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Antennes relais : interdiction et cas de conscience

Article du numéro 371 - 18 décembre 2008

Contentieux

Entre les craintes de la population et le lobby des opérateurs téléphoniques, les élus ont bien du mal à faire vivre le principe de précaution. D'autant que ce dernier manque singulièrement de base juridique. Interdire les antennes relais par arrêté municipal s'avère dès lors un exercice à haut risque juridique... sauf s'il s'agit de poser un acte politique.

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Le nombre de maires souhaitant prendre un arrêté contre les antennes de téléphonie mobile ne fait que croître. La ­législation actuelle - et la jurisprudence en ­atteste - n'est pas favorable à de tels ­arrêtés. Néanmoins, les volontés politiques ne s'accordent pas toujours avec les réalités juridiques et les cadres territoriaux sont alors dans l'obligation de faire du sur-mesure.


Des valeurs vraiment limites ?

La position actuelle des tribunaux se base sur les connaissances scientifiques actuelles, qui concluent que, compte tenu des faibles niveaux d'exposition aux champs électromagnétiques autour des stations relais, l'hypothèse d'un risque pour la santé des ­populations vivant à proximité de ces stations ne pouvait être retenue. Des valeurs ­limites d'exposition des personnes aux champs électromagnétiques ont été proposées en 1998 par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP), commission scientifique internationale reconnue par l'Organisation mondiale de la santé, et ­reprises dans la recommandation du Conseil de l'Union européenne 1999/519/CE du 12 juillet 1999 relative à l'exposition du ­public aux champs électromagnétiques.

En France, le décret du 3 mai 2002 stipule qu'elles « ont été établies sur la base des niveaux d'exposition les plus faibles pour lesquels des ­effets biologiques ont été constatés chez l'animal d'expérience et d'une analyse globale des connaissances scientifiques disponibles. Les dernières études publiées ne remettent pas en cause ces valeurs limites d'exposition ». La question la plus pertinente reste le fait que les problèmes qui n'ont pas été trouvés n'ont, pour l'essentiel, pas été recherchés. C.Q.F.D. !


Forts de ces éléments, les tribunaux, ont repris cette argumentation dans les arrêts rendus sur les recours dirigés par les sociétés de radiotéléphonie contre les arrêtés ­municipaux. Premier d'entre eux, le Conseil d'État a adopté la formule suivante : « L'absence au dossier qui lui était soumis d'éléments de nature à accréditer l'hypothèse de risques pour la santé publique pouvant résulter de l'exposition du public aux champs électromagnétiques ».


« Prendre date pour l'avenir »

L'arrêté pris par la ville de Plaisance contre l'implantation des antennes de téléphonie mobile l'a été en connaissance de cause : les élus souhaitaient mettre en œuvre un principe de précaution qui ne disait pas son nom, n'existant pas alors en la matière, mais permettant de sauvegarder les intérêts de la population. En avance sur leur temps ? Certainement, parce que les études scientifiques sur le sujet permettront de savoir si oui ou non les antennes présentent des risques pour la santé publique. Nous serons alors en mesure de mettre en œuvre un arrêté plus circonstancié.


Il s'agissait également de prendre date politiquement, au sens de prendre position vis-à-vis de la population, pour lui faire savoir que ses préoccupations sont prises en compte par les élus, même hors des sentiers battus. Nous étions bien conscients à l'époque de l'illégalité de l'arrêté et les conclusions des différentes juridictions étaient logiques, compte tenu de la réglementation. Il fallait néanmoins affirmer cette position qui se justifiait moralement à défaut d'être juridiquement tenable. La réaction du Conseil d'État ne nous a donc pas surpris, à l'exception de l'astreinte accompagnant l'obligation de reconsidérer notre position. Cette astreinte élevée de 500 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jours à partir de la notification de la décision nous a semblé exagérée, même si l'objectif n'était plus alors de mener une guérilla juridique.

Paul-Henri Laucoin, DGS de Plaisance-du-Touch - 15 000 habitants


L'impossible interdiction

Les arrêtés attaqués par les sociétés de ­radiotéléphonie étaient, pour l'essentiel d'entre eux, basés sur le pouvoir de police ­générale tiré des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, qui permet au maire d'édicter par arrêté municipal des prescriptions ­visant à « assurer [...] la sécurité et la salubrité ­publiques ». L'arrêté ne saurait contenir une interdiction générale et absolue sur l'ensemble du territoire de la commune et pour une durée indéterminée. Une telle mesure, disproportionnée, serait analysée par le juge comme une erreur manifeste d'appréciation du maire quant aux exigences de sécurité imposées (CE, 22 août 2002).

Le principe de précaution, introduit en droit positif par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la charte de l'environnement, s'applique en cas de risque grave et difficilement réversible à l'environnement, même en l'absence de certitude, compte tenu de l'état des connaissances scientifiques. Ce principe peut guider l'action des autorités publiques qui veillent à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation d'un dommage.

Il faut souligner que la commune de Saint-Cyr-l'École a mis en avant des mouvements de protestation de la population contre ces installations qui ont eu lieu en 2001, pour lesquels l'usage des articles cités du CGCT aurait pu convenir. La cour administrative d'appel de Versailles a balayé ces arguments en répondant « qu'il n'est pas démontré qu'ils se seraient poursuivis au-delà ».


À Leffrinckoucke, le front impossible du refus

Muriel Allaert, ancienne adjointe à l'environnement - allaert.muriel@wanadoo.fr

L'aventure de la mairie de Leffrinckoucke (5 000 habitants) est significative : un opérateur de téléphonie souhaitait implanter une antenne sur un immeuble privé. La mairie découvre alors un problème auquel elle n'a pas été confrontée auparavant, doublé d'un mouvement de population qui rapidement s'organise. À l'initiative des riverains, une pétition est lancée dans cette calme bourgade du Nord peu habituée à de telles réactions. S'agglomèrent à ce mouvement les parents d'élèves, les équipements scolaires se trouvant à proximité, le personnel communal puis une population dans son ensemble qui refuse de passer par pertes et profits un principe de précaution qui n'existe pas suffisamment dans les textes pour être mis en œuvre. Le maire (Vert) de la commune choisit alors de soutenir le mouvement, mettant à la disposition de la population les moyens nécessaires à la pétition, réalisant les photocopies. Parallèlement, il prend un arrêté interdisant toute implantation d'antenne de téléphonie à moins de trois cents mètres des habitations. Cet arrêté sera annulé par le tribunal administratif puis par la cour d'appel de Douai. Muriel Allaert, ancienne adjointe à l'environnement chargée du dossier témoigne de « la frustration des élus à ne pouvoir répondre à une demande de protection de la population en raison d'obscures réglementations. Le maire doit pouvoir agir face aux demandes des citoyens, c'est la base de sa légitimité. Nous avons fini par obtenir gain de cause par la pression de la population sur le propriétaire de l'immeuble qui a renoncé à accorder l'autorisation d'implantation de l'antenne, mais il est malheureux de devoir recourir à de tels expédients lorsque la santé publique est en jeu ! »


Urbanisme : le dernier recours

Les seuls refus acceptés par le juge ont été établis sur la base du droit de l'urbanisme. Les antennes de téléphonie mobile sont soumises aux articles L. 421-1, R. 421-1 et R. 422-2 du Code de l'urbanisme dans le ­cadre de l'instruction des déclarations préalables et permis de construire.

Il convient donc que les élus prennent conscience que ce dernier recours est particulièrement difficile à mettre en œuvre, du fait de la nécessité de respecter à la fois les règles générales d'urbanisme et les POS/PLU en place. Un opérateur sera encore plus vigilant sur un refus de ce type que sur les refus envisagés plus haut, sachant qu'il s'agit là de la seule cartouche technique au service des politiques pour juguler son ­action.