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Article du numéro 471 - 01 octobre 2013
Hubert Prolongeau : Ils travaillent au noir. Enquête sur un mal français. "Toute ligne de démarcation est caricature mais on peut dire qu'un travail au noir est une entreprise de survie alors qu'un autre ne vise que le profit." "Tentez l'expérience ! Prenez l'air perdu à la sortie d'une gare, traînez avec une grosse valise, n'allez pas directement vers la queue des taxis officiels. Et rapidement, ça mord." " En période de crise, s'il mine un système social qui patine, n'amortit-il pas aussi ses conséquences les plus dures ? " Tous les articles du numéro 471 |
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Que celui qui n'a jamais fauté, comme employé ou comme employeur, contraint (par absence de papiers ou par crainte de la paperasserie) ou calculateur (pour ne pas perdre ses indemnités ou ne pas payer de cotisations sociales), lève la main ! Hubert Prolongeau le souligne au début de son ouvrage : le travail au noir, tout le monde en croque. Sans toujours en être pleinement conscient.
Prolongeau ouvre la porte, sans (trop) juger. Plongeant dans le quotidien des réalités de ces « travailleurs de l'ombre », il se penche sur l'embrouillamini de relations qui échappent, complètement ou partiellement, au droit social. L'ensemble pourrait représenter un manque à gagner, du côté de la protection sociale, d'environ un demi-point de PIB. Ce qui n'est pas rien. Mais ce qui n'est pas le sujet de l'auteur.
Journaliste d'investigation et d'immersion, Prolongeau a produit des livres marquants, notamment en passant de longs moments dans la peau de ceux dont ils voulaient rendre compte de l'existence. Les SDF en particulier. Il produit ici le même type de dossier, mêlant descriptions captivantes et observations feutrées, en particulier à partir de son expérience personnelle de man½uvre (toujours au noir) sur un petit chantier. Mais aussi à partir du démêlage, dans des cas concrets, des méandres de la sous-traitance, des trafics de faux papiers dans les squats, ou encore des réelles arnaques dont sont victimes les travailleurs au noir. Surtout, ce qui marque, c'est l'étendue du phénomène, dans toutes les sphères d'activité. Certes à des degrés variés.
Alors que les statistiques le mesurent mal, les tranches de vie rapportées dans ce livre donnent de la consistance au travail au noir. Le nom viendrait des serfs, au Moyen Âge, qui travaillaient la nuit (donc, au noir), en cachette du seigneur. Répandu dans le bâtiment, la restauration, le gardiennage, les services à la personne (en particulier la garde des petits enfants), on le trouve aussi dans le taxi non officiel, le spectacle ou les cours à domicile, aux Puces ou dans la vente, très organisée, de souvenirs de type Tour Eiffel. On le découvre aussi chez des étudiantes conduites à la prostitution, ou des seniors obligés par de trop faibles retraites. Sans prise de position moralisante, l'auteur insiste sur les dimensions obligées d'activités combattues (voir, à ce titre, les descentes de l'Urssaf et autres services de lutte contre la fraude), mais aussi, à certains égards, tolérées. La description des divisions sociales et ethniques du phénomène est intéressante. Polonais, Chinois et Noirs ne sont pas logés à la même enseigne et, surtout, ils exercent différemment à partir de réseaux différents, se différenciant sciemment les uns des autres. On verra aussi des victimes devenir progressivement exploiteurs. L'image du « rayon hommes » (des groupes d'individus attendant d'être recrutés, au noir) devant l'entrée des magasins de bricolage est saisissante. Comme l'auteur, on ne regarde plus les rues, les magasins et chantiers de la même manière après cette enquête.