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Quelle réforme pour les CRC ?

Article du numéro 366 - 01 octobre 2008

Réforme

Plusieurs groupes de travail ont réfléchi cet été à la réforme de la Cour des Comptes et des CRC. Certaines propositions sont intéressantes. Reste à savoir le sort qui sera fait aux grands dossiers, comme le grand organisme de contrôle, d'audit et d'évaluation, ou les moyens matériels et humains des juridictions financières.

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Plusieurs groupes de travail ont réfléchi cet été à la réforme de la Cour des Comptes et des CRC. Certaines propositions sont intéressantes. Reste à savoir le sort qui sera fait aux grands dossiers, comme le grand organisme de contrôle, d'audit et d'évaluation, ou les moyens matériels et humains des juridictions financières.


Outre la création du « grand organisme de contrôle, d'audit et d'évaluation », le président de la République avait appelé à rien de moins qu'une révolution intellectuelle et morale. Il avait défini la révolution intellectuelle comme celle « de la certification qui oblige à la transparence et à la sincérité des comptes » et « celle de l'évaluation qui oblige chacun à se soucier des conséquences de ce qu'il décide et des résultats de ce qu'il entreprend ». La révolution morale devant être « celle de la responsabilité » et « d'une plus grande sévérité pour ceux qui commettent des fautes ».


Quatre grands thèmes de travail

Les juridictions financières ont donc travaillé cet été autour de quatre grands thèmes :


- les questions de compétences, d'organisation, statutaires ;


- les questions liées au nouveau maillage territorial ;


- la modernisation du régime de responsabilité des gestionnaires ;


- l'extension de la certification ;


- et enfin, le développement de l'évaluation des politiques publiques.

Mais le grand organisme n'a pas émergé des travaux. On peut certes évoquer des raisons corporatistes, la Cour en particulier n'étant pas facilement prête à revenir sur deux siècles d'exception. Mais il s'est aussi avéré ­impossible de concilier, au sein d'une organisation unique profondément influencée par le modèle juridictionnel, les grandes orientations affirmées dans ce qu'un des rapports de synthèse appelait « des conditions de professionnalisation suffisantes » :


- une approche multisectorielle des contrôles ;


- une perspective qui reste à la fois nationale et locale ;


- l'exercice de quatre missions aux métiers très différents (contrôler la gestion, évaluer les politiques publiques, certifier les comptes et les juger).

La réponse à cette question paraît d'ailleurs moins organisationnelle que stratégique. Elle peut se traduire par une autre question : celle de savoir quelles missions les ­juridictions financières sont en mesure d'exercer.


Un recrutement obsolète


Or, les moyens humains des juridictions ­financières sont en chute libre démographique et souvent éparpillés dans d'autres organismes. Ce constat est particulièrement vrai à la Cour, même si elle le partage avec beaucoup d'administrations, notamment d'État. Au 1er janvier, les CRC et la Cour pouvaient compter sur 1 782 magistrats et personnels de contrôle (assistants de vérification) en juridiction. Mais sur les 401 ­magistrats de la Cour, 207 exerçaient effectivement en juridiction, et 342 sur les 407 magistrats de CRC. Pire : d'ici 2020, sans ­recrutement, les nombreux départs à la ­retraite en laisseraient respectivement 190 et 86.

Or, ce problème central de leur recrutement a été peu évoqué par la Cour et les CRTC, alors que chaque mission (certification, évaluation, contrôle de gestion...) nécessite une réelle professionnalisation et l'émergence de métiers très spécialisés. De ce point de vue, les modes traditionnels de recrutements ne sont plus adaptés. Le profil de l'énarque généraliste ou du haut fonctionnaire d'État, sans bagage financier ou comptable, sans expérience du management et des enjeux de la gestion, ne permet plus de contrôler efficacement des entités de plus en plus complexes. Les instances supérieures de contrôle allemandes, anglaises... ont ­depuis longtemps opté pour une professionnalisation. Elles ont aussi recours à des agents venant des organismes contrôlés.

Mais, pour répondre à cette difficulté, les propositions du groupe de travail ne tournent en général qu'autour de l'embauche d'assistants ou du recours à des cabinets d'audit. Aujourd'hui, chambres et cour ­recourent aussi aux détachés, mais malheureusement pas toujours dans une perspective professionnelle.


Moderniser le régime de responsabilité


Un groupe a aussi examiné les évolutions de la responsabilité des comptables et des ­ordonnateurs et autres gestionnaires ­publics. Les vagues successives de décentralisation rendent de plus en plus incompréhensible le système de mise en cause de la responsabilité. Qui a entendu parler de la Cour de discipline budgétaire et financière ou du contrôle juridictionnel ? La CDBF produit entre trois et six arrêts par an : ministres et élus y échappent, à quelques exceptions... les comptables aussi, avec les remises gracieuses. La modernisation de la gestion publique implique donc une ­modernisation du régime de responsabilité. Il a été envisagé, entre autres, de simplifier les procédures, de créer des CDBF régionales. Ces questions font plutôt l'objet d'un consensus au sein des juridictions financières.

La certification des comptes locaux a fait aussi l'objet d'un groupe de travail. Il a conclu à l'intérêt de la mise en place de cette nouvelle mission, tout en reconnaissant la nécessité d'une adhésion des collectivités concernées. Il faudra aussi résoudre des préalables techniques, comme l'existence d'un compte financier unique : est-ce le ­début de la fin de la séparation de l'ordonnateur et du comptable ?

Il faudra par ailleurs élaborer un référentiel de contrôle. On estime par exemple à 242 collectivités ou établissements publics ­locaux (hors établissements publics de santé) le périmètre de contrôle, si l'on retient un seuil de 100 M. d'euros. Les moyens ­nécessaires à la certification des comptes ont été évalués, par exemple, à plus de 450 000 heures (286 emplois) pour 242 comptes. Il est envisagé une expérimentation, sur trois ans. On estime qu'une centaine d'agents en postes pourraient être ­affectés à cette mission. En complément, le groupe propose de recruter de façon privilégiée des agents du trésor ou des impôts, mais aussi de sous-traiter certaines missions à des cabinets privés. Le coût a été chiffré à 15 à 20 M. d'euros.


Quelle mission d'évaluation ?


Si la nouvelle mission d'évaluation a été abordée, son champ n'a pas été tranché. Pour que les travaux actuels répondent aux standards, il faudra néanmoins un vrai saut qualitatif... Cette mission pourrait se réaliser sous deux formes, pilotée par un ­comité :


- la vérification de résultats ou audit de performance, s'intéressant aux résultats des actions et des politiques publiques, nationales ou locales ;


- l'évaluation de politique. Plus large, elle ­inclut l'audit de performance mais vise aussi à une « appréciation d'ensemble de la politique évaluée ». On analyse la qualité du diagnostic initial, la pertinence de la ­réponse apportée, les conditions de la conduite de l'action ou de la politique évaluée (système d'organisation des pouvoirs, pilotage opérationnel, outils de suivi et de contrôle), la mesure et l'analyse des coûts et les résultats.


Ces éléments ont été transmis au gouvernement. Prochaine étape donc, deux textes législatifs : sur l'organisation des juridictions financières d'une part, sur les missions nouvelles et une rénovation d'ensemble de la comptabilité publique (séparation ordonnateur-comptable...), d'autre part... Probablement pour la session de printemps.


Taille critique

L'organisation territoriale a aussi fait l'objet de débats, certaines chambres n'ayant pas la taille critique. Le plan le plus couramment évoqué serait la réduction à six à huit chambres régionales. On peut s'interroger sur la réduction des moyens des CRTC alors que les enjeux financiers - vingt-cinq ans de ­décentralisation, plan d'investissement des hôpitaux, évolution de l'enseignement ­supérieur - ont globalement glissé vers ces structures.


L'avis d'Éric Portal président de l'AFIGESE-CT

Éric Portal
président de l'AFIGESE-CT

Sur l'organisation territoriale des CRC, il est à craindre qu'un contrôle assuré à un niveau interrégional ne soit trop lointain et ne soit pas adapté à la spécificité du terrain local. Seul un regard critique de proximité semble répondre à la demande croissante de nos concitoyens d'une plus grande transparence dans la gestion des deniers publics. S'agissant des missions des CRC, si la loi de 2001 leur a confié des tâches aux confins de l'évaluation des politiques publiques, il n'en est pas de même, à ce jour, au titre de la certification des comptes. Certains soutiennent que cette dernière, que se proposent de réaliser les CRC, améliorerait la qualité des comptes locaux. Il convient d'y réfléchir en trouvant un équilibre entre le raffinement de l'information comptable (dont la qualité est déjà reconnue), le coût qu'il comporte, la transparence supplémentaire apportée aux non-spécialistes et les usages effectifs qu'en font les spécialistes. L'AFIGESE s'est donnée pour ambition de proposer prochainement quelques pistes de réflexion dans ce débat.


Mieux comparer les efforts...

Sandrine Jarry
DGA finances
et administration générale
CA Plaine commune

La réforme de la Cour des Comptes et des CRC se penche notamment sur le ­recrutement des magistrats, ce qui me paraît être une question essentielle. La connaissance de la réalité de la gestion publique et en particulier de la gestion ­locale est un socle indispensable pour les magistrats de CRC : la pertinence de leur contrôle en dépend. Leur éloignement par rapport aux enjeux des territoires et aux défis à relever par les gestionnaires et les élus locaux est parfois saisissant !


Quant à la certification des comptes, elle ne doit pas mener à se focaliser sur une certification formelle mais au contraire pousser les collectivités vers plus de ­rigueur sur le fond. Si la certification permet de mieux comparer les efforts de gestion des uns et des autres, cela est ­positif. Mais comment les comptables publics locaux, qui ont aussi une fonction de conseil auprès des collectivités, pourront être associés à cette ­démarche ?


Les CRC ne doivent pas être les seules à évoluer

Joël Toussaint
Magistrat financier - Lyon

Le président de la République a souhaité un véritable organe de contrôle et d'évaluation. Ce projet permettrait une totale transparence de la vie financière des organismes publics et des collectivités, surtout si cette réforme permet une véritable responsabilisation des politiques et des agents publics. Les échos dont nous disposons ne concernent que les CRC Chambres, c'est-à-dire la plus jeune des institutions de contrôle, qui certes, doit évoluer mais pas seule. Or il semblerait que la Cour des Comptes et l'Inspection générale des finances ne soient pas prêtes. Les missions de ce corps devraient recouvrir tous les domaines de la gestion des organisations contrôlées, dont la certification des comptes. Toutefois, cette dernière n'aurait d'intérêt que dans le cadre de la suppression de la séparation ordonnateur-comptable sous sa forme actuelle (et non pas seulement par l'établissement d'un compte financier unique) avec l'instauration d'une responsabilité conjointe de l'ordonnateur et du caissier.


Doc-Doc

Pour aller plus loin

« Observation et contrôle des chambres régionales des comptes », un ouvrage de la collection Dossiers d'Experts des éditions Territorial.


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A lire


« Interco : réfléchir et simplifier » : Rencontre avec Philippe Séguin, premier président de la Cour des comptes, auteur du rapport public sur l'intercommunalité, La Lettre du cadre territorial n° 310, 1er février 2006.