilleur aboutissement.


Plus d'intérêt à l'aménagement économique

En effet, avec la version actuelle du texte (qui n'est pas véritablement un avant-projet de loi), le secteur communal, et plus particulièrement les EPCI, ne sera pas assez intéressé aux fruits du développement économique. La cotisation locale d'activité représente environ le tiers de la taxe professionnelle anciennement perçue. Pour toute implantation nouvelle significative, une communauté d'agglomération percevra entre le quart et la moitié des ressources supplémentaires dont elle ­bénéficiait avec la TP... Certes, le temps où la taxe professionnelle permettait de ­financer quasi entièrement le coût du développement des services à la population et de l'aménagement urbain (même si ces derniers sont des facteurs d'attraction des ­entreprises) est ­depuis longtemps révolu. Mais la question se pose aujourd'hui : quels seront les moyens disponibles pour financer les frais directs ­engendrés par l'accueil des entreprises ? Faudra-t-il désormais vendre les terrains à prix coûtant et bannir les dispositifs d'aides publi­ques aux entreprises ? C'en est en tout cas fini : les politiques économiques locales ne permettront plus d'accroître les recettes des collectivités. Demain, ces politiques ne serviront en effet plus qu'à améliorer l'emploi et l'aménagement du territoire : or, même si ces politiques sont tout à fait essentielles, elles sont financièrement peu rémunératrices pour les budgets communaux ou intercommunaux.
Autre question : atteindra-t-on l'objectif de protection de l'industrie française, si les collectivités choisissent de ne plus favoriser les entreprises sources de nuisances environnementales importantes, quitte à sacrifier l'emploi ?


Quelles ressources de remplacement ?

Seul un partage de la cotisation départementale et régionale sur la valeur ajoutée avec les EPCI et notamment les métropoles (qui récupéreront les compétences départementales) permettrait de ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Quelle est d'ailleurs la logique de ce monopole de la taxation de la valeur ajoutée en faveur des départements, alors que ces derniers n'interviennent qu'en soutien des collectivités ayant la responsabilité de l'accueil des entreprises ? Ce choix est d'autant moins cohérent que le département, bénéficiaire à titre principal de la cotisation sur la valeur ajoutée, verra s'éteindre son intervention économique avec la réforme des collectivités locales.

La cotisation locale d'activité représentera environ le tiers du produit de la TP perçu par les communes et les EPCI. Quelles seront les ressources de remplacement ? Elles seront essentiellement composées d'une partie de la fiscalité ménages perçue par les départements et les régions et par la reprise des taux de TP (devenue cotisation locale d'activité) de ces collectivités par les communes et EPCI qui percevaient la TP. La réforme ­signifie donc la poursuite et l'abandon de la spécialisation fiscale, thématique chère aux législateurs des années 1990-2000 : poursuite par le rapatriement du taux local d'imposition des entreprises au secteur ­communal ; abandon par l'adjonction auto­­­­ma­­tique des taux des taxes ménages des ­départements (excepté le foncier bâti) et des régions, ces dernières étant par ailleurs dépourvues de toute recette issue des « quatre vieilles » : sacrée rupture !


Des risques majeurs pour l'interco

Pascal Fortoul,
président de l'ADGCF

Le succès de l'intercommunalité est le fruit de la loi Chevènement de 1999 et de la taxe professionnelle unique. L'impôt le plus dynamique permettait - car il convient désormais de parler au passé - de rendre le stock initial aux communes (AC), de mettre en œuvre une véritable solidarité territoriale grâce à la DSC et d'exercer avec dynamisme les compétences obligatoires en matière de développement économique, d'aménagement de l'espace...
Avec le projet de loi de finances 2010, tout cela est rompu ! Plus d'évolution de la ressource, un lien avec le développement économique brisé, une solidarité territoriale remise en cause.
Pire, une perte de ressources, et cela dès 2010, se profile. En effet, le « revenu de référence » doit être calculé au regard des déclarations transmises par les entreprises au 1er mai 2009 et beaucoup d'entreprises ont « omis » de faire leurs déclarations, d'autres les ont largement minorées. Pour éviter le pire, les parlementaires doivent exiger que les EPCI à TPU puissent disposer dès 2010 des déclarations faites par les entreprises et que l'État - qui ne fera pas ce contrôle - s'engage à corriger les erreurs dans sa future dotation.
L'ADGCF se mobilisera pour obtenir un tel dispositif de contrôle, évitant aux intercommunalités d'être doublement pénalisées.


Vers la mixité des ressources fiscales

Le mot d'ordre pour le secteur local est donc la mixité des ressources fiscales : si l'on peut y voir une forme de sécurisation des ressources des EPCI anciennement à TPU (avec notamment en toile de fond la crise ­actuelle), la généralisation de la fiscalité mixte n'aura pas la même incidence partout. Pour certains EPCI, les ressources après réforme (qui intégreront par ailleurs une taxe sur les éoliennes, une nouvelle ­imposition sur les pylônes et une taxe sur les surfaces commerciales) seront plus importantes que ce qu'ils touchaient avant. Pour d'autres en revanche, pas d'excédents de ressources : ils continueront à en manquer cruellement. D'où la mise en place d'une compensation dégressive sur vingt ans. Pour les EPCI très industriels, la perte des EBM sera lourde de conséquences : la progression de la fiscalité ménages ne fera qu'effacer la réduction de la compensation, ce qui devrait se traduire par une stagnation, voire une baisse des ressources en euros courants. En revanche, les EPCI peu industrialisés mais avec une dynamique importante d'urbanisation pourraient être bénéficiaires de la réforme et donc être assujettis à un prélèvement. La croissance de la ressource ­ménages couplée à la baisse du prélèvement pourrait néanmoins leur ­assurer des augmentations de ressources totales significatives. La géographie des perdants et ­gagnants de la réforme pourrait révéler des surprises, avec par exemple une amélioration des perspectives financières des collectivités du sud de la France.


Des bases fiscales fictives

Mais pour la plupart des collectivités, la ­situation pourrait être d'autant plus alarmante que les bases sur lesquelles seront calculées les compensations ou versements ne sont plus des bases fiscales. Ce sont des bases établies par les services fiscaux à partir du dispositif légal et des exonérations applicables en 2009 et des déclarations des entreprises effectuées avant le 1er mai 2009. Or, les services fiscaux et les ­experts-­comptables l'ont constaté : de nombreux chefs d'entreprise ont pris au mot le président de la République en renonçant à ­envoyer leur déclaration, malgré la lettre d'accompagnement signée par le ministre du Budget. Comme les services de l'État n'ont pas fait de zèle, nous sommes dans une situation un peu surréaliste de calcul de bases fictives. Les élus pourraient donc ­recevoir une compensation en forte baisse par rapport au produit 2009.
Les EPCI (principaux bénéficiaires de la TP) seront bien en peine de savoir ce qu'il faudra attribuer à l'évolution économique (et ­notamment aux effets de la crise) et ce qui résulte d'une assiette de mauvaise qualité. Par ailleurs, le solde avant/après réforme sera très différent d'un EPCI ou commune à l'autre, non seulement en fonction du poids des EBM et du foncier industriel et de la fiscalité départementale et régionale récupérée (avec la réintégration des taux dans les quatre taxes), mais aussi des autres ressources récupérées (imposition sur les pylônes, taxation, ­éoliennes, grandes surfaces...). Cette diversité de situation se traduira dans certains cas par une compensation à recevoir ou un versement à opérer au profit de l'État... les deux étant soumis à une ­dégressivité sur vingt ans. Comme toujours lorsque l'on touche à une architecture complexe, le système fiscal de substitution ­nécessitera des ajustements ou des traitements de cas particuliers. À la clé, de nouvelles usines à gaz ! On ose à peine imaginer ce que ce bouleversement provoquera dans les mécanismes et les variables de calcul de la DGFG et des autres dotations de péréquation : le chantier de réforme de la DGF suivra celui de la TP, dès 2011.


Une triple rupture

Philippe Laurent,
maire de Sceaux et président de la commission des Finances de l'AMF

C'est à une (au moins) triple rupture que va conduire le remplacement de la taxe professionnelle envisagée par le gouvernement et qui va bouleverser durablement le paysage financier local :
- Rupture dans le rythme d'alimentation des budgets locaux : les ressources de substitution progresseront nettement moins vite que la désormais ancienne taxe professionnelle, avec à la clé une tension budgétaire à venir et une diminution des capacités d'investissement.
- Rupture dans l'autonomie fiscale : les trois-quarts des ressources de remplacement de la taxe professionnelle seront des quasi-dotations, sur lesquelles les élus n'auront plus de pouvoir de taux.
- Rupture dans le (trop) lent mouvement d'égalisation des ressources fiscales entre les territoires : la réforme devra être très rapidement accompagnée d'un vigoureux effort de péréquation horizontale.


Une concurrence annoncée sur le « marché de la fiscalité ménage »

Les communes membres de groupement à TPU ne seront pas ou peu concernées par la réforme, du moins pas ­directement. Elles pourront subir les effets d'une restriction de la politique de redistribution des groupements (dotation de solidarité communautaire, fonds de concours) ou de la modification prévisible des règles de calcul de la DGF... ou être sérieusement concurrencées sur le « marché de la fiscalité ménage ».
Dans tous les cas, la cotisation locale d'activité devenue peau de chagrin aura une contrepartie en terme d'augmentation de la pression fiscale sur les ménages. Si de nombreux EPCI ont renoncé en ce début de mandat à la fiscalité mixte, celle-ci va se ­généraliser par simple application de la loi. On peut l'imaginer, l'augmentation du taux de la taxe sur le foncier bâti sera le levier privilégié, pour au moins deux raisons. Nombre d'élus auront sans doute peu de scrupules à augmenter une taxe qui est notamment prélevée sur un secteur économique et obtiendra par ailleurs de substantiels allégements. La taxe foncière demeurera par ailleurs le seul impôt local sur lequel le département aura un pouvoir de fixation du taux.


À télécharger
Sur www.lettreducadre.fr/comp-redac.html, compléments rédactionnels nos 937 et 338 : Les rapports sur la cotisation économique territoriale remis au MEDEF et aux associations d'élus début août. 

À lire
Sur www.lettreducadre.fr, rubrique « au sommaire du dernier numéro » :« Interco : le bluff des maires », La Lettre du cadre territorial n° 376, 15 mars 2009.

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