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Comptes et mécomptes de la « culture de résultats »

Article du numéro 375 - 01 mars 2009

Idées

Attention à ce que nous sommes en train de faire : les effets vertueux des incitations financières à la performance - primes, salaire au mérite - ne sont vérifiés nulle part ; leurs effets pervers en revanche sont largement établis. L'ouvrage de Maya Beauvallet nous aide à le comprendre.

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Les stratégies absurdes, Maya Beauvallet (éditions du Seuil). Retrouvez des extraits de cet ouvrage sur le complément rédactionnel n° 904. Maya Beauvallet a consacré l'essentiel de ses recherches à la question des incitations à la performance, et cette version « grand public » de ses travaux donne un aperçu de leur richesse. Ses conclusions, nourries de nombreuses études de cas dans le privé et dans le public, méritent ­absolument d'être intégrées à la réflexion de quiconque est appelé à jouer un rôle dans les évolutions en cours du management public. Elles ont valeur de mise en garde.


Les stratégies d'adaptation

Déjà dans le secteur privé, où le recours à ces outils semble aller de soi, leur mise en œuvre pose de sérieux problèmes. Les indicateurs de performance répondent assez bien aux ­enjeux d'ordre quantitatif, mais ils s'avèrent vite inopérants en matière de qualité, car celle-ci se prête mal à la mesure. Ils semblent convenir dans les organisations où les salariés travaillent les uns à côté des autres, mais s'avèrent contre-indiqués dès lors que le service à rendre implique une forte collaboration et un travail les uns avec les autres. Autre problème majeur, ils ne peuvent jamais être démultipliés au point d'englober l'ensemble des tâches, et la conséquence est partout la même : les salariés concernés concentrent leur effort sur les tâches mesurées aux dépens de celles qui ne le sont pas. Enfin l'auteur fournit un florilège de toutes les tactiques d'adaptation que suscitent ces outils au sein du personnel, qui conduisent à ce que les progrès apparents mesurés par les indicateurs ne correspondent que de très loin aux objectifs de fond qu'ils étaient censés servir.


Encore moins adapté au secteur public ?

À ces inconvénients mis en lumière dans le privé, s'ajoutent, en secteur public, des difficultés spécifiques. Les objectifs y sont en général plus difficiles à expliciter qu'en secteur marchand, parce qu'il faut y concilier des préoccupations contradictoires exigeant de subtils arbitrages. Exemple : comment mesurer une bonne justice ? Quelle place faire à la rapidité, à la qualité des décisions, à l'équité ? Les enjeux qualitatifs sont ­omniprésents et essentiels dans l'action ­publique, et le recours à des systèmes de gestion qui les délaissent au profit des critères quantitatifs et financiers porte en lui le risque de la perte de sens et de la banalisation, qui démoralisent au lieu de dynamiser. Et surtout, il y a probablement ­incompatibilité de principe entre ces techniques d'incitation monétaire par l'intéressement aux résultats, et la valeur cardinale d'égalité qui est au fondement du service public. Tout indicateur assorti d'une ­récompense conduit en effet à privilégier les usagers les plus intéressants quant au ­résultat à atteindre, et à négliger ou ignorer les autres, au mépris de l'égalité de traitement. La difficulté est d'autant plus grave que les usagers dont le service public ­devrait se préoccuper le plus attentivement sont précisément ceux dont les problèmes exigent une écoute et une attention particulièrement difficiles à chiffrer. Ces observations et analyses sont de précieux antidotes par rapport à la doxa managériale en vigueur aujourd'hui. La modernisation publique est à concevoir comme un projet singulier, irréductible à la construction de machineries gestionnaires. Sa réussite se jouera d'abord sur la capacité des ­décideurs et dirigeants à actualiser et faire partager le sens et les valeurs qui font l'identité publique.