La Lettre du cadre territorial

Le magazine des professionnels de la gestion territoriale.

Accueil > Magazines > Lettre du cadre

La Lettre du Cadre Territorial

Un magazine à destination des cadres de la filière administrative qui balaye l'ensemble des questions managériales et décrypte l'actualité dans les domaines RH, finances et juridiques sur un ton impertinent, engagé et incisif.

Ajouter au panier Vous abonner (voir tarif )
(Règlement par CB, chèque bancaire ou mandat administratif)

A partir de :

129 €

5,5 millions : l'eau coûte cher à Briançon !

Article du numéro 367 - 15 octobre 2008

Marchés publics

Briançon vient d'être condamnée à verser 5.5 millions d'euros à la Saur pour "nullité du contrat d'affermage". La ville fait appel de cette décision avec le risque d'une "mise sous tutelle" de la préfecture des Hautes-Alpes si elle ne peut s'acquitter de sa dette.

Envoyer cette page à un ami

Soyez le premier à rédiger un commentaire !

Tous les articles du numéro 367

Télécharger cet article en PDF

5,5 millions d'euros. C'est la somme que la ville de Briançon a été condamnée à verser à la Saur, ancien gestionnaire de l'eau de la commune, par le tribunal administratif de Marseille, en dédommagement d'un contrat d'affermage annulé.


Le contrat n'était pas finalisé

Les faits remontent à 1991, année où le maire socialiste de l'époque, Robert de Caumont, avait signé une convention avec la Saur, lui confiant ainsi les services publics d'affermage de l'eau et de l'assainissement pour une période de trente ans. Mais en juin 1999, le Conseil d'État annule la délibération, à la demande de la nouvelle ­municipalité, conduite par l'actuel maire UMP Alain Bayrou, et ce « parce que le contrat signé n'était pas conforme à la délibération », précise-t-on au cabinet du maire. Plus exactement, les élus ne pouvaient pas autoriser le maire à signer un contrat d'affermage alors qu'il n'était pas finalisé. En 2000, c'est le tribunal administratif de Marseille qui constate la nullité du contrat d'affermage. Le jugement précise en outre que « la ville est entièrement responsable des préjudices qu'elle a subis à raison de la faute commise qui est à l'origine de la nullité des conventions. »


La commune fait appel

Cette condamnation risque de laisser des traces conséquentes dans le budget de la commune. Le constat est donc simple : si la commune ne peut pas s'acquitter de sa dette, celle-ci devra l'être par la préfecture des Hautes-Alpes, ce qui implique une mise sous tutelle.

Avant d'en arriver à cet extrême, la mairie vient de faire appel. « Nous avons fait appel mais ce n'est pas suspensif, précisait récemment le maire Alain Bayrou lors d'une ­interview au Dauphiné Libéré 1. De plus, cela coûte de l'argent et nous prenons des risques. La note peut aussi être encore plus salée. Pendant ce temps, les intérêts courent toujours. Je ne veux pas me retrouver dans la même situation qu'une commune des Bouches-du-Rhône qui a attendu le jugement en appel pour payer et qui a dû, les intérêts aidant, régler une somme deux fois plus importante que ce qui était demandé au départ. » Selon le responsable juridique de la Saur, la ville pourrait voir sa condamnation aggravée de 2 millions d'euros en appel.


Qui est responsable ?

Le maire a tout de même pris le risque de l'appel, avec l'accord du conseil municipal, considérant que « la Saur a une part de responsabilité dans cette affaire. Nous ne contestons pas la première partie de la condamnation. Ce sont les dépenses utiles engagées par la Saur pendant son activité. Le tribunal a retenu 1,2 M. d'euros. En revanche, et c'est ce qui nous coûte le plus cher, nous contestons la deuxième partie du jugement : le bénéfice escompté. La Saur et les experts estiment qu'il aurait dû être de 3,2 M. d'euros. Or, nous estimons que le fermier est aussi responsable que la commune sur ce point. La Saur ne pouvait ignorer qu'un contrat différent de celui qui avait été voté au conseil municipal plus d'un mois auparavant était illégal » 2.  La ville a déjà réfléchi au moyen d'engranger l'argent supplémentaire pour s'acquitter de sa dette. « La commune avait provisionné 1,40 M. d'euros au budget 2008 pour faire face à ce contentieux. », rappelle le premier ­magistrat. Reste maintenant à attendre la nouvelle décision judiciaire et à la commune de trouver d'autres financements. 1. Le Dauphiné Libéré, 11 septembre 2008.2. Le Dauphiné Libéré, 21 septembre 2008.


Contrat nul ne signifie pas coût nul

Encore une commune tombée dans le piège... Si, en droit, un contrat (marché, DSP...) est nul :


- il est loisible de le faire constater par le juge (« recours en déclaration de nullité ») ;


- il est plus délicat d'emprunter la voie, pourtant très fréquentée, de la résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général.


Et c'est là que les collectivités se prennent à rêver sur les conséquences de la résiliation : le contrat disparu, il n'y aurait plus d'indem­nités à verser à l'ancien cocontractant (sauf, bien sûr, les dépenses utiles, comme par exemple la reprise d'investissements non amortis d'un délégataire). Mais le rêve tourne vite au cauchemar pour qui joue imprudemment avec le droit des contrats. Car, presque toujours, le vice trouvé dans le contrat ou dans sa passation résulte d'une faute de la collectivité (dans l'AAPC, dans la procédure ou dans la rédaction du contrat...). Le juge va alors indemniser l'ancien cocontractant en raison de cette faute,  en règle générale pour le montant de ce qu'eussent été les bénéfices tirés de ce contrat,


+ parfois un préjudice commercial,


+ un remboursement partiel de frais d'avocats,


+ une partie des charges que ce contrat devait financer au niveau des sièges, pendant quelques mois ou années,


- moins une éventuelle faute qu'aurait commise la société si elle connaissait l'illégalité du contrat.
Autant dire qu'il vaut mieux bien calculer son coup avant de croire avoir trouvé une grosse astuce via une petite faille dans le contrat...


Éric Landot
Cabinet Landot & associés
Avocats au Barreau de Paris
Contact : eric.landot@landot-avocats.net