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Le casse-tête des logiciels RH

Article du numéro 461 - 01 avril 2013

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Prenez d'un côté un panel d'éditeurs offrant des logiciels de plus en plus complets, de plus en plus complexes, et prenez de l'autre des utilisateurs captifs : quand on choisit un éditeur, difficile d'en changer. Le résultat ? Beaucoup de mécontentements, mais aussi des solutions pour palier les défaillances.

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Avant, ils se contentaient de générer des fiches de paie. Aujourd'hui, leurs capacités sont démultipliées, pour la plus grande satisfaction de certaines collectivités... ou pour leur plus grand malheur. Les SIRH, ou systèmes d'information des ressources humaines, c'est un peu le c½ur de ce grand corps qu'est une collectivité territoriale : il suit la cadence infernale des nouveaux textes de loi, ingère les congés maladie, les suivis de formation, les recrutements, les promotions, les évaluations... et continue de pulser en émettant, coûte que coûte, ses bulletins de salaire à chaque fin de mois. Outil vital, il a suivi l'évolution qui s'est imposée aux collectivités, à coup de déconcentration, de décentralisation et de transferts de compétences. Dans la première décennie 2000, la gestion administrative des personnels s'est muée en management des ressources humaines, nécessitant des outils plus sophistiqués. Avec cette mue est venue la décision de changer de logiciel, pour évoluer vers une solution plus globale que l'on peut enrichir avec des modules pour coller aux besoins de la collectivité, en fonction de sa taille notamment.


Une mainmise des éditeurs

Et c'est là que le bât blesse, dirait-on. Car une fois son dévolu porté sur un nouvel éditeur, la collectivité est liée pour un bon nombre d'années. Lorsque la communauté urbaine de Lille a décidé de faire migrer son système en 1999, elle a opté pour l'un des plus gros éditeurs, parmi la demi-douzaine susceptible de répondre aux besoins spécifiques de la fonction publique territoriale. « Nous avons été séduits par la présentation qui nous a été faite lors de l'appel d'offres, explique Florence Scherperelle, responsable de la paie. Seulement, à l'usage, il s'est avéré que le back-office n'était pas à la hauteur de la vitrine qu'on nous avait présentée. On a découvert qu'il y avait deux environnements techniques différents, ce qui pose notamment des problèmes de communication entre la version web et la version serveur. Nous devons faire énormément de contrôles, c'est une perte de temps. » Une perte de temps cependant moins grande que de migrer à nouveau vers un autre éditeur, car une migration complète peut prendre quelques mois juste pour la paie, jusqu'à plus de deux ans pour plusieurs modules. En moyenne, il faut compter au moins une bonne année pour prendre en main un nouveau logiciel. « Quand on a fait tout ce travail et investi toute une équipe, ajoute Catherine Barczi-Issakidis, DGAS RH au sein de l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne et ancienne DGA RH à Drancy, même si on n'est pas satisfait, on ne repart pas pour une autre migration. Donc on se bat au jour le jour. » L'impression que les éditeurs profitent de cette mainmise pour faire évoluer leurs produits a minima, en rectifiant parfois les bugs avec plusieurs mois de retard, est persistante dans les collectivités. En ayant intégré un autre corps de la fonction publique, Catherine Barczi-Issakidis relativise pourtant : il existe une certaine concurrence qui permet de travailler avec des éditeurs de logiciel disposant d'une bonne connaissance métier. « À l'université, j'ai l'impression d'être retournée 15 ans en arrière ! »


Un problème d'organisation interne

Si certaines collectivités font l'expérience malheureuse d'un suivi médiocre de la part de leur éditeur, ce n'est pas le cas de toutes. Et surprise, on peut être client du même éditeur et en être globalement satisfait ! C'est le cas du conseil général du Loiret, qui fait travailler le même fournisseur que la communauté urbaine de Lille. D'où vient alors cette différence de points de vue ? « Principalement, de l'organisation interne, détaille Frédéric Chaduteau, directeur des Relations humaines. On critique souvent les éditeurs mais on ne regarde pas forcément comment fonctionnent les collectivités. Chez nous, cela marche bien grâce à une bonne méthodologie, une bonne approche du projet. L'ancienne DRH avait eu l'intuition qu'il fallait une équipe SI/RH attachée au directeur. Nous avons donc un excellent partenariat avec la DSI, et c'est en travaillant main dans la main que nous réussissons à être satisfaits du produit ». La carrière, les frais de déplacement, le développement de e-services pour les agents, la dématérialisation des frais - permettant de raccourcir la durée de remboursement - fonctionnent parfaitement chez eux. En revanche, « il est difficile de trouver un éditeur bon dans tous les domaines » reconnaît Frédéric Chaduteau. « Nous rencontrons encore des difficultés sur la gestion du temps, cela mobilise un agent à temps plein à la RH, mais aussi au niveau de la DSI. » Responsable études et développement à la Direction informatique de Roubaix, Thierry Trousseau insiste également sur ce point : « Ce n'est pas parce qu'on sous-traite qu'il ne faut pas des spécialistes en interne. Actuellement, les collectivités se rendent compte qu'il faut des gens qui connaissent le métier, le process et le produit afin de maîtriser l'outil. C'est un constat, il ne faut pas laisser la main au progiciel et éviter d'être trop dépendant. »
La clé d'une bonne intégration se trouverait donc là : disposer des ressources en interne pour pallier les défaillances du SIRH choisi. Ces compétences en interne sont également très utiles pour la veille technologique, et pour envisager des alternatives aux solutions proposées par les éditeurs spécialistes de la fonction publique territoriale.
Au conseil général du Loiret, comme aucun des modules GPEC ne leur semblait abouti, ils se sont tournés vers une application destinée au secteur privé. « Mais cette intégration n'a réussi qu'en étant très exigeants avec cet éditeur, peu habitué au fonctionnement des collectivités » précise Christophe Boubault, directeur des systèmes d'information et de l'innovation. La preuve, encore, qu'une forte présence et un savoir-faire en interne sont indispensables. Mais alors, comment s'en sortent les petites collectivités ? Moins bien, c'est évident, même si leurs besoins sont moins poussés. Pour les soutenir, Frédéric Chaduteau et son équipe réfléchissent à un partage des savoir-faire, en organisant par exemple des journées portes ouvertes pour leur apporter conseils et méthodes.


Peser face aux éditeurs

Déjà en 2009, le cabinet Infothep réalisait une étude de satisfaction de leur SIRH auprès des collectivités (voir encadré). Il en ressortait que lorsqu'elles devaient choisir un nouvel éditeur, elles attendaient de plus en plus de l'accompagnement de leur part. « De trop nombreuses applications sont aujourd'hui sous-utilisées car les collectivités se trouvent seules face à des démarches de paramétrages complexes » note l'étude. Parmi leurs attentes en matière de SIRH, les collectivités évoquent principalement la GPEC, la dématérialisation, la déconcentration mais aussi l'intégration de leur outil dans le système d'information de la collectivité. Le problème ? C'est que pour parvenir à ce résultat, il faut prendre conscience que de son côté, elle doit faire un véritable effort d'investissement en constituant notamment une équipe compétente dans le domaine des RH comme des SI. Encore une fois, on y revient.
Il existe toutefois une autre solution qu'a expérimentée Catherine Barczi-Issakidis, du temps où elle officiait en collectivité : « Nous avions constitué un groupe d'utilisateurs en association indépendante, et nous nous réunissions régulièrement pour dénoncer les aspects défectueux et pousser l'éditeur à modifier son logiciel. En étant une douzaine de volontaires, nous avions assez de poids pour parvenir à influer sur notre fournisseur. » Il existe bien des groupes constitués directement par les différents éditeurs, mais d'après l'ex-DGA RH de Drancy, « on y est moins libre de s'exprimer ».


Une mise à jour impossible ?

Enfin, se pose la question des mises à jour des logiciels pour coller à l'adoption de nouveaux textes de lois. Il peut y avoir plusieurs mois de décalage entre l'entrée en vigueur d'un texte et sa retranscription au niveau du logiciel. « En ce moment, la cotisation des élus à la Sécurité sociale ne sera mise en place qu'en avril, c'est un décalage de plus de quatre mois, explique Florence Scherperelle, responsable de la paie à la communauté urbaine de Lille. Cela nécessiterait donc de faire un rappel important ce mois-ci, si je n'avais pas la casquette paramétrage en plus de ma casquette paie. Certaines collectivités n'ont pas ce profil en interne, elles ne peuvent anticiper et sont donc dépendantes de la mise à jour de l'éditeur. » Pour Laurent Guignard, chef de projet informatique au conseil général du Loiret, il faut cependant bien prendre conscience que « le temps du développement des nouvelles fonctionnalités est plus long que celui de l'application des nouveaux textes de loi » qui en plus, prolifèrent ces dernières années. Pour Frédéric Chaduteau, « cela met parfois un peu trop de temps, il est vrai, mais si l'on raisonne sur les six dernières années nous n'avons pas le souvenir d'avoir des remontées des agents pour mauvaise application des réformes à cause du manque de mise à jour ». À Roubaix, où la ville a fait le choix de développer son propre SIRH en interne (voir en encadré), Thierry Trousseau a une conscience accrue du travail que représentent ces modifications réglementaires et même en traitant soi-même cet aspect, il est difficile d'être fin prêt le jour même de la mise en application d'une nouvelle loi. « Pourtant nous y parvenons régulièrement, par exemple l'intégration de la journée de carence était réalisée en une petite semaine. » Dommage que la ministre Marylise Lebranchu ait abrogé cette journée... difficile de suivre le rythme des réformes !
Cette mutation du secteur des ressources humaines - ou des relations humaines comme préfère l'appeler Frédéric Chaduteau, encore une évolution du métier - induit donc de profonds changements d'organisation en interne, notamment sur cet aspect de la prise en main du logiciel. Ce qu'il faut retenir de ces différentes expériences, c'est l'importance de comprendre que le choix d'un prestataire ne signifie pas une délégation totale de tout ce qui touche au SIRH. Pour que la greffe prenne, que l'utilisation des capacités du progiciel soit pleine et entière, mieux vaut une bonne coordination du service informatique et du service des ressources humaines. Et si jamais les équipes ne sont pas assez étoffées, trouver des moyens de faire pression sur l'éditeur en se regroupant. Il n'y a pas d'éditeur parfait, mais il existe un moyen de compenser les manques pour une utilisation optimale de l'outil... sans avoir à affronter le courroux des utilisateurs en interne à cause de dysfonctionnement qui peuvent faire perdre un temps de travail considérable.


Développer en interne, c'est possible ?

Les besoins en matière de SIRH sont de plus en plus conséquents dans les collectivités, la faute à la décentralisation et aux transferts de compétences, notamment. Pour traduire ces besoins en outils efficaces, les éditeurs doivent mener une veille juridique performante et avoir une bonne réactivité informatique. Certains disent même qu'il serait impossible, aujourd'hui, d'obtenir un outil développé en interne performant. La ville de Roubaix, 1 600 permanents et 2 200 fiches de paie chaque mois, a pourtant fait ce choix-là. La collectivité a une forte tradition de développement de logiciels en interne : plus de 50 % de leurs outils sont « faits maison ». Autant dire que l'équipe de la DSI est étoffée : un chef de projet et deux développeurs spécialisés sur le logiciel RH pour l'équipe dédiée, mais aussi une vingtaine de personnes dans l'équipe informatique dont une douzaine de développeurs.

Persister dans le développement en interne
« Il y a près de 4 ans, nous avons hésité à persister dans le développement en interne, explique Nathalie Loridan, DRH de la ville de Roubaix. Nous avons donc réalisé le cahier des charges, fait du bench marking et en observant les produits du marché, nous avons pris conscience que notre produit était plus fort en matière de paramétrage, de réactivité. » La décision était alors prise de refondre intégralement le logiciel en interne, dont ils ont pu toutefois conserver le code source : toutes les données étaient maîtrisées, rien n'a dû être ressaisi. Le travail leur a pris deux bonnes années, ce qui au final, n'est pas plus long qu'une migration complète d'un progiciel à l'autre chez certaines collectivités. En rythmant eux-mêmes leur chantier, ils n'ont rencontré aucun problème majeur, dont le plus important aurait été la prise de données. Quant aux coûts engagés, Nathalie Loridan estime que « c'est analogue, et la plus-value dans ce choix, c'est clairement la réactivité et l'accompagnement permanent des équipes. » De son côté, Thierry Trousseau, le responsable études et développement à la direction informatique de Roubaix, tient à mettre en avant « le travail de concert entre l'équipe RH et l'équipe SI. Il faut que l'informaticien connaisse parfaitement le process, cela passe évidemment par beaucoup de dialogue ». En ayant une bonne connaissance du métier et des process, l'équipe a pu faire du sur-mesure. Pour optimiser les tâches de gestion de la DRH, un comité de pilotage permanent a été constitué. Ce réseau de référents, composé principalement des secrétaires en charge de la saisie, permet d'optimiser les modules. « Ce qui est novateur dans cette nouvelle formule, ajoute Thierry Trousseau, c'est le fait que les agents ont accès au SIRH, ils peuvent accéder à une partie de leur dossier. Nous avons travaillé sur un outil qui n'était pas concentré sur la RH mais destiné au personnel en entier ».

Suivre le rythme
Pour autant, comme quand on choisit de passer par un éditeur, cette formule a ses avantages et ses inconvénients. « Le bon fonctionnement du progiciel repose sur une équipe : si une personne part, il faut prévoir un plan d'accompagnement. C'est la principale fragilité du système » estime la DRH de la ville. De son côté, Thierry Trousseau ajoute qu'il y a un travail souterrain invisible pour les utilisateurs mais véritablement conséquent pour ses équipes. « Par exemple la déclaration annuelle des données sociales : nous avons depuis quelques années des changements réglementaires assez conséquents, c'est un travail assez ingrat et dont personne n'a conscience. » Mais globalement, le rythme des mises à jour est meilleur avec leur produit en interne.
La ville de Roubaix échange régulièrement avec d'autres villes de la région, dont Tourcoing ou Lille. Pour l'instant, ils ne sont pas encore passés à la vitesse supérieure en choisissant de mutualiser une partie des outils. C'est pourtant la voie qui se dessine, au moins en commençant par mutualiser leurs connaissances des métiers et des process en la matière.