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Les communes devront-elles changer les couches-culottes ?

Article du numéro 375 - 01 mars 2009

Education

Exit la maternelle, bonjour les "jardins d'éveil". Ces nouvelles structures pourraient demain accueillir les enfants âgés de 2-3 ans. Glissement de l'accueil éducatif vers un mode de garde, nouveau transfert de charge de l'Etat vers le local... la perspective inquiète les communes.

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« Est-il vraiment logique que nous fassions passer des concours Bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? ». Cette phrase, prononcée par le ministre de l'Éducation nationale, Xavier Darcos, le 3 juillet 2008 devant la commission des Finances du Sénat, a suscité l'ire des enseignants : « mépris », « méconnaissance de la réalité » « incompétence »... Et les « excuses » en forme d'explications du ­ministre n'ont pas plus calmé la colère des professionnels que l'inquiétude des communes de voir supprimer la scolarisation des enfants de 2-3 ans. Ce sujet vous interesse ? Venez débattre et donner votre avis en répondant à la question suivante: Pour ou contre la transformation des maternelles en jardins d'éveil ?


Idée récurrente

C'est qu'au-delà de l'invective, le projet existe effectivement. Dans leur rapport sur « la scolarisation des jeunes enfants », les sénateurs Monique Papon et Pierre Martin proposent la création d'une structure intermédiaire (entre la crèche et l'entrée en maternelle) d'accueil des enfants âgés de 2-3 ans : le « jardin d'éveil ». Cette proposition figurait d'ailleurs déjà dans les conclusions du rapport de Michèle Tabarot sur « le développement de l'offre d'accueil de la petite enfance ». L'idée n'est du reste pas nouvelle et ressurgit régulièrement, tant les avis sur l'intérêt pédagogique de la scolarisation précoce sont tranchés : ­régulièrement critiquée, puis de nouveau encensée... En avril 2001 déjà, Ségolène Royal, alors ministre délégué à la Famille et à l'Enfance, avait annoncé son intention de créer des « jardins d'enfants éducatifs », pour les enfants de 2-3 ans.


Logique rampante

Cette fois sera-t-elle la bonne ? Plusieurs ­signaux peuvent le laisser penser. Tout d'abord, la décrue continue du taux de scolarisation des enfants de 2 ans depuis six ans (cf. tableau) et son accélération depuis 2004/2005 : « La suppression des « très petites sections » (TPS) s'est généralisée, y compris dans les quartiers pour lesquels la loi assigne une priorité à la scolarisation précoce (les écoles situées dans un environnement social défavorisé, dans les zones urbaines, rurales ou de montagne - NDLR). En 2003, notre taux de scolarisation des 2-3 ans était de 25 %, il est aujourd'hui de 8 % », explique Julien Roux, directeur des affaires scolaires du Pré-Saint-Gervais. Depuis cette période en effet, les inspecteurs d'académie qui redéfinissent la carte scolaire en début d'année ­civile, ne prennent pas en compte les enfants de moins de trois ans dans l'effectif prévisionnel des classes maternelles pour la rentrée suivante (cela permet de programmer la fermeture de classes qui ­auraient maintenu leur effectif si ces ­enfants avaient été comptabilisés). La multiplication ensuite, depuis la rentrée 2008, des ­refus des inspections d'académie de délivrer un agrément aux ­intervenants extérieurs (arts plastiques, sports...) mis à disposition des petites et moyennes sections de maternelle par les communes. Si le projet de raccorder la grande section de maternelle au premier cycle de l'élémentaire semble avoir été abandonné, ces refus attes­teraient du maintien de la logique : rendre moins ­attractives les petites et moyennes sections pour mieux justifier leur « inutilité » et partant, la mise en place de « jardins d'éveil ».


Transfert masqué

La suppression programmée de la scolarisation précoce répond-elle à une logique éducative ? Nombre d'élus locaux et de ­cadres territoriaux ne le pensent pas, quand bien même l'influence de la scolarisation précoce sur la réussite scolaire future reste l'objet de débats. Les écoles maternelles ont, en effet, su construire des projets éducatifs adaptés aux plus petits. C'est souvent même à partir de leur accueil qu'elles ont développé des axes d'intervention innovants (attention portée aux parents, travail d'équipe entre enseignants et avec les autres professionnels...), donnant corps à la ­notion de « communauté éducative » et sens à celle de « coéducation ». Les communes ont, quant à elles, su accompagner cette prise en charge (adaptation des locaux, formation des ­ATSEM...) et prendre le relais au-delà du temps scolaire (l'EN n'accueille l'enfant que six heures par jour, pendant seulement 139 jours par an). La logique à l'œuvre serait à ­rechercher dans la volonté de l'État de ­réduire ses dépenses budgétaires - là comme ailleurs - en supprimant des postes d'enseignants, et d'en transférer la charge à l'échelon local. La proposition de créer des « jardins d'éveil » serait ainsi à mettre en ligne avec les dispositions déjà effectives en matière de service minimum d'accueil, de suppression de la classe le samedi matin... toutes mesures qui engendrent une augmentation des ­dépenses périscolaires et de garderie pour les communes. « Si les ­enfants ne sont pas ­accueil­lis à l'école maternelle, très ­­majo­ritai­rement ­financée par l'État, ils devront l'être dans des structures de la petite enfance, très majoritairement financées par les communes et EPCI, avec au passage un coût supplémentaire pour les familles. Le transfert de charges et de responsabilités est incontestable. Mais il n'est pas ­officiel, et donc, non compensé », s'alarme ­Philippe Laurent, le maire de Sceaux, vice-président de l'AMF.


Les territoriaux

La maternelle participe au recul des inégalités


« Le jardin d'éveil traduit un glissement de l'éducatif vers le mode de garde. On revient sur l'intérêt de la scolarisation précoce, alors même que le rapport de la Cour des Comptes sur « l'école maternelle » en relève l'avantage pour les enfants les plus démunis, peu aidés familialement à entrer dans les codes sociaux et linguistiques qui servent de médiation aux savoirs scolaires. Le droit d'accueil scolaire du jeune enfant est une dimension essentielle d'une stratégie plus globale d'investissement dans le capital humain et de lutte contre la reproduction intergénérationnelle de la pauvreté. »


Julien Roux, Directeur des affaires scolaires, Le Pré-Saint-Gervais


Les politiques

Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la Famille (Grand Jury RTL/Le Figaro/LCI du 21 décembre 2008) « Nous étudions actuellement un dispositif de financements croisés des jardins d'éveil entre la CAF, les communes et les EPCI, et les parents, en fonction de leurs revenus. Nous envisageons également de solliciter les entreprises pour qu'elles financent, comme elles le font pour les crèches d'entreprise, des places de berceau. »

Monique Papon et Pierre Martin, Rapporteurs du groupe du travail du Sénat sur l'accueil des jeunes enfants (conférence de presse du 4 novembre 2008) « Une structure spécifique et adaptée à la tranche d'âge charnière des 2/3 ans est à construire et à imaginer. [...] Sa mise en œuvre suppose d'engager une réflexion sur : l'assouplissement des normes d'encadrement relatives aux établissements d'accueil du jeune enfant, selon un ordre de grandeur d'un adulte pour quinze enfants ; le recensement des locaux disponibles ; le développement de l'emploi dans le secteur de la petite enfance, en privilégiant le recrutement d'éducateurs de jeunes enfants ; la création d'un lien privilégié avec l'Éducation nationale. »


Les enseignants

Une scolarisation de qualité


« Plutôt que de remettre en cause l'utilité de l'accueil des tout-petits en maternelle, il serait plus judicieux de se donner les moyens d'une scolarisation de qualité, notamment en prenant mieux en compte les rythmes d'un tout- petit. Cela passe par le développement des partenariats avec les structures de petite enfance pour assurer une transition en douceur et la reconnaissance des possibilités de souplesse sur les différents temps de classe (rentrée, sieste, temps de repas, apprentissage) pour permettre une fréquentation progressive de la classe. Un temps de formation spécifique pour la maternelle doit également être ménagé dans la formation des maîtres. »


Bernadette Peignat, secrétaire nationale SGEN-CFDT


Le risque des disparités

Les communes pourront-elles faire face, ­sachant que selon les calculs de l'AMF, un ­recul de trois mois de l'âge moyen d'entrée en maternelle représente un coût supplémentaire de 500 M. d'euros par an, soit près de deux points de fiscalité directe ? La présidente de l'Association nationale des directeurs de l'éducation des villes (ANDEV), Claudine Paillard en doute : « Les communes seront dans l'incapacité d'apporter des réponses rapides tant en termes organisationnels que budgétaires. Par ailleurs, les efforts effectués à l'école, sur les temps scolaires ou non, pour l'accueil des plus petits, tant en investissements qu'en fonctionnement, deviennent inutiles et ne pourront être redéployés sur les structures petite enfance ». Dans ce domaine, comme dans d'autres, les disparités entre communes risquent de se creuser. « On a évalué à 30 000 euros par an l'accueil de six enfants en jardin d'éveil ; c'est sans commune mesure avec les dépenses pédagogiques d'une commune pour une classe de maternelle », relève Julien Roux. Du reste, parmi celles qui pourront financer, l'absence de réglementations relatives aux contraintes éducatives, au taux d'encadrement, à la qualité de celui-ci dans les « jardins d'éveil »... ou encore au niveau de participation des ­famil­les peut laisser augurer de fortes disparités territoriales. Et autant de sources d'inégalités, comme le sont ­aujourd'hui les capacités de garde collective et les dispositifs péri- et extrascolaires dont l'offre varie en fonction des moyens et des décisions des élus.


Phénomène d'étau

La secrétaire d'État chargée de la famille, Nadine Morano, a bien affirmé qu'il n'était pas question de « mettre des jardins d'éveil partout » et que le dispositif ne sera pas obligatoire, mais « progressif, après expérimentation ». Il reste que le rapport Tabarot préconise de rendre les communes et les EPCI responsables de la mise en œuvre du « droit opposable à la garde » que le président de la République souhaite effectif pour l'ensemble des enfants de 2 à 3 ans, dès 2012. Les communes auront-elles donc vraiment le choix et n'y a-t-il pas là un « tour de passe-passe » ? Le même rapport estime en effet à 500 000 le nombre de places en crèches qu'il faudrait créer d'ici 2015, dans l'hypothèse où les enfants de 2/3 ans ne seraient plus scolarisés en maternelle (contre 322 000 à situation inchangée de scolarité). « Imposer » la création et le financement de jardins d'éveil par les collectivités pourrait donc permettre à L'État de faire « coup double » : ­réduire le nombre d'enseignants en maternelle et limiter le financement de nouvelles places de crèches. L'équation risque bien de devenir ingérable pour les collectivités.


« Acteurs de la vie scolaire »

Le magazine des professionnels territoriaux de l'éducation et du temps de l'enfance. Ce nouveau magazine du groupe Territorial traite de l'ensemble des domaines qui concernent le lien commune/école : locaux, gestion des personnels, relations aux parents d'élèves et aux enseignants, activités périscolaires, restauration.Pour recevoir un numéro gratuitement : marie-aurelie.griere@territorial.fr


Doc-Doc

Références


- Loi n° 89-486 du 10 juillet 1989, décret n° 90-788 du 8 septembre 1990.

À télécharger


Sur les compléments rédactionnels n° 900 et 901.


- Rapport d'information au Sénat, « L'accueil des jeunes enfants : pour un nouveau service public », Monique Papon, Pierre Martin, 22 octobre 2008.


- Rapports de la Cour des Comptes « Les communes et l'école de la République », 16 décembre 2008.