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RSA : tiendra-t-on le choc ?

Article du numéro 373 - 01 février 2009

A la une

Si personne ne conteste la plus-value sociétale du RSA, beaucoup s'interrogent sur sa mise en ½uvre. Comment les 3,5 millions de bénéficiaires potentiels s'inscriront-ils dans le dispositif ? Le risque de passer d'une "trappe à inactivité" à une "trappe à temps partiel" est-il élevé ? Le Pôle Emploi a-t-il les moyens humains de faire face à un probable raz-de-marée de bénéficiaires potentiels ? Les interrogations sont plus entourées de craintes que de certitudes.

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Martin Hirsch tenait au symbole : vingt ans après la naissance du RMI, le Parlement a adopté, le 3 décembre dernier, le projet de loi sur le ­Revenu de solidarité active. Le 1er juin 2009, le RMI s'effacera pour laisser place au RSA, ce dernier englobant dans le même mouvement l'actuelle Allocation parent isolé (API). Ce vote est l'aboutissement d'un combat mené depuis longtemps par l'ancien militant - désormais au gouvernement - pour dénouer l'écheveau des minima sociaux.


3,5 millions de bénéficiaires potentiels

Certes, le RSA ne sera pas la panacée, certains acteurs redoutant en particulier que les ­entreprises, mais aussi les particuliers, n'en profitent pour renforcer la précarité. Reste que le dispositif constitue une authentique avancée sociale. Martin Hirsch a ­annoncé que 3,5 millions de personnes ­seraient directement concernées. Attribué sans limite dans le temps, au contraire du ­Revenu minimum de solidarité dont le ­cumul avec d'autres activités ne pouvait ­excéder douze mois, le RSA devra convaincre de sa pertinence. Il sera versé tant que le salaire restera inférieur à un niveau de ressources ­garanti, variant en fonction des charges de ­famille, ­dégressif au fur et à ­mesure que les ­revenus augmentent. Avec un tel outil, le haut commissaire aux ­Solidarités actives contre la pauvreté espère réduire d'un tiers la pauvreté d'ici à 2012. Le projet est financé par 1,5 milliard d'euros de crédit, grâce à une taxe de 1,1 % sur les patrimoines. La crise étant déjà sévèrement installée, on peut craindre que cette somme ne suffise pas à faire face à l'afflux des futurs bénéficiaires. Expérimenté dans trente-­quatre départements en 2008, évalué un peu précipitamment au goût de certains, du moins sans le recul critique nécessaire, le RSA sera généralisé à la mi-2009. La complexité du dispositif laisse cependant bien des questions en suspens.


De la sérénité à l'inquiétude

Selon le comité d'évaluation des expérimentations du RSA, le nouveau dispositif a permis un taux de retour à l'emploi supérieur de 25 à 30 % dans les départements expérimentateurs, avec un surcroît de revenus compris entre 100 et 200 euros. Du côté de ces départements, les expérimentateurs ­paraissent sereins : « nous appréhendons la généralisation du dispositif avec sérénité, puisque nous l'avons expérimenté sur notre territoire, assure Guy Carrieu, DGS du conseil général de la Marne. Les pratiques en place n'évolueront pas radicalement, nous aurons toujours à proposer des contrats d'insertion, nous travaillerons toujours, comme nous le faisons avec la région dans le cadre de la formation professionnelle. Les pratiques partenariales en ­½uvre dans le cadre du RMS seront prolongées ». Ailleurs, là en particulier où on a choisi d'autres formules, on est plus réservé. Yves ­Ackerman, président du conseil général du Territoire de Belfort, n'est ainsi pas fan du RSA : « Le dispositif risque d'officialiser la précarité. Nous avons préféré lancer, depuis 2005, un Contrat départemental d'accès à l'emploi (CDAE) qui, contrairement au RSA, propose un emploi à plein-temps avec un suivi personnalisé des salariés bénéficiaires et une forte ­mobilisation des employeurs, l'objectif étant une sortie durable de la précarité. Ceci étant, le CDAE n'est pas incompatible avec le RSA, il ­apporte une réelle plus-value ». Jérôme ­Lesavre, directeur de l'insertion au conseil général de Meurthe-et-Moselle, insiste de son côté sur « les marges de man½uvre importantes laissées aux collectivités par la loi. Sur chaque territoire, les partenariats en cours sont le fruit d'une histoire que la loi permet de maintenir ».


Le calendrier

- 1er janvier 2009 : le Fonds national des solidarités actives est mis en place pour financer le RSA (taxation de 1,1 % des patrimoines).


- 1er juin 2009 : fin et bilan des expérimentations, généralisation du RSA.


- Automne 2009 : premier bilan du RSA, réalisé chaque année à la même période avant le dépôt du projet de loi de finances.


- 1er janvier 2010 : mise en place du contrat unique d'insertion.


La crise : le grand révélateur

Selon les diverses ­estimations du nombre de bénéficiaires ­potentiels du RSA, il y aurait 2,2 millions de travailleurs pauvres, environ 1,1 million de bénéficiaires du RMS et 200 000 personnes percevant, aujourd'hui, l'API. Autant de ­situations personnelles différentes qui ­réclameront des réponses sur mesure. « Dans la Marne, le nombre de travailleurs pauvres oscillerait entre 20 000 et 25 000. Nous ne connaissons pas encore assez bien ce public. Nous disposerons d'une évaluation plus fine au 1er mars lorsque la CAF et la Mutualité sociale agricole auront fourni la liste des bénéficiaires potentiels au gouvernement, qui a décidé de leur accorder une prime de 200 euros dans le ­cadre de son plan de relance économique », ­affirme Guy Carrieu. « Alors que le RMS ­reculait depuis 2006, la crise économique fait remonter les statistiques et des pics risquent d'être atteints au cours de l'année 2009, prévient Jean-Michel Rapinat, chef du pôle des affaires sociales à l'Assemblée des départements de France. Les conseils ­généraux ne pourront pas faire face à cette réalité à effectif et budget constants. Tous les ­départements qui ont expérimenté le RSA ont embauché. Le dispositif ne réussira que s'il s'appuie sur un accompagnement de qualité ; or, nous ne pouvons pas ­aujourd'hui évaluer le coût de ce dernier ». « La grande inconnue, c'est le comportement des travailleurs pauvres. Nous ne savons pas ­encore comment ils vont solliciter le nouveau circuit mobilisateur d'aides dans lequel le RSA va les intégrer », ajoute Jean-Paul Raymond, DGA solidarités au conseil général de l'Essonne. Pour Michel Dinet, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, la dureté de la crise « va faire voler en éclats les bons résultats obtenus par les départements dans la réduction du nombre de RMistes. Les 1,5 milliard d'euros prévus par le gouvernement n'y suffiront pas. ». Tout le monde prédit une explosion du compteur chômage. « Contrairement au RMS, le RSA oblige les bénéficiaires à s'inscrire au Pôle Emploi. Ce qui risque donc de doubler au bas mot le nombre de demandeurs d'emploi », rappelle Jérôme Lesavre.


Guy Carrieu, Dgs du conseil général de la Marne

« Les pratiques en place n'évolueront pas radicalement, nous aurons toujours à proposer des contrats d'insertion, nous travaillerons toujours avec la région dans le cadre de la formation professionnelle. Les pratiques partenariales en ½uvre dans le cadre du RMS seront prolongées ».


Jérôme Lesavre, directeur de l'insertion au conseil général de Meurthe-et-Moselle

« Des marges de man½uvre importantes sont laissées aux collectivités par la loi. Sur chaque territoire, les partenariats sont le fruit d'une histoire que la loi permet de maintenir ».


Jean-Michel Rapinat, chef du pôle des affaires sociales à l’ADF
« Tous les départements qui ont expérimenté le RSA ont embauché. Le dispositif ne réussira que s’il s’appuie sur un accompagnement de qualité. Or, nous ne pouvons pas aujourd’hui évaluer le coût de ce dernier ».


Jean-Paul Raymond, DGA solidarités au conseil général de l'Essonne

« La grande inconnue, c'est le comportement des travailleurs pauvres. Nous ne savons pas encore comment ils vont solliciter le nouveau circuit mobilisateur d'aides dans lequel le RSA va les intégrer ».


Quel rôle pour le Pôle Emploi ?

Quels sont les rapports entre les conseils ­généraux et le Service public de l'emploi (SPE) ? En 2005, les négociations avec l'ANPE et les Assedic sur l'accompagnement à l'emploi pour les RMistes n'avaient pas été faciles. Ce qui en était sorti « par le haut », était une offre de base relevant du droit commun et des conventions signées par les partenaires pour un accompagnement plus fin. La question taraude élus et territoriaux : comment le futur Pôle Emploi, fruit de la ­fusion entre l'ANPE et l'Assedic, va-t-il faire face au tsunami RSA ? « Il est clair que les 3,5 millions de personnes concernées ne pourront être dirigées vers le Pôle Emploi pour un ­accompagnement spécifique », ajoute Jean-Michel Rapinat. Jean-Paul Raymond se souvient qu'au cours du Grenelle de l'Insertion, « le Pôle Emploi avait exprimé une forte ­volonté de s'investir auprès des publics en difficulté. La crise a visiblement atténué cet enthousiasme ». Michel Dinet attend de voir : « Pour l'heure, le Pôle ­Emploi est confronté à un traumatisme lourd, lié à l'écrémage des effectifs dans le cadre de la fusion ANPE-Assedic. Le conseil général se positionnera en fonction des capacités d'accompagnement du Pôle Emploi ». Reste la lourde question de la lisibilité pour les bénéficiaires. Si la loi est claire sur le fait que la mise en ½uvre du RSA relève de la responsabilité de l'État et des départements, les CCAS ont été intégrés lors des débats parlementaires comme instructeur de fait. « Pour nous, ce n'est pas grave, assure Jérôme Lesavre. Les CAF seront chargées d'instruire les dossiers, les CCAS prendront le relais dans les bourgs ruraux. C'est une question de répartition des tâches ». Si la volonté de clarifier les tâches avait été clairement ­affichée, la défense des prés carrés brouillera tout de même la lisibilité du dispositif. Pour Jean-Paul Raymond, « on ne peut pas accuser en permanence l'enchevêtrement des dispositifs et laisser de côté les ­aspects de gouvernance ».


La trappe à temps partiel

« Le RMS a pu devenir une trappe à inactivité. Il ne faudrait pas que le RSA devienne une trappe à temps partiel », prévient René-Paul Savary, qui préside la commission insertion à l'ADF. Les entreprises ont-elles intérêt à ne s'appuyer que sur des emplois sous-­qualifiés ? Le RSA « chapeau », qui comble l'écart entre le salaire versé pour un temps partiel et un revenu médian, risque-il de créer un effet d'aubaine pour les entreprises mais aussi les salariés ? « Ce risque est d'autant plus élevé que le RSA durera le temps qu'il faudra pour retrouver un emploi stable », rappelle Jean-Paul Raymond. « D'autant plus que la crise va réduire tout simplement le nombre d'emplois disponibles », s'inquiète ­Michel Dinet. La tentation de se laisser ­enfermer dans le temps partiel est réelle. L'absence de garde-fous rend Yves Ackerman sceptique : « Même si l'intéressement financier du bénéficiaire du RSA peut être un levier pour la reprise partielle d'une activité, ce contrat ne prévoit pas de mesures d'accompagnement des personnes ni des employeurs. Le risque est donc de maintenir les bénéficiaires dans un temps partiel subi et de simplement déplacer la « trappe » à l'inactivité. Concrètement, si avec quelques heures de travail, on peut gagner 700 ou 750 euros, pourquoi devrait-on travailler au SMIC à plein-temps pour 1 000 euros ? ». Ancien directeur de l'insertion au conseil général, Fabrice ­Kehayan rappelle que les Bouches-du-Rhône avait choisi de tester « un RSA qui commence à la 10e heure travaillée, l'objectif étant d'éviter la précarisation plus grande des bénéficiaires ». Par ailleurs, le département souhaitait ­encourager l'entreprise à transformer, six mois après l'embauche, le temps partiel en temps plein et ce, en transférant le financement du Contrat d'insertion-Revenu minimum d'activité (Ci-Rma) vers les entreprises jouant le jeu. Pendant un an, les entreprises en question bénéficiaient du versement de 200 euros. Seul le temps permettra de savoir si ce risque d'une « officialisation de la précarité » s'est mué en un mode de gestion du RSA.


Doc-Doc

À lire


- « Le RSA doit mener à un vrai emploi », La Lettre du cadre territorial n° 365, 15 septembre 2008.


- « RSA mode d'emploi », La Lettre du cadre territorial n° 344, 15 septembre 2007.


Sur www.territorial.fr, rubrique « presse en ligne » « RSA : entre espoir et crainte », Associations mode d'emploi n° 102, octobre 2008.

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