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Demain, on externalise tout ?

Article du numéro 378 - 15 avril 2009

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Certains ont testé et en sont revenus. D'autres ont su l'utiliser à bon escient et de manière stratégique. Et si l'externalisation devenait une pratique inéluctable ?

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Dans les entreprises, l'externalisation des services généraux (comptabilité, flotte d'entreprise, achat, RH...) est une pratique banale. Elle leur sert à transformer leurs coûts fixes en coûts variables, acquérir plus de flexibilité, créer de la valeur en faisant appel à des compétences extérieures. Bref, à être plus compétitives. Même si l'externalisation n'est pas la solution à tous les maux, les entreprises sous-traitent de plus en plus de services au c½ur de leur fonctionnement. Alors pourquoi n'en serait-il pas de même pour les collectivités qui, après avoir délégué les déchets, l'eau, la restauration scolaire, confieraient à présent leurs services fonctionnels ?


Des expériences ici et là

L'idée fait son chemin sans pour autant ­virer au phénomène massif. Si la gestion des paies constitue le plus gros du marché de l'externalisation des entre­prises, on est loin de connaître un tel engouement dans les collectivités, qui rechignent à confier leur GRH au privé. L'exemple le plus abouti reste rare : celui d'Issy-les-Moulineaux... La ville a décidé d'externaliser une grande partie de sa GRH, après avoir constaté de coûteux dysfonctionnements internes. Externaliser à ce point un service RH ne s'est, depuis, toujours pas vu ailleurs. Plus commun en revanche, la sous-traitance de tâches précises, chronophages ou sensibles, comme l'édition des fiches de paie ou la présélection de candidats. Pour Philippe ­Mazuel, consultant du groupe Ethos Challenge : « elles ont besoin d'attirer les meilleurs profils. C'est le travail par excellence d'un prestataire extérieur car nous avons du recul et du savoir-faire ». En matière de finances, les collectivités se tournent plus massivement vers l'extérieur. mille deux cents d'entre elles sont par exemple clientes de Finances active, société qui propose des services en gestion de dette. Une aide quasi obligatoire pour les collectivités qui n'ont pas les compétences internes en matière de gestion de dette. « Si on pousse la logique très loin, un DGS pourrait sous-traiter tous ses contrats à une telle société de service et se passer de directeur financier... » considère, provocateur, Laurent Guyon, directeur financier en collectivité. Le recours massif, souvent conseillé par les banques, aux emprunts à risque a mis bien des collectivités en grave difficulté. On ne peut pas savoir si les consultants vont souffrir de la crise de confiance qui en est née ou s'ils renforceront leur rôle de conseils face aux banques.


Amortir l'intervention extérieure

Le privé est souvent suspecté d'afficher des prestations hors de prix. Mais les collectivités peuvent essayer d'amortir au mieux leur investissement. Le transfert de compétences et de méthodologies peut leur permettre de dynamiser leurs équipes en ­interne. Les fonctionnaires se plaignent de manquer d'autonomie dans leur travail et d'initiative.  L'arrivée d'un prestataire privé, plus libre, va souvent « secouer le cocotier » et laisser à son départ de nouvelles marges de ­man½uvre aux territoriaux.  Jean-Luc B½uf, DGS du conseil général du Val-d'Oise revendique le pragmatisme : « la seule règle devrait être la recherche du meilleur rapport qualité-prix ». Et de citer quelques expériences : « La Roche-sur-Yon a internalisé sa cantine municipale pour des raisons de qualité, après l'avoir externalisée. À la région de Franche-Comté, nous avions externalisé la surveillance des bâtiments de jour et de nuit pour des raisons de coûts et de souplesse. Quand je suis arrivé dans le Val-d'Oise, je me suis vu confier un audit financier, alors que l'on aurait pu imaginer faire appel à un cabinet extérieur. Ma plus-value ? Un regard neuf et des compétences en la matière ».


Externaliser : combien ça coûte ?

Dans un compte de résultat, un rapport d'activité, les services externalisés, les prestations extérieures ont au moins l'avantage de la transparence. Ils sont clairement identifiés. Coûtent-ils pour autant moins cher ? Une question de point de vue, car les territoriaux ne mettent pas en balance les mêmes arguments.

Georges Ruelle, DGAS du conseil régional Champagne-Ardenne

Plutôt moins coûteux
« Peu importe que l'expertise d'un cabinet juridique sur une question très pointue coûte plusieurs dizaines de milliers d'euros. Cela reviendra toujours moins cher qu'un « loupé » dans un gros contrat de DSP qui coûtera des millions d'euros à la région. Mais on peut se tromper dans le choix d'un prestataire : il faut donc être précis dans la rédaction du cahier des charges et scrupuleux dans son application. Pour autant, on ne peut embaucher un agent titulaire pour résoudre une mission ponctuelle : s'il reste quarante ans dans la collectivité, une prestation externe sera toujours compétitive. »

Olivier Nys, DGA de la ville de Lyon

Faire cohabiter la régie et l'externalisation
« Ce sujet ne doit pas être traité de manière doctrinaire, mais purement économique : le rapport qualité-prix est-il meilleur ou pas ? Faut-il encore que la collectivité connaisse parfaitement son coût complet et sache le ramener à une unité d'½uvre comparable. Managérialement, je trouve intéressant la cohabitation entre la régie et l'externalisation car cela offre une mise en perspective intéressante. Il ne s'agit pas de les mettre en concurrence mais de générer un enrichissement mutuel. Les collectivités doivent comparer leurs coûts de production du service public avec le privé, mais ce dernier doit encore s'inspirer de la qualité de service mise en ½uvre par la FPT. »


Laurent Guyon, directeur du pôle territorial Toulouse Centre, CU Grand Toulouse

Plutôt plus coûteux
« À coût constant, le privé produit peut-être moins cher que le public mais, si l'on ajoute la TVA que le public ne récupère pas et la marge de l'entreprise, il sera souvent plus cher. Même pour des tâches à faible valeur ajoutée comme l'entretien des poubelles, les sociétés de service « surfacturent » parfois leurs prestations, prenant une marge de sécurité. La sous-traitance de tâches mécaniques, comme le relevé des consommations d'eau des ménages, ne garantit pas toujours un gain, surtout si la collectivité doit assurer les relances et assumer les conséquences d'une mauvaise qualité... »

Michel Biré, DGS de la communauté de communes du Pays de Fontenay-le-Comte

Conserver notre réactivité
« Nous tenons à maîtriser les services généraux qui constituent le c½ur de la structure, nous voulons conserver notre réactivité, ce n'est pas toujours le point fort des intervenants extérieurs. Vu le prix de l'intervention, j'apprécierais que notre prestataire en informatique puisse intervenir dans la demi-journée, plutôt que dans les trois jours ».


Revenir en arrière ?

« D'accord pour externaliser, concède Pascal Fortoul, DGS de la CA du Pays Voironnais et président de l'Association des DG de communautés (ADGCF), mais de manière ponctuelle. Si cela devient récurrent, une analyse s'impose pour en comprendre les motivations. Je reste convaincu que les collectivités ont en leur sein du personnel qui peut ½uvrer de manière compétitive par rapport au privé ». Le Pays Voironnais fait d'ailleurs partie de ces collectivités qui sont revenues de l'externalisation. Pour des raisons de coût et d'efficacité, il a ainsi vivement « réinternalisé » le service informatique une fois que l'intercommunalité a eu la taille critique.

La tendance est-elle à la réinternalisation ? Pas pour le moment, en ce qui concerne les « services régaliens ». En revanche, un mouvement a été enclenché en matière de distribution et l'assainissement de l'eau : Paris a récemment fait la une après son ­retour à une régie municipale. Mais ces ­retours en régie ne sont pas l'apanage des grandes villes : Castres, Neufchâteau, Oyonnax ou Châtellerault ont aussi fait ce choix.


Les services com' ont dit « oui » aux prestataires

La communication territoriale a depuis longtemps recours aux prestataires ­externes. Les métiers y sont tellement ­divers (rédaction, photographie, graphisme, impression) qu'ils ne peuvent pas être tous couverts en interne. Collaborer avec des agences de communication permet de rester au goût du jour. L'essentiel est que le conseiller ne prenne pas la place du directeur de la publication. La ligne éditoriale, la tonalité globale, doivent notamment rester de la responsabilité du donneur d'ordre. Au conseil régional de Champagne-­Ardenne « comme dans des milliers d'autres collectivités, précise Gérard Ruelle, le service de communication, pourtant constitué de 7 personnes aux compétences diver­sifiées, travaille en complémentarité avec des partenaires externes. Après validation du contenu de chaque numéro par un ­comité éditorial pluraliste, la mise en forme du magazine régional fait appel à de nombreux partenaires, de la rédaction des articles... à la diffusion de 570 000 exemplaires dans les boîtes aux lettres ».


Demain, tout est possible...

L'heure de l'externalisation des services fonctionnels ne semble pas encore avoir sonné dans les collectivités. L'explication ­paraît simple : alors qu'elles ont beaucoup recruté, il serait périlleux d'intégrer tous ces agents, d'accompagner leur carrière, tout en conduisant une politique d'externalisation. Mais la diminution du nombre de fonctionnaires vers 2015, avec les départs massifs à la retraite et le non-­remplacement d'un sur deux, redorera probablement le blason du recours aux sociétés de services. « Il y a trente ans, on a externalisé les services de restauration scolaire, d'eau, et les déchets, parce que c'était compliqué et très réglementé. Aujourd'hui le regard est beaucoup plus financier et gestionnaire et on reprend en ­interne, surtout aussi parce que l'on peut ­recruter des gens compétents » explique Laurent Guyon. Demain, d'autres services, ­répondant à de nouveaux enjeux, peuvent devenir très compliqués à piloter. La crise et de la suppression de la TP : les finances, les RH, les politiques d'achat des collectivités pourraient devenir des services très délicats à man½uvrer... si bien qu'un regard extérieur sera le bienvenu. Ainsi, l'externalisation, encore impensable hier, de la relation à l'usager pourrait devenir nécessaire et profiter de l'éclairage d'intervenants extérieurs. Cela appellera inévitablement des évolutions profondes, qui s'inspireront peut-être de celles des entreprises. Les experts, consultants et sociétés de services auront leur place dans ces phases de transformation. La communauté de communes de la Presqu'île de Crozon a donné l'exemple : elle est l'une des premières à avoir fait appel à un cabinet extérieur pour revoir ses services, à travers la lucarne du management par la qualité. La qualité de l'accueil, l'information et la satisfaction des usager sont placées au centre des nouvelles pratiques de travail, avec une certification à la clé, via des audits réalisés par un cabinet extérieur et des ­objectifs annuels à tenir. « Nous économisons 200 000 euros par an sur la partie collecte, et nous avons un bon retour de la population qui comprend que nous cherchons à maîtriser les ­deniers publics », indique le DGS, Hubert Le Brenn.


Doc-Doc

À lire

« Issy : questions sur une externalisation », La Lettre du cadre territorial, n° 342, 15 juillet 2007.