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Le travail en otage

Article du numéro 359 - 15 mai 2008

Repères

Le travail est un objet de débat tous les cinq ans, à l'occasion des campagnes électorales. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit pris en otage, même si la réalité n'est jamais aussi claire que le laissent penser les prises de position sans nuance.

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Le travail est un objet de ­débat tous les cinq ans, à l'occasion des campagnes électorales. Il n'est donc pas étonnant qu'il soit pris en otage, même si la réalité n'est jamais aussi claire que le laissent penser les prises de position sans nuance.


Le monde du travail éclate

Certains veulent trouver des tendances fortes dans l'évolution du travail, qui renverraient le taylorisme au Moyen-Âge du siècle dernier.  Pourtant le monde du travail ne suit pas d'évolution franche, il éclate plutôt en des formes de plus en plus diverses. Il est à la fois plus qualifié et enrichi dans certaines situations, plus standardisé et spécialisé dans d'autres. Des travailleurs bénéficient de plus d'autonomie et de pression sur leurs objectifs ici, ils supportent des systèmes de contrôle plus étroits ailleurs. L'autonomie était, il y a trente ans, un facteur d'amélioration alors qu'elle est aujour­d'hui un facteur de risque psychosocial. On a réduit la ­péni­bilité physique dans de nombreux postes, on a augmenté la fatigue mentale dans d'autres. L'environnement du travail et sa sécurité se sont améliorés dans certains secteurs, on voit apparaître les fameux troubles musculo-squelettiques ailleurs. On parle de salariés, mais les formes de contrat de travail n'ont fait que se multiplier. Bien ­malin qui peut trouver des tendances uniformes dans toutes ces évolutions.Que dire du harcèlement et de la souffrance au travail, qui semblent constituer l'unique grille de lecture de l'activité professionnelle, alors que chacun constate au quotidien que la vie active peut être une grande source de plaisir et de développement personnel ? Certains attribuent au travail tous les maux et drames de nos contemporains et négligent la ­détérioration des transports publics, comme les difficultés familiales, ou l'éclatement des emplois du temps. Pour les caricaturistes, le travail est encore emblématisé par l'usine, alors qu'une large majorité de personnes travaille dans le service, le secteur associatif quasi-public ou l'administration, quand ce n'est pas dans des professions individuelles et indépendantes. On y voit enfin la soumission à des organisations ou à des process, alors qu'il est aussi le lieu d'investissement et de réalisation personnels. Finalement, le travail a ceci de confortable que chacun peut y trouver midi à sa porte en théorisant une ­vision partielle de la réalité.


Humilité

Le récent rapport sur le stress au travail 1, dans lequel beaucoup ont vu la reconnaissance officielle de l'importance du problème, est très significatif. À le lire de près, ce n'est pas le propos : les auteurs reconnaissent surtout que si chacun s'accorde à stigmatiser le stress, personne n'est d'accord sur ses modalités et ses causes. Les auteurs proposent en premier lieu que l'on travaille à définir la notion et que l'on s'accorde sur des indicateurs censés le mesurer...Ce dont nos analyses du travail ont surtout besoin, c'est de ne pas le prendre en otage de nos propres ­visions du monde, de nos idéologies ou de l'économie. L'analyse du travail demande surtout de l'humilité, de la prise en compte de la complexité et de la nuance de la réalité, au-delà des leurres de l'émotion de l'actualité. Plutôt que d'être une valeur sur laquelle on prétend agir, le travail mérite peut-être d'abord le respect de l'étude.

1. Rapport sur la détermination, la mesure et le suivi des risques psychosociaux au travail, P. Nasse, P. Légeron.


mini cv

Maurice Thévenet est professeur au Cnam, titulaire de la chaire de Gestion des ressources humaines et professeur à l'Essec. Il vient de publier :


- Les relations humaines Alors, heureux ?


- Le Pouvoir : Le management est-il toxique ?


- Les Talents : Des étoiles brillantes aux étoiles filantes.
thevenet@cnam.fr


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