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"Pour une vraie politique périurbaine !"

Article du numéro 364 - 01 septembre 2008

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La périurbanisation menace-t-elle la cohésion sociale et les territoires ? Pas en tant que telle, répond le géographe Martin Vanier, mais parce que nous ne voulons pas voir sa réalité et donc pas construire de projets pour la rendre acceptable.

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Portrait de Martin Vanier

Martin Vanier est professeur en géographie et aménagement à l'Institut de géographie alpine de l'université Joseph Fourier de Grenoble, et consultant en aménagement et développement territorial. Il est responsable d'un groupe de travail et de prospective sur les questions périurbaines, constitué en février 2007, à la demande de la Direction interministérielle à l'aménagement du territoire (DIACT, ex-DATAR). Ce groupe rassemble une quinzaine d'universitaires, en priorité des géographes, et une douzaine de personnes issues des collectivités locales, de l'État déconcentré, d'agences de l'eau ou d'urbanisme
et d'experts privés. Il vient de publier Le pouvoir des territoires : Essai sur l'interterritorialité, aux éditions Economica.


Pourquoi la périurbanisation est-elle une question qui enfle ?

Cela fait quarante ans que cette question ne trouve pas de réponse, quels que soient les efforts techniques, financiers, conceptuels ­développés. La périurbanisation a démarré dans les années soixante : de très gros efforts ont été faits pour trouver des réponses pour la contenir. Le paradoxe, c'est qu'alors que les résultats n'ont jamais confirmé les espérances, le Grenelle de l'environnement est venu réaffirmer une doctrine publique sur la nécessité de mettre fin à la ­périurbanisation. La contradiction entre l'absence de résultats et une nouvelle incantation, dans un moment de forte mobilisation environnementale, débouche sur un discours simpliste et peu efficace.


Pourquoi ce discours est-il simpliste ?

Qu'il soit peu efficace, je n'ai pas ­besoin le démontrer : il suffit de constater ce qui continue à alimenter une périurbanisation en profondeur, toujours plus éloignée des ­agglomérations. Mais il est simpliste de dire que le phénomène est, en tant que tel, porteur des dérèglements qu'on lui attribue. Ça n'est pas la périurbanisation elle-même qui est responsable de ces catastrophes : on pourrait très bien trouver des réponses à ces défis dans le même système périurbanisé et ­dédensifié On pourrait maintenir l'agriculture, limiter les émissions de gaz à effet de serre, éviter la ­ségrégation sociale... dans une ­société qui se desserre et occupe harmonieusement l'espace.


Si ces problèmes pouvaient être évités en exploitant le même espace, pourquoi les rencontre-t-on ?

La périurbanisation existe parce ­que nous la produisons, par toute une série d'autres décisions ­publiques et privées entremêlées, qui ­­accom­­pa­gnent la ­société dans sa ­demande d'espace mais qui, dans le même temps, ne reconnaissent pas cette réalité : des politiques ­publiques d'accès à la propriété, un système ­public et privé de développement ­automobile et routier, l'organisation de la grande distribution commerciale... Nous sommes en train de densifier des espaces ruraux de plus en plus lointains des pôles de création de ­richesse et d'emplois et nous n'entendons pas les discours qui s'opposent à ces manières de faire.  Dans ces conditions, il est très difficile de saisir le phénomène et d'adopter des projets pour mieux faire... Nous sommes dans une production honteuse, regrettée, mais éternellement ­recommencée.


Pour commencer à rétablir la balance, faut-il légiférer ?

Il faut d'abord revendiquer le périurbain, dire « chiche » au phénomène et travailler pour résoudre les questions qu'il pose. Il s'agit, par exemple, de créer un système qui transforme radicalement les effets énergétiques de la mobilité individuelle : d'ici cinq ans, nous aurons une réponse, avec la voiture électrique, si des politiques d'appui permettent de favoriser la production individuelle d'énergie. Revendiquer le périurbain, c'est aussi dire oui à l'habitat individuel pour tout le monde, mais à condition de fabriquer un urbanisme de la maison individuelle, notion désertée en raison d'une production ­essentiellement marchande et privée : je ne vois pas pourquoi les promoteurs privés, qui sont d'abord là pour vendre des maisons, prendraient spontanément en charge la protection de l'environnement et l'organisation de l'espace public. Bref, il s'agit d'opérer un renversement de postures pour faire du périurbain un espace de projet.


La responsabilité des élus est tout de même lourde dans la situation actuelle...

Le devoir des élus est de fabriquer une offre de logements la plus diversifiée possible. Refuser l'offre de logements telle qu'elle se fabrique aujourd'hui mettrait en très grave difficulté la population qui gagne moins d'une fois et demi le SMIC et qui, même si elle est fragilisée, réussit encore à trouver des solutions logement dans le périurbain commercial. Si l'on supprime ce modèle sans proposer autre chose, nous les rendrons captifs d'un marché locatif qui sera ­encore plus cruel pour eux. Même si le périurbain ne produit pas du logement social de fait, il ­répond aux besoins des classes ­inférieures et moyennes.

Le « discours écolo » vertueux de l'économie du foncier pourrait produire très rapidement des effets aggravants sur la crise du logement. Les élus n'ont donc pas à dire non aux lotissements, ils ont à dire « chiche ». Mais, ils peuvent obliger les promoteurs à redistribuer la densité en ne faisant plus huit (la norme du ­périurbain diffus sans projet), mais vingt-cinq logements à l'hectare. En multipliant par trois, on devra refaire de la mitoyenneté entre les maisons et donner de nouvelles limites à l'espace public. Au lieu de développer de l'expansif bas de gamme, il faut repenser la forme urbaine.


Comment la question de l'agriculture périurbaine est-elle posée ?

Ce n'est pas la périurbanisation qui déstabilise l'agriculture, c'est le système économique agricole qui est lui-même, pour l'essentiel, comptable de ces évolutions. Je constate que si, globalement, le pays a perdu en une génération une part extrêmement conséquente (de l'ordre de 80 %) de ses exploitations, la surface agricole utile, l'espace de production, lui, n'a pas significativement diminué. Certes, quand on étale la ville, c'est en priorité sur des terrains nus, agricoles et déboisés, mais le périurbain occupe la place que l'agriculture lui laisse. La périurbanisation n'est pas l'ennemi majeur de l'agriculture, elle vient en tout cas derrière les problèmes créés par le marché mondial et la PAC.


Peut-on réellement demander aux promoteurs immobiliers de participer à la fabrication du collectif ?

Avec vingt-cinq logements à l'hectare au lieu de huit, les promoteurs feront le calcul qu'ils construiront trois fois plus de logements sur la même surface. Certes, dans un premier temps, ils ­diront que c'est impossible, que les gens n'achèteront pas car ils veulent des lots de mille ou mille deux cents mètres carrés, sans mitoyenneté.  Mais si les pouvoirs publics choisissent l'alternative de fermer le robinet de l'individuel diffus et d'ouvrir celui du ­périurbain organisé, les promoteurs ­seront les premiers à se frotter les mains, puisqu'on permettra des opérations plus denses, donc plus rentables. Moyennant un temps de bras de fer difficile, on aboutira en réalité à un transfert de rente. On a eu le même ­débat il y a quelques années, quand on a voulu ­inclure des logements sociaux dans des programmes privés : ce qui ­paraissait impossible est aujourd'hui ­banal. Il s'agit de créer une nouvelle norme d'habitation et de faire rêver les gens à autre chose qu'à un rêve banal et normalisé. Mais la fabrique d'une belle ville périurbaine suppose un formidable sens de l'investissement public.


Mais la question des transports périurbains se posera toujours...

Partout, les opérateurs principaux que sont les conseils régionaux sont en train de faire des efforts pour transformer les TER en RER régionaux. Leurs efforts sont d'autant plus désespérés qu'au ­moment où ils ont enfin digéré le service et le matériel roulant, ils découvrent les énormes problèmes de réseaux ferroviaires saturés. Alors que la SNCF n'est plus un interlocuteur sur ces questions, ils comprennent qu'ils vont devoir ­investir pour ­rénover un réseau qui ­devait être exclusivement du domaine de l'État.

La ­région est donc un acteur majeur de la question des déplacements périurbains. Mais elle n'est pas la seule : dans plusieurs départements, on a redécouvert le car comme transport complémentaire et de rabattement sur le chemin de fer. Ces opérateurs de transport ont des ­capacités techniques et financières : j'estime que c'est à l'échelle du couple région/département que la question des politiques de transport en commun périurbain peut trouver la majorité des réponses ­nécessaires.


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