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Service public : prendre le risque des valeurs

Article du numéro 363 - 21 juillet 2008

Service public

Quelles sont les valeurs nécessaires au service public en France et en Europe ? Liberté, Égalité Fraternité : peut-on se contenter de ces grandes devises ? Doit-on s'en appliquer d'autres plus concrètes ? Regards croisés.

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Quelles sont les valeurs nécessaires au service public en France et en Europe ? Liberté, Égalité Fraternité :
peut-on se contenter de ces grandes devises ? Doit-on s'en appliquer d'autres, plus concrètes ?
Regards croisés.


Nicolas Braemer
nicolas.braemer@territorial.fr


Le 4 juillet dernier1, à l'occasion des 20 ans du cadre d'emplois, l'Association des administrateurs territoriaux a réuni Éric de Mongolfier, procureur de la République de Nice, Nicole Maestracci, présidente du TGI de Melun et présidente de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS) et Thierry Aumonier, président de l'Association européenne des représentants territoriaux de l'État, pour parler des valeurs du service public, en France et en Europe. À la clé : un débat passionnant sur les valeurs qui doivent guider les fonctionnaires territoriaux.


Liberté, Egalité, Fraternité... Responsabilité

"Prendre des risques, c'est ne pas ouvrir son parapluie ou se contenter d'appliquer les textes"

Quand on pose à Éric de Mongolfier la question des ­valeurs qui doivent animer le service public, il commence par citer la devise de la ­République. Il ­demande qu'on ne se con­tente pas de juxtaposer ces mots, mais qu'on les comprenne comme une progression des indicateurs qui doivent conduire nos actions. « La liberté est le concept le plus simple, mais il peut être aussi le plus égoïste si on ne le comprend que comme sa liberté propre. La liberté de faire, de penser, d'agir est un peu simple pour s'en contenter. Elle conduit vite à un autre mot qui n'est pas dans la ­devise de la République : la responsabilité. . Ce qui ­légitime notre liberté n'est-il pas qu'on puisse nous ­demander des comptes sur l'usage que nous en faisons ? Quant à l'égalité, la voulons-nous pour soi ou ­devons-nous l'exiger pour tous ? Le service public peut-il se contenter d'une revendication égoïste ? La ­fraternité est le mot qu'on néglige le plus, mais qui nous offre pourtant un éclairage nouveau. La fraternité est l'élément qui nous permet de bien appliquer les principes de ­liberté et d'égalité : c'est la liberté qu'on doit aux ­autres autant qu'on y prétend pour soi-même ». Et ­d'inviter chacun à réfléchir à l'équilibre de ses fonctions, pas seulement en matière de liberté, de liberté ou de fraternité.



 Eric de Mongolfier « C'est la jonction de la Liberté, de l'Égalité et de la Fraternité qui rend à la devise tout son sens, qui donne la finalité nécessaire et qui nous rend dignes de l'intérêt collectif. »


De nouvelles valeurs

"C'est la jonction des trois mots qui leur donne la finalité nécessaire et nous rend dignes de l'intérêt collectif"

Nicole Maestracci « Nous avons en France une grande capacité à distiller les grands principes dans les textes de loi et à ne pas en tirer les conséquences. »

Nicole Maestracci se reconnaît dans ces valeurs, mais ne veut pas s'en contenter. Et de proposer une série de mises en application concrètes, des déclinaisons de la devise républicaine. L'égalité d'accès au service ­public suppose d'aller au-­devant des besoins des personnes. « Dans la culture de l'administration française dit-elle, on ­attend la demande avant de la traiter. Aujourd'hui, trop de personnes ne bénéficient pas du service public auquel elles ont droit parce qu'elles n'ont pas les « clés d'entrée » pour formuler la demande ». L'égalité sur l'ensemble du territoire. « Depuis dix ans, l'État dit qu'il est garant des solidarités sur le territoire : cette notion restera vide de contenu tant qu'on n'aura pas créé de réels outils de régulation, avec les moyens nécessaires. On sait combien les rares instruments de régulation, comme la loi SRU, sont difficiles à faire respecter ». La solidarité pour tous. Nicole ­Maestracci refuse la tendance à faire la distinction entre « bons et mauvais pauvres », entre ceux qui font les efforts jugés nécessaires d'insertion et les autres, ou « bons et mauvais délinquants », ceux qui se réinséreraient et les récidivistes. « Le service public, c'est la capacité d'une société à prendre en charge toutes les personnes, y compris celles qui n'adhèrent pas spontanément à des dispositifs faits pour eux ».


Plus surprenant, la magistrate fait de la bienveillance une valeur fondamentale : il faut porter un ­regard bienveillant sur les bénéficiaires du service public. Même si on la regarde avec attention et qu'on la réoriente, même si elle ne rentre pas dans les cases des dispositifs, leur demande doit être regardée comme légitime : « d'expérience, je sais qu'il faut se battre tous les jours pour que la demande des plus faibles soit entendue ».


La valeur du risque

Le risque est-il une valeur Républicaine ? L'hypothèse avancée par Nicole Maestracci recueille l'assentiment général. « Notre société, estime-t-elle, doit réapprendre la prise de risque, même avec les personnes les plus en difficulté, si elle veut accomplir des objectifs ambitieux de cohésion sociale. Prendre des risques, ce n'est pas forcément être de l'avis du plus petit dénominateur commun. Quand on parle d'aide sociale à l'enfance, d'action sociale, de sécurité... c'est ne pas ouvrir directement son parapluie ou se contenter d'appliquer les textes ». C'est par exemple savoir prendre une mesure de libération conditionnelle, quand l'air du temps est à la lutte systématique contre la récidive. C'est aussi prendre des risques pour soi et expliquer ses choix : « ce qui est difficile, car notre démocratie médiatique laisse entendre qu'une société à risque zéro est possible. Il faut expliquer que ce n'est pas possible si l'on a des objectifs de cohésion sociale ». Éric de Mongolfier se retrouve dans cette analyse et y ajoute une dimension de dignité personnelle : « Il n'y a pas de société sans risque. Prendre un risque, c'est montrer à l'autre qu'on respecte ce qu'il est. Sinon nous ne sommes rien. Je ne justifie pas tout, mais nos fonctions sont des fonctions de risque ».

Thierry Aumonier « Les différentes administrations ont les mêmes valeurs, car elles sont jugées par les citoyens sur le même critère de qualité du service public rendu. »

La question a été posée par un participant : les territoriaux ne risquent-ils pas de crouler sous ces valeurs qu'on leur ­assène ? Au contraire, ­réplique avec humour Thierry Aumonier, dans ce qui peut être une conclusion : « ne nous laissons pas accabler sous le poids de ces valeurs. C'est une chance que de les avoir à nos côtés pour réussir notre mission. Et puis, elles sont aussi notre meilleure ­excuse pour ne pas y arriver... »


Un même carburant ?

Le service public territorial marche-t-il au « même carburant » dans les pays européens ? Il y a convergence depuis une dizaine d'années, constate Thierry Aumonier. Nombreux sont les pays où les représentants de l'État ne sont plus seuls à être dépositaires de l'intérêt général sur les territoires. Il y a une telle communauté d'intérêt entre les acteurs du service public qu'il ne peut y avoir qu'un rapprochement. Bien sûr, souligne-t-il avec ironie « parfois on rate certaines portes : c'est un de ces « ratages » qui a amené à la création de l'Ena et de l'Inet comme écoles concurrentes, au nom de l'idée qu'il ne fallait pas se mélanger. Heureusement aujourd'hui on sait qu'on a des choses à se dire et à partager des expériences ».


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