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Moins de lois, mais plus courtes et mieux écrites

Article du numéro 378 - 15 avril 2009

Interview

Président de la Commission des lois à l'Assemblée, Jean-Luc Warsmann vient de remettre au Premier ministre un rapport sur «la qualité et la simplification du droit». Il y propose quatre-vingt-sept mesures pour réduire l'inflation législative, rendre les lois applicables et faciliter l'accès au droit.

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Jean-Luc Warsmann est député des Ardennes et président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Il est aussi le rapporteur du récent rapport de l'Assemblée nationale demandant un « Big bang territorial ».


Comment expliquer l'incapacité de la France à remédier à l'inflation législative ? Faut-il désespérer de la vertu des politiques en la matière ?

C'est plus qu'un problème politique. Depuis des dizaines d'années, le système législatif et réglementaire français a fonctionné sous le régime du mille-feuille. Il faut donc maintenant mettre en place de nouvelles manières de travailler, pour éviter cette accumulation successive par strates de législations et de réglementations.


Vos propositions sont surtout des mesures techniques pour améliorer la production de la loi. Quand chaque ministre a besoin d'accoler son nom à une loi, n'y a-t-il pas d'abord un problème politique ?

C'est un peu une caricature, mais qui n'est pas fausse. Je propose deux types de mesures : celles qui permettent d'agir sur le flux de nouvelles normes, et celles qui visent à réduire le stock. En ce qui concerne le flux de nouvelles normes, il s'agit d'inciter les gouvernements à vouloir adopter moins de textes à l'avenir, et donc à vérifier que ces textes soient davantage justifiés.


C'est pour cette raison que vous faites plusieurs propositions pour renforcer les études d'impact ?

Oui, il s'agit d'obliger tout ministre qui veut proposer un texte à présenter d'abord un état du droit existant. Dans les faits, on ne pourra plus proposer de nouvelle loi dans un domaine où la précédente n'a pas fait l'objet de tous les textes d'application nécessaires. Il devra également démontrer pourquoi une nouvelle loi s'impose et pourquoi il ne peut pas atteindre les mêmes objectifs par d'autres moyens d'action. Enfin, il devra démontrer le bénéfice coût/avantage de cette nouvelle loi. On en demandera donc beaucoup plus, la loi ne devant arriver qu'après avoir épuisé les autres solutions d'action gouvernementale.


Enfin, afin de ralentir la capacité d'absorption législative du Parlement, une semaine sur quatre ­serait consacrée à l'évaluation des politiques publiques et au contrôle des lois votées. Je suis persuadé que l'avenir du travail parlementaire se situe dans un contrôle plus approfondi de la dépense publi­que et de l'application de la loi sur le terrain et, parallèlement, dans un nombre plus faible de lois votées. Les mesures que je propose peuvent individuellement paraître avoir un caractère technique, mais elles vont toutes dans ce même sens.


Vous prônez un recours accru à la « légistique » : de quoi s'agit-il ?

Il s'agit de constater d'une part que les textes juridiques sont d'une qualité très inégale et, d'autre part, que certains ­ministères parviennent difficilement à rédiger des textes de qualité. Seuls des ministères importants ont encore les équipes pour le faire. Il faut prendre en compte cette réalité : les députés notent souvent que certains ministères ont beaucoup de mal à défendre les lois, tout simplement parce que leurs services n'ont pas les compétences pour préparer  les textes. Ce n'est d'ailleurs pas choquant : ce serait du gaspillage d'argent public que de ­demander à un ­petit ministère, qui ­défend une loi tous les trois ans, d'avoir une équipe complète et chevronnée de juris­tes. Mais il faut en ­tirer la conséquence. Il nous faut moins de lois, mais aussi des lois plus courtes et mieux écrites.


Mieux produire, c'est bien, mais encore faut-il que les lois soient appliquées. Or, ce n'est pas toujours le cas : les associations d'aide à l'enfance attendent encore des décrets d'une loi de 1995 !

Les décrets d'application sont souvent tardifs. Mais la situation était pire il y a quelques années, car il faut reconnaître la franche volonté du gouvernement d'améliorer les choses. Comment ? En convoquant le ministre auteur d'une loi devant le Parlement six mois après le vote, pour qu'il rende compte de l'état d'avancement des textes d'application et se justifie des retards éventuels. Plus audacieux : je propose, trois ans après la promulgation d'une loi, l'abrogation ou l'application d'office des dispositions qui n'ont pas encore fait l'objet d'une application. Nous allons d'ailleurs passer aux travaux pratiques : il y quelques ­semaines, j'ai saisi tous les ministères d'un tableau des dispositions votées ­entre 2001 et 2006 et qui n'ont pas fait l'objet de dispositions d'application. Je leur ai demandé de prendre position sur ces mesures : ou bien ils décident au plus vite des textes d'application, ou bien le Parlement en débat à nouveau, soit pour appliquer la loi d'office en supprimant l'obligation de décrets, soit pour l'abroger si elle n'est pas applicable. Ce travail doit être systématique. Le droit français ne peut plus avoir ces centaines de dispositions législatives, votées mais inapplicables faute de décrets.


Les plus petites collectivités souffrent d'une inégalité terrible face au droit, faute de compétences et d'informations. Comment leur faciliter la vie ? Faut-il réformer le contrôle de légalité ?

L'instabilité juridique est le premier facteur d'inégalité, pour les petites collectivités comme pour les petites entreprises. La collectivité qui a les services pour étudier les ­innovations juridi­ques ira beaucoup plus vite. Ensuite, l'État a un devoir de conseil des collectivités : le contrôle de légalité n'est pas uniquement là pour rapporter des actes ou ­menacer de recours devant le juge ­admi­nistratif.


Dans la réalité, ce devoir de conseil n'existe pas...

Il existe inégalement. Mais il dépend de la personnalité des sous-préfets. Quand ils sont actifs sur le terrain, les maires peuvent lui demander conseil sur la ­manière d'atteindre juridiquement ses ­objectifs.


La Lettre du Premier ministre mentionnait la garantie d'accès du citoyen au droit. Là encore, en l'état actuel, n'est-ce pas un v½u pieux ?

Sur l'aspect formel, la situation avance : Légifrance représente un grand pas en avant. Cependant, je note dans mon rapport des pans entiers du droit auxquels il est encore très difficile d'accéder. Mais nous retombons sur la question du ­volume des textes produits. Je cite souvent ce chiffre significatif, même s'il a ses limites : en 1990, nous avons atteint mille nouvelles pages de lois votées par an, et dépassé deux mille en 2006. La ­société ne peut pas absorber une telle quantité de droit.


La commission Balladur vient de rendre son rapport. Vous-même êtes auteur d'un rapport à l'Assemblée nationale et le Sénat vient à son tour d'en publier un. N'est-on pas typiquement dans une inflation de textes, chacun dans son coin ?

Tout au contraire. Quand nous avons attaqué ce travail en Commission des lois, le président de la République n'avait pas encore confié sa mission à Édouard Balladur. J'avais alors la conviction que, dans la législature, il allait falloir s'attaquer à la question de la décentralisation. Si l'on veut faire un travail parlementaire solide, il n'y a pas d'autres solutions que de passer plusieurs mois à écouter et approfondir, dans un esprit pluraliste. Ce travail a d'ailleurs été utile, puisque les dix grandes pistes auxquelles nous avons abouti ont été adoptées à l'unanimité. C'est dire si nous sommes allés loin dans l'analyse partagée de la ­situation. Ensuite, à chacun son métier, si l'exécutif souhaite une réforme, il ­rédigera un texte et le présentera au Parlement. Un rapport parlementaire ne crée pas de droit nouveau, mais il ébauche des réflexions et propose des pistes de réforme. C'est tout l'intérêt de notre travail.


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complément rédactionnel n° 914 : Le rapport remis par Jean-Luc Warsmann.

À lire

 L'interview de Jean-Jacques Urvoas, « Assumons le pouvoir régional », Lettre du cadre n° 374, 15 février 2009.