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Edito

Le plaisir d'une pratique artistique en amateur. (23/08/2012)

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Cet été, entre deux festivals de spectacles professionnels suivis en spectateur, l'un en milieu urbain (Avignon), l'autre en milieu rural (la Route du Cirque à Nexon dans le Limousin), j'ai retrouvé le plaisir d'être acteur, en amateur, en suivant un stage de clown avec une association montpelliéraine qui conçoit la pratique artistique du clown, basée essentiellement sur l'improvisation, comme un moyen de  développer la sensibilité et l'imagination présente en chacun, comme moyen de «  découverte de son propre clown » ; ceci dans la lignée de la pédagogie initiée par Jacques Lecoq, et repris notamment par le Bataclown qui s'est dotée d'une Charte en 2008 et d'une revue, Culture Clown.

Dans ce stage où l'exigence allait de pair avec le respect de l'évolution de chacun, nous avons pris le temps... d'attendre (la disponibilité... un truc inimaginable pour moi !), appris à ne plus avoir peur du vide (savoir inventer face à l'inconnu ou à la faille),  à apprécier l'espace (d'où peut jaillir l'impromptu) ainsi que la place de notre corps dans cet espace (« être là »), notamment apprendre à entrer dans un lieu où vous regarde un public (l'attaque) et à en sortir. Si nous avons parlé, dansé et chanté (en prenant conscience de la vibration de la matière vocale dans toutes  les parties de notre corps depuis nos pieds jusqu'à la pointe de la tête), c'est l'importance du regard que je retiendrai :  le regard sur soi (ce qui se passe dedans, qu'il faut oser donner à voir), et le regard des autres et sur l'autre, voire sur le monde qui nous entoure au travers du rire (savoir regarder vraiment,  élargir le regard et changer de regard) ; et puis la confiance (se faire confiance), nécessaire au jeu dramatique qui se co-construit avec ses partenaires et, dans cet art, avec  le public.

Nous nous sommes accordés le plaisir d'être ce que l'on était, de laisser jouer nos clowns, ces êtres qui viennent progressivement au jour une fois que nous sommes chaussés du plus petit masque du monde ( le nez). Les clowns jouent sur l'immédiateté et l'imaginaire, ils imitent, répètent et amplifient... ils jouent sur la naïveté et un art avéré du décalage sans pour autant craindre le ridicule. « Nous avons chacun nos faiblesses, notre dérisoire qui, en s'exprimant, font rire » (J. Lecoq).


Ainsi chacun s'invente-t-il  son chemin d'artiste, amateur ou professionnel, avec  ses dons, sa part de poésie, l'acquisition de qualités techniques mais aussi l'élaboration d'une éthique. Chaque personne  devrait avoir droit et se donner le droit du plaisir et de la richesse qu'apporte ce type de pratique artistique, qui fait évoluer et  grandir à tout âge (« ce genre de stage devrait être obligatoire à l'ENA et remboursé par la sécu... » me dit un ami avec humour !).

Cela ne veut pas dire pour autant que les amateurs  doivent se prendre pour des professionnels.  Si tant est que certains puissent être des professionnels en puissance  (j'entends déjà la clowne de Servane Guittier  soupirer : « oui mais bon, pfff... » encore faudrait-il qu'ils maîtrisent de nombreuses composantes nécessitant un temps de travail  considérable et de multiples expériences que seuls  peuvent vivre des professionnels à plein temps  - et qui leur permettent par exemple de fluidifier leur gestuelle ou d'améliorer le rythme à force de répétitions. Et puis « prendre du plaisir en amateur c'est une chose, être professionnel et se retrouver ensuite seul ou à deux pour monter un spectacle, c'est une autre affaire », explique André Riot-Sarcey, le metteur en scène des  « Nouveaux Nez ».  « La question n'est pas de faire rire, dit le clown néo-zélandais Brian Divers, la question est de faire rire à 21 heures !

Dans  un récent ouvrage (1), « Le théâtre des amateurs », différents contributeurs  se demandent quelle est l'expérience de l'art que font les amateurs, et comment faire exister le théâtre en amateur en tant qu'art en édifiant son histoire spécifique.  La thèse de cet ouvrage, c'est que c'est la relation qui nous lie aux productions du théâtre en amateur qui peut leur conférer une valeur esthétique propre (le théâtre amateur doit être pensé et se penser comme un art).  Le théâtre des amateurs est d'abord du théâtre, au-delà de la pratique sociale de convivialité qu'il met en œuvre, ce qui ne suppose en rien qu'il n'y a pas de différence entre le travail des professionnels et celui des amateurs. Il  s'agit d'une pratique artistique et donc les amateurs font de l'art. Dans la lettre de la FNCC , Vincent Rouillon conclue ainsi  la critique de cet ouvrage : « A l'heure actuelle de la post-démocratisation (...), l'importance  d'édifier l'histoire de l'art du théâtre en amateur prend une évidente nécessité . Il ne s'agit pas de dire que tout se vaut au regard d'un critère supérieur, mais que bien des choses ont de la valeur ».

Notre rôle, en tant qu'élus ou professionnels à leurs côtés, est de savoir reconnaitre le travail artistique des amateurs (le plus souvent encadrés par des professionnels) en les écoutant et en les interrogeant, puis de trouver les modalités pour les accompagner (parcs de matériels, aides aux festivals, etc.), pour les soutenir à la place qui est la leur, qui n'est pas celle des professionnels (eux doivent notamment bénéficier d'aides à la création et à la diffusion), mais qui pour autant représente un enjeu important pour le développement culturel des habitants de notre territoire.

François DESCHAMPS

Merci au Centre de Recherche sur le Clown contemporain et à sa revue Culture Clown, notamment  le n°10 d'octobre 2005 intitulé : « Amateur / Professionnel », dont je me suis inspiré pour cet article.

(1) Le théâtre des amateurs et l'expérience de l'art. Accompagnement et autonomie par M-C.  Bordeaux, J.Caune, M-M Mervant-Roux, 2011 (dir.), aux Éd. L'Entretemps (coll. Champ théâtral,  335 p). Lire aussi : M-M. Mervant-Roux : Du théâtre amateur. Approche historique et anthropologique, Paris, Éd. du CNRS, 384 p.

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Extrait de Lettre d'information du réseau culture - N° 358 (23/08/2012)
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