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Libéralisation du livret A : attention danger ?

Article du numéro 359 - 15 mai 2008

Logement

Faut-il libéraliser la distribution du Livret A ? Le gouvernement est en train de donner raison au secteur bancaire qui le réclame depuis longtemps. Les acteurs du logement social sont, eux, mitigés. Retour sur un débat qui risque d'enfler.

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Comment le Livret A finance-t-il le logement social ?

L'intégralité des fonds collectés par les 46 millions de Livrets A est centralisée auprès de la Caisse des ­Dépôts et Consignation, ce qui représente chaque année près de 110 milliards d'euros. La Banque Postale et les Caisses d'Épargne (avec une solution quasi-identique pour le Crédit mutuel et le Livret bleu), ont aujourd'hui le monopole de la collecte de ces fonds et reçoivent pour cela une rémunération à hauteur de 1,3 % des fonds collectés. Le Livret A ne finance pas que le logement social, il est aussi un des principaux bailleurs de la politique de cohésion sociale. En 2003, 41,8 % de ces fonds permettaient le financement du « prêt habitat ville » qui concerne à la fois le logement social et le renouvellement urbain.


Quelle réforme la commission demande-t-elle à la France ?

Désireuse de bénéficier de la manne qu'il représente, les banques françaises contestent le monopole de la distribution du livret A. Elles ont saisi la Commission européenne qui, fidèle à ses principes de libre concurrence, a demandé en mai 2007 à la France de limiter le monopole de la distribution et de mettre en œuvre les procédures nécessaires à la mise en concurrence et au libre accès des réseaux bancaires à la distribution de ces produits. La Commission n'a donc demandé à la France de renoncer, ni à la centralisation des fonds auprès de la CDC, ni à l'accessibilité bancaire.


Que veut le gouvernement ?

Saisissant l'opportunité de la demande de la Commission, le gouvernement a entamé une réforme profonde de la collecte de l'épargne et donc du financement du logement social. Les premiers éléments connus du projet de loi dit de « modernisation de l'économie », récemment examiné en Conseil des ­ministres, laissent présager une ouverture de la distribution à tous les réseaux bancaires, qui seraient rémunérés pour cela grâce à un taux autour de 0,6 %, la remise en cause de la centralisation de 100 % des fonds auprès de la CDC (certains évoquent 70 % avec un seuil bas de 1,25 fois l'encours des prêts au logement social, soit environ 112 milliards d'euros).


Quels sont les enjeux réels de la réforme ?

Dans un contexte de baisse de la collecte des fonds par le biais du ­Livret A, de nombreux acteurs du dossier (bailleurs sociaux, Banque Postale, acteurs de la solidarité...) ne veulent pas de réforme dans l'urgence. Tous pointent les risques d'une réforme précipitée, qui pourrait conduire à la démolition d'un système de financement qui, déjà, mobilise moins les fonds ­publics que ceux de l'Angleterre ou de l'Allemagne, mobilisant jusqu'à 40 à 50 % de subventions ­publiques, sur des plus courtes durées. De nombreuses questions se posent donc encore : préservera-t-on la double mission d'intérêt général du Livret A, accessibilité bancaire et financement du logement social ? Continuera-t-on à pouvoir moduler les taux d'intérêt pour enrayer un impact inflationniste sur les loyers ? Maintiendra-t-on la centralisation complète des fonds auprès des la CDC pour maintenir un niveau d'intervention nécessaire à la résolution de la crise du logement ? Garantira-t-on une rémunération suffisante aux réseaux distributeurs pour éviter la « fuite » des fonds vers d'autres produits plus rémunérateurs ?

Nicolas Braemer
nicolas.braemer@territorial.fr


« Ne déstabilisons pas le système ! »

Pourquoi le mouvement HLM craint-il la libéralisation du Livret A ?


Le financement du logement social repose de longue date sur des prêts à taux modérés et de très longue durée, que la Caisse des Dépôts et Consignations peut consentir grâce à la centralisation complète de la collecte du Livret A. Ces prêts sont accordés à toute opération agréée par les pouvoirs ­publics, sans distinction de territoire, ou de taille de l'organisme. Ils couvent en moyenne 75 % du montant des opérations, ce qui minimise le ­recours aux subventions et fait de ce système sans doute le plus performant d'Europe. Au moment où la production doit augmenter fortement pour ­répondre à la crise du logement, je redoute tout ce qui peut ­déstabiliser ce système. Je ne suis pas hostile à toute réforme, mais on doit protéger le financement du logement social des aléas du marché. Comme chacun le sait, le financement privé du secteur immobilier n'est pas exempt de sinistres : sans remonter au krach du Crédit Lyonnais, il suffit de regarder les conséquences de la crise des subprimes.

Qu'attendez-vous des recours en annulation de la décision de libéralisation du Livret A devant la Cour de Justice de la Communauté européenne ?


Je suis conscient de ce que tôt ou tard, une évolution de la distribution du Livret A est nécessaire. L'évolution de la Banque postale et des Caisses d'Épargne dans le champ concurrentiel justifie les interrogations de la Commission européenne. Mais je considère que la décision ne prend pas assez en compte les ­enjeux des deux services d'intérêt général liés au Livret A - le financement du logement social et l'accessibilité bancaire - même si elle reconnaît ces deux services et affirme que la banalisation de la distribution n'a pas d'effet sur eux. Preuve que la décision est mal fondée : le projet de réforme proposé actuellement pose justement de graves problèmes à l'un et à l'autre. J'attends du juge européen, soit qu'il annule la décision sur ces bases, soit qu'il en encadre fortement les effets sur ces deux services.

Que doit désormais faire le gouvernement ?


Je souhaite qu'il aille au bout de son recours. Par ailleurs, s'il souhaite donner satisfaction à la Commission, j'attends qu'il n'aille pas au-delà de sa décision. Celle-ci ne met pas en cause la totale centralisation de la collecte par toutes les banques qui distribueraient le Livret A. Or, le gouvernement s'apprête à accepter le principe d'une ­décentralisation d'une partie de cette collecte, en la ­mêlant à celle du Livret de développement durable, qui est très peu centralisée. Même si au départ le volume centralisé était le même, l'évolution ira inévitablement vers une baisse de la part centralisée, afin de satisfaire la demande de liquidités des banques qui veulent garder une partie importante des fonds pour leur propre usage. J'attends également qu'il profite de cette réforme pour abaisser réellement le coût de la ressource pour les prêts, en ­diminuant les commissions accordées aux réseaux distributeurs. Or, pour l'instant, nous n'avons pas de garanties et beaucoup d'inquiétudes, car la baisse du taux de commissionnement s'accompagnera d'un report de la mission d'accessibilité bancaire sur la Banque postale et la rémunération supplémentaire de ce réseau pèsera sur le coût de nos emprunts à la Caisse des dépôts. Je pense donc qu'il devrait discuter avec la Commission pour ­obtenir les délais nécessaires à l'élaboration d'un texte qui préserve les enjeux essentiels.

Michel Delebarre, maire et président de la CU de Dunkerque, est président de l'Union sociale pour l'habitat


« Que cette réforme fasse baisser le coût des prêts ! »

Je ne suis pas attaché à la collecte par un organisme unique. Je suis en revanche attaché à la centralisation des fonds et à leur redistribution équitable sur tout le territoire : c'est le rôle de la CDC. J'espère un aspect positif de cette réforme : que la baisse attendue du coût de la collecte entraîne une baisse du coût des prêts, dans un contexte de hausse du taux des prêts inégalée depuis vingt ans. Pour donner un ordre d'idée, le remboursement des prêts représente 45 % des dépenses de notre office. Et 90 % de cette dette sont des prêts de la Caisse des Dépôts (10 % étant contractés auprès du système bancaire, offrant parfois des taux plus intéressants). Le remboursement de prêts est de très loin le premier poste budgétaire des offices HLM. Ce dont nous avons en revanche très peur, c'est qu'en banalisant la collecte, on organise une évaporation de la masse collectée. Les banques pourront en effet très bien proposer à leurs clients des produits alternatifs qui ne seront pas centralisés à la Caisse des dépôts et ne contribueront pas aux taux bonifiés.

Didier Meyer,
Directeur général de l'Office ­public d'habitat du Doubs
didier.meyer@habitat25.fr


« La France a joué double jeu »

Pour l'USH, la remise en cause du monopole de collecte et de centralisation à la Caisse des ­Dépôts aura un impact fort sur le financement du logement social et va à l'encontre de l'accomplissement d'une mission d'intérêt général. La France joue double jeu dans cette affaire : d'un côté, elle a déposé formellement un recours pour contester la décision communautaire de libéraliser le Livret A, d'un autre, elle confie une commission à l'ancien président de FMI, Michel Camdessus, dont une des premières décisions a été d'acter la décision communautaire de libéralisation du Livret A. En réalité, il y a aujourd'hui une volonté de la France d'instrumentaliser la décision de la Commission européenne, de libéraliser le Livret A tout en modifiant en profondeur les services d'intérêt général de financement du logement social et d'accessibilité bancaire... Seules les banques ont été invitées aux négociations.

Laurent Ghekiere,
Représentant auprès de l'UE de l'Union sociale pour l'habitat
laurent.ghekiere@union-habitat.org


« Nous sommes engagés dans une course contre la montre »

Ce qui est le plus gênant, ce n'est pas la ­banalisation, mais le manque de visibilité sur le financement du monde HLM. Nous sommes engagés dans une course contre la montre pour l'amélioration de notre niveau de production, mais l'effort en direction du logement HLM demande de la visibilité long terme. Or, le Livret A avait ce mérite d'une ressource claire et centralisée. Mais ne nous leurrons pas, ce n'est pas lui qui suffit à accompagner nos efforts. Nous manquons de moyens et la revue générale des politiques publiques et le discours de Vandoeuvre du président de la République, vont plutôt dans le sens d'une banalisation du logement social en général, bien au-delà de la seule question du ­Livret A.

Arnaud Delannay,directeur général SA HLM Notre Logis
adelannay@notre-logis.fr


« Pourquoi modifier le système actuel ? »

Dans une démarche de libéralisation du secteur de l'épargne, le projet du gouvernement va imposer des difficultés supplémentaires aux bailleurs sociaux. Le système actuel permet d'accompagner les bailleurs dans leurs plans de développement et de construction, avec des coûts certes importants mais qui restent compétitifs. Quel ­intérêt y a-t-il à modifier ce système, si ce n'est celui des banques ? Car il y a un risque qu'elles orientent les épargnants sur des produits tout autres que le Livret A, ce qui aura pour conséquence de diminuer le volume d'encours disponible pour le logement social. Et cela au moment où les bailleurs sont confrontés à des défis de construction importants, où les coûts de construction explosent avec les matières premières et où le Grenelle de l'environnement aura un impact financier conséquent. Si l'encours baisse, il faudra bien trouver l'argent quelque part, en l'occurrence auprès du secteur bancaire : mais à quel taux ? Il y a là de quoi nous ­inquiéter.Une autre orientation aurait pu être de favoriser la constitution d'un pôle financier public, regroupant la CDC, la Banque postale et les Caisses d'Épargne, pour accompagner et financer à taux préférentiel les activités d'importance stratégique pour notre cohésion sociale.

Éric Philippart
DG de l'OPAC de Saône-et-Loire
eric.philippart@opac71.fr


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