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La pauvreté est-elle utile ?

Article du numéro 374 - 15 février 2009

Idées

« Dévoiler la réalité cachée et l'éclairer par un regard différent et critique » : telle est la force de "La régulation des pauvres", de Serge Paugam et Nicolas Duvoux, qui analysent les rapports entre les pauvres et la société française, notamment à l'aune d'autres pays.

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Les auteurs dressent un sombre bilan du processus de disqualification sociale qu'est la pauvreté. La solidarité est en crise, l'érosion de la protection sociale a ­engendré une « nouvelle pauvreté » et la multiplication des ­publics concernés par l'aide ­sociale. De provisoire et occasionnel, le chômage est devenu multiple et de longue durée ; la précarité de l'emploi s'installe ; l'insécurité ­sociale et la peur du chômage sont prégnantes. Les pauvres sont pourtant utiles ! Au-delà de leur fonction morale ou culturelle, ils sont ­indispensables au bon fonctionnement de l'économie : qui d'autre qu'eux pour faire le « sale boulot » ? Ainsi, l'aide sociale est ­octroyée avant tout dans une optique d'intérêt général et suit les mouvements de l'économie : en ­période de récession et de chômage de masse, elle maintient l'équilibre social ; en période de croissance et de stabilité politique, elle doit inciter les pauvres à travailler. L'insertion elle-même n'a pas ­atteint son objectif premier. Au lieu d'être une passerelle vers l'emploi, elle a renforcé la flexibilité du travail, en incitant les pauvres à accepter des emplois pénibles et peu ­rémunérateurs. L'évolution des politiques sociales, brossée au fil de l'ouvrage, laisse aussi perplexe. La ­décentralisation a donné naissance au « département-providence » et aux écueils afférents : manque d'une vision globale (étatique), dissociation entre économie (région) et social (département), disparités géographiques.


Du RMI au RSA : un pas en arrière ?

Le RMI est devenu un « statut social » à part entière, mais stigmatisant - le plus ­dévalorisant de la société française. La ­notion de responsabilité individuelle s'est imposée, et les travailleurs sociaux ont exigé des projets d'insertion pour tous. Les assistés ont peu à peu fait figure de privilégiés, surtout face aux travailleurs pauvres, et ont inspiré le mépris. Les auteurs épinglent aussi le RSA : significatif de cet enchevêtrement entre assistance et travail, il participe de la mise au travail des pauvres sur les emplois mal rétribués et peu reconnus. Les risques ? L'institution d'un « précariat » pour un salariat de seconde zone et la dualisation du marché de l'emploi entre salariés protégés et salariés aidés. De plus, le RSA enjoint à l'autonomie : il ne s'agit donc pas d'accompagner les chômeurs (solidarité), mais de les inciter à reprendre le travail (ajustement économique).


La sociologie, force de proposition ?

Le constat d'échec des politiques d'insertion n'empêche pas les sociologues de proposer des pistes de réflexion : responsabiliser les assistés ne doit pas signifier déresponsabiliser la société. L'État gagnerait à définir une politique préventive, à long terme et à clarifier les rôles de chacun. La France pourrait s'inspirer du modèle ­danois de « flexicurité » (flexibilité pour les entreprises et chômeurs à l'abri de la pauvreté), qui concilie économie ouverte et protection sociale efficace, pour « sécuriser ses parcours professionnels ». Enfin, soulignons une phrase qui passerait presque inaperçue : « L'urgence est la formation tout au long de la vie »... afin de mieux armer les ­individus dans leurs rapports de force avec les institutions et de leur permettre de trouver d'autres emplois. Cet ouvrage riche, fouillé et accessible, porte un regard lucide et non convenu sur le problème de la pauvreté, et laisse entrevoir tout ce que la sociologie - et, par extension les sciences sociales ? - peut apporter aux ­politiques sociales. Et si la lutte contre la pauvreté commençait par une bonne connaissance de ce qu'elle recouvre ?


La régulation des pauvres, Serge Paugam et Nicolas Duvoux, Éditions PUF.