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Protection de l'enfance : 100 politiques départementales ?

Article du numéro 373 - 01 février 2009

Social

Désormais pivot des politiques de protection de l'enfance, le conseil général est confronté à bien des défis : il doit piloter les politiques, s'assurer de la collaboration des partenaires, se construire une compétence interne... Mais cette départementalisation présente aussi un risque : celle d'une absence de régulation nationale se fait déjà sentir.

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Désormais pivot des politiques de protection de l'enfance, le conseil général est confronté à bien des défis : il doit piloter les politiques, s'assurer de la collaboration des partenaires, se construire une compétence interne... Mais cette départementalisation présente aussi un risque : celle d'une absence de régulation nationale se fait déjà sentir.

Nathalie Robichon, Martine Caillat-Drouin - Pôle de compétence sociale CNFPT-ENACT Angers nathalie.robichon@cnfpt.fr - martine.caillat@cnfpt.fr


Deux ans après le vote de la loi réformant la politique de protection de l'enfance, de nombreux départements n'ont pas encore pris la mesure des changements de fond qu'implique cette ­réforme. Au-delà des mots, l'esprit de la loi invite à reconsidérer la place de la protection des mineurs. Même si les élus dénoncent l'absence du fonds de financement prévu par la loi et le retard dans la publication des décrets, de nombreux aspects de la réforme nécessitent surtout des changements de pratiques des institutions et des professionnels.


Le rôle pivot du conseil général

=> Assurer la coordination et la fiabilité du système


Premier point à retenir de cette réforme : le positionnement du conseil général comme chef de file de la protection de l'enfance. C'est aujourd'hui son président qui est chargé du recueil, du traitement et de l'évaluation des « informations préoccupantes », relatives aux mineurs en danger ou en risque de l'être. Le procureur de la République ne sera saisi directement qu'en cas d'urgence. La centralisation de ces « informations préoccupantes » au sein d'une cellule départementale unique a pour objectifs de croiser des informations auparavant dispersées et de fiabiliser le dispositif. L'autorité judiciaire et l'ensemble des partenaires susceptibles de connaître des situations de mineurs en danger concourent à cette mission de protection de l'enfance. Ce partenariat est formalisé dans des protocoles consolidant les liens institutionnels et donnant de la lisibilité au dispositif. Le conseil général se voit donc attribuer un rôle de coordination pour gagner en cohérence. Ce n'est qu'après évaluation que ces informations individuelles pourront faire l'objet d'un « signalement » à l'autorité judiciaire. Mais la saisine de la justice ne devrait plus être que subsidiaire.

=> Éviter le recours à la justice


Face à une judiciarisation croissante des ­situations, la loi rééquilibre la protection ­judiciaire au profit de la protection administrative mise en œuvre par les services ­sociaux du département. Le conseil général avise le procureur de la République uniquement s'il y a refus de la famille d'accepter son intervention, si le service a déjà tenté vainement plusieurs actions ou s'il est impossible d'évaluer la situation. Le conseil général peut être conduit à intervenir au titre de la protection administrative y compris dans des situations de mineurs en risque de danger. Par ailleurs, le département est garant de la continuité et la cohérence des actions ­menées auprès des mineurs. Le « projet pour l'enfant » ou l'obligation d'organiser, pour les ­enfants confiés, une coordination entre l'autorité ­judiciaire, le département et les services chargés de l'exécution de la mesure témoignent de cette responsabilité de chef de file.

=> Observer pour mieux piloter le dispositif


Dans chaque département, un observatoire départemental de la protection de l'enfance, placé sous l'autorité du président du conseil général, regroupe des représentants de ses services, de l'autorité judiciaire, de tous les services ou établissements qui participent à la protection de l'enfance. Cette instance ­interinstitutionnelle favorise une réflexion concertée à l'échelle du département. Le ­recueil et l'analyse des données relatives à l'enfance en danger permettent au conseil général de se doter d'outils pour piloter avec une plus grande maîtrise la politique de protection de l'enfance. La diversification des modes d'accueil, la ­réponse aux situations des familles et des jeunes au plus près des réalités locales sont des enjeux que le département devra relever avec ses partenaires et en particulier les ­associations prestataires.


Jean-François Kerr
Directeur enfance famille, conseil général du Loiret

« Un accompagnement mieux coordonné »


La loi a désigné le président du conseil général comme responsable de la coordination des actions de prévention ou de protection. Ces actions, en fonction de l'histoire des départements, sont menées dans des proportions diverses par le secteur public, parapublic et associatif, dont la richesse et l'apport essentiel ne sont plus à démontrer. Cette responsabilité du président s'ajoute aux obligations du département d'assurer intégralement depuis 1984 la prise en charge financière des mesures de prévention et de protection, y compris celles qui ne lui sont pas confiées directement (AEMO judiciaires). Le renforcement de son rôle (et de sa responsabilité civile et pénale) peut être perçu comme une clarification de compétence. Mais il vise surtout à apporter aux familles et à leurs enfants un accompagne­ment cohérent et mieux coordonné pour éviter les ruptures de prises en charge, quelle que soit la nature juridique de la structure ou du service habilité qui intervient. La loi n'a pas eu pour vocation de remettre en cause ou de repréciser les conditions dans lesquelles le secteur associatif peut contribuer à la définition et à la mise en œuvre des politiques médico-sociales ou comment il peut animer et gérer des établissements et services. Un département pourra continuer à solliciter les compétences et valeurs des associations pour contribuer à l'amélioration de la performance de son dispositif. À travers l'observatoire départemental, la participation active des associations à l'élaboration du schéma, c'est-à-dire à l'évaluation partagée du dispositif et à l'identification des pistes de progrès, demeure une évidente obligation et une sage nécessité.


Donner sa place à la famille

Avec la famille, le département doit renouveler sa relation car la loi du 5 mars 2007 impose de dépasser la seule analyse des manques et faiblesses éducatives des parents pour rechercher des ressources qui seront des points d'appui constructifs dans l'élaboration du projet pour l'enfant. Il est demandé aux professionnels de reconnaître aussi l'ingéniosité des familles pour maintenir l'espoir dans des situations difficiles. Le projet pour l'enfant devrait être l'occasion d'une véritable co-construction entre les parents et les professionnels. La conception de la prévention décrite plus haut porte cet objectif de soutien à la parentalité. C'est une révolution culturelle... On attend du conseil général qu'il s'inscrive pleinement dans la mutation de ces pratiques.


Vers plus de prévention

La protection de l'enfance n'est plus seulement le traitement de la maltraitance, elle doit prévenir les difficultés des parents dans leurs responsabilités éducatives. Le conseil général doit soutenir la famille et les ­mineurs dont les difficultés risquent de compromettre gravement l'éducation ou le développement physique, affectif, intellectuel ou social. On parle désormais de « danger » ou « risque de danger » plutôt que de « maltraitance ». L'aide à la famille le plus en amont possible devrait réduire l'entrée dans le dispositif d'aides sociales à l'enfance. De nouveaux ­acteurs sont impliqués et invités à participer à la protection de l'enfance. Le chef de file qu'est le président du conseil général est ­garant d'une ­action cohérente du département. Plus que jamais, les professionnels de la prévention et de la protection de l'enfance sont appelés à ­définir un sens commun à leurs interventions. L'enjeu est de dépasser les clivages pour construire une représentation partagée de la prévention, dans un contexte de turbulence où le service social généraliste est sollicité dans de nombreuses autres politiques publiques (DALO, tutelles, RSA...) et où la PMI est confrontée à l'évolution des politiques de santé ­publi­que et de prévention ­sanitaire.

Dans ce contexte, le partage de l'information entre services départementaux, mais aussi avec les autres institutions devient stratégique. La question se pose de ce qui peut être dit par qui, à qui, comment et pourquoi ? Cet autre chantier doit définir ce qui reste secret, confidentiel ou qui, dans certaines conditions, peut être communiqué.

On voit se dessiner pour les conseil généraux un enjeu majeur : la définition d'une véritable compétence collective au service de la protection de l'enfance.


Une absence de régulation nationale

Les différents rapports et groupes de travail qui ont précédé la réforme, alertaient sur les dangers d'éclatement de la politique de protection de l'enfance. La philosophie de la loi du 5 mars la recentre... autour du département. Mais une grande disparité existe sur le territoire national dans la réalité des situations des enfants, des objectifs et moyens consentis par les élus à cette politique ­publique et les conceptions de la protection de l'enfant. L'absence de référentiels nationaux sur des points clés comme l'information préoccupante fragilise la construction d'une position commune et donc d'un message commun vers les partenaires et les ­familles. Nous sommes à nouveau confrontés à cette tension politique nationale/politique territoriale qui structure les politiques sociales.

Très soucieux de garder leur prérogative pendant les débats parlementaires, les ­départements concèdent aujourd'hui que l'absence de régulation nationale se fait d'ores et déjà sentir. Certains chefs de services ­appellent à des conférences de consensus. Pour preuve, l'assiduité d'un certain nombre d'acteurs institutionnels au groupe d'appui de la réforme piloté par l'Union ­nationale des ­associations de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, la mobilisation du club ASE du réseau IDEAL, les groupes de travail mis en place par l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée... Ces lieux d'échange contribuent certes à l'appropriation de la ­réforme et au développement d'une culture commune, mais la construction de points de repères nationaux s'avère encore nécessaire. C'est un des enjeux de l'Observatoire national de l'enfance en danger, qui a un rôle d'appui des politiques de protection de l'enfance et doit favoriser une meilleure coordination de l'action des services de l'État, des conseils généraux et des associations.


Enfin, la formation a un rôle stratégique pour accompagner le changement de pratique et les aider à développer une culture commune. Le CNFPT s'est emparé de cet enjeu et a fait de la protection de l'enfance une priorité nationale. Pour autant... ces ­régulations pragmatiques ne suffisent pas à booster une réforme qui souffre d'un manque de volonté politique de la part d'un gouvernement qui, malgré ses promesses, n'a toujours pas mis en place le fonds de ­financement prévu par la loi.


Hadi Habchi
Directeur de l'enfance et des familles, conseil général de Saône-et-Loire

« Une mise en œuvre hétérogène »


La loi a fait l'objet d'un large consensus. Mais sa mise en œuvre est très hétérogène et progressive, au vu de la diversité des organisations sociales et médico-sociales départementales.Au plan national, il y a trois attitudes au moins : la mise en place rapide, là où cela n'existait pas, de la cellule de signalement avec des moyens nouveaux ; le renforcement, dans les départements déjà structurés en la matière, du recueil des informations préoccupantes. Ces deux options représentent plus de 85 % des cas. Enfin, la troisième est une position d'attente des décrets d'application, notamment de financement de la loi elle-même. L'absence de compensation financière rend peu aisé « l'arbitrage » des moyens financiers et surtout humains quant à l'application concrète des mesures issues de la loi. Ceci ne facilite pas le travail de décision de nos élus.


Doc-Doc

A télécharger :

Le complément rédactionnel n° 895 :
l'intégralité des interviews de Hadi Habchi
et Jean-François Kerr.

A lire :


« Enfance en danger : la prévention d'abord ! »,
La Lettre du cadre territorial, n° 349,
1er décembre 2007.

Pour se former :

La réforme de la protection de l'enfance Le 28 mai à Lyon
Contact : carole.dellarovere@territorial.fr