. (15/09/2014)
Une compétence culturelle obligatoire pour les nouvelles Régions.
Alors que la réforme territoriale en cours va entrer dans sa phase de discussion sur les compétences des collectivités territoriales, qu'une nouvelle Ministre de la Culture peu au fait de ces questions arrive rue de Valois, que le calendrier électoral semble s'accélérer, que nous sommes à la veille de la tenue des assises des DAC, je vous invite en cette rentrée à un cheminement dans les méandres des compétences culturelles des collectivités territoriales.
Première étape de quatre éditos sur cette question, voyons ce qu'il en est du côté des Régions.
C'est à Avignon, lors de la tenue du CCTDC, que Jean Jacques Queyranne a fait part de la proposition de l'ARF d'une compétence culturelle obligatoire pour les Régions.
Dans une tribune sur le site rue89Lyon, Farida Boudaoud, vice-présidente de la Région Rhône-Alpes déléguée à la culture et à la lutte contre les discriminations, explicite ce que pourrait être cette compétence culturelle obligatoire.
Elle y explique que pour éviter la mort programmée des politiques culturelles l'ARF, avec l'accord de toutes les Régions, propose d'inscrire dans la future discussion sur la loi MAPAM une compétence culturelle obligatoire pour les Régions dont le contour reste à définir, avec une compétence exclusive sur les industries créatives (cinéma, audiovisuel, livre).
Cette proposition part d'un triple constat : « un état culturel en panne », un certain « recul » des politiques culturelles des collectivités territoriales, en particulier du fait de la fin programmée des Conseils Généraux et le risque qu'avec une compétence culturelle partagée, les Régions « s'en détournent pour aller à l'essentiel : l'obligatoire ».
Farida Boudaoud propose plusieurs arguments en faveur de cette proposition : les Régions ont déjà des politiques culturelles « opérantes », elles ont une vision stratégique à long terme sur l'aménagement culturel du territoire et elles peuvent articuler cette compétence avec la gestion des fonds structurels européens.
Puis elle développe trois autres arguments plus incertains : les Régions peuvent faire frein face à la concentration métropolitaine de l'offre culturelle, elles permettront la mise en réseau des acteurs et enfin elles apporteront des réponses aux disciplines émergentes, aux arts numériques et aux cultures urbaines.
Enfin Farida Boudaoud décrit un schéma d'organisation dans lequel l'Etat n'aura plus qu'un pouvoir règlementaire normatif, où les DRAC auront transféré une partie des leurs attributions, en particulier sur le soutien à la création, à la diffusion et à la médiation culturelle. Elle présente le rôle stratégique de la CTAP (la Conférence Territoriale de l'Action Publique) et en particulier la concertation « de plus en plus grande » avec les intercommunalités.
Cette présentation de la compétence culturelle obligatoire des Régions a l'avantage de poser un cadre à cette proposition de l'ARF. Néanmoins ce cadre pose question et ouvre un débat dont les autres collectivités territoriales devront s'emparer au risque de se voir imposer un interlocuteur unique : la Région.
Si Culture et Compétence posaient déjà question - certains pensaient que Responsabilité était un mot plus approprié à ce secteur complexe - les mots Culture et Obligatoire posent une difficulté majeure au regard de la définition du champ culturel et de l'obligation qui pourrait s'y apporter. Il n'y a pas de réponse indiquée sur le « contour » de l'obligatoire si ce n'est celle de la compétence exclusive des industries créatives et celle, par transfert, de la création, de la diffusion et de la médiation culturelle. Pour définir ce contour on pourrait trouver une répartition par secteur, prendre en compte le transfert « à la découpe » des activités culturelles des Conseils Généraux, certaines se retrouvant dans les compétences des intercommunalités, d'autres des Régions. On pourrait aussi prendre la suggestion de Jean Michel Lucas qui proposait en 2010 une compétence culturelle spécifique des collectivités territoriales qui favoriserait la « diversité culturelle » au sens de la déclaration universelle de l'UNESCO de 2001. Cette dimension des droits culturels pourrait permettre « l'inclusion et la participation de tous les citoyens » à l'élaboration de la vie culturelle de leurs territoires.
L'autre question qui n'est pas posée dans le texte de Farida Boudaoud est la capacité des futures quatorze grandes Régions à prendre en compte cette compétence au regard de leur taille, de l'histoire des politiques culturelles des anciennes Régions qui les composent, de la question financière (Farida Boudaoud parle de transfert de fiscalité), mais aussi de leur capacité à garder la dimension de proximité qui est très importante dans ce secteur, tout en ayant une vision stratégique.
Le couple Intercommunalité - Région est désigné comme le socle de cette compétence obligatoire. Il apparaît comme l'avenir et la modernité de cette révolution territoriale. Pour ces deux collectivités territoriales la culture y sera un enjeu majeur. Elle sera la dimension de politique publique qui portera la question de l'identité de ces territoires pour les futurs « bourguignons-francs comtois », ou les « aquitano-limougeots ».
Au delà des intentions politiques, des futures gouvernances complexes (CTAP) et des répartitions de compétences, les femmes et les hommes politiques qui vont avoir dans les prochains mois la responsabilité de trancher sur cette question auront tout intérêt à profiter de ces modifications coperniciennes pour opérer un changement radical de paradigme. Il s'agit de rapprocher cette question des citoyens à travers les trois dimensions que je viens d'évoquer : la diversité, la proximité et l'identité culturelle et de l'inscrire par exemple dans les droits culturels portés par la déclaration de Fribourg. Sans changement de cap, l'arrivée de cette compétence obligatoire risque de porter les lourdeurs et les pannes dans lesquelles se retrouvent aujourd'hui les politiques culturelles de l'Etat et des Collectivités Territoriales.
Prochain édito : Les politiques culturelles des départements ; inventaire avant fermeture ?
Extrait de
Lettre d'information du réseau culture - N° 422
(15/09/2014)
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