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Une fonction publique à deux statuts

Article du numéro 459 - 01 mars 2013

Interview

La loi du 12 mars 2010 affiche l'ambition de résorber l'emploi précaire dans la fonction publique. Si elle permet l'intégration des agents non titulaires, elle ouvre aussi en grand la voie de la « CDI-sation », à laquelle 100 000 agents pourraient prétendre. Et si la banalisation du CDI était finalement un des objectifs inavoués de la loi ? C'est l'analyse de Didier Jean-Pierre, qui y décèle une nouvelle pierre apportée à l'édification d'un « statut bis »,concurrentiel du statut général.

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Didier Jean-Pierre
est professeur agrégé de droit public. Spécialiste du droit de la fonction publique, il enseigne à l'Université d'Aix-Marseille. Directeur scientifique du JurisClasseur Fonctions publiques et codirecteur de la Semaine juridique administrations, il est l'auteur
(en collaboration) d'un Précis de Droit de la fonction publique (Dalloz, 7e éd., 2012).


La loi visant à résorber l'emploi précaire (1) a, selon vous, un effet « caché » : elle instaure un dualisme entre le contrat et le statut (2). Expliquez-nous.

En apparence, cette loi respecte l'approche binaire de l'emploi public et la distinction entre agents non titulaires et fonctionnaires, tout en laissant les uns et les autres dans un régime de droit public. Toutefois, si le plan de titularisation n'appelle pas de commentaire particulier, il en va autrement de l'extension du domaine des CDI dans la fonction publique qui apparaît loin d'être marginal puisque le Gouvernement annonce 100 000 bénéficiaires potentiels. Ces agents ont vocation à faire « carrière » dans la fonction publique et de nouveaux droits leur sont reconnus : rémunération, évaluation, congé de mobilité, portabilité du contrat, CAP... Autant dire qu'il s'agit là d'une évolution profonde qui apparaît difficilement réversible à court terme, d'autant plus qu'il semble régner un certain consensus politique sur le sujet. À côté des fonctionnaires va donc monter en puissance une nouvelle catégorie d'agents qui seront régis par des textes spécifiques. Ce corpus juridique en train de s'édifier est une sorte de statut bis prenant sa place à côté du statut général.


Est-ce la mise en place progressive d'une fonction publique « à deux vitesses » ?

Sur le plan théorique, une fonction publique « à deux vitesses » ne trouve pas de justifications. Dans une logique statutaire, les agents non titulaires sont à la marge du système. Ils apparaissent comme une force d'appoint au risque, comme l'écrivait le conseiller d'État Marcel Pochard, d'apparaître comme « la mauvaise conscience de la fonction publique ». Aussi, si l'on souhaite éviter le recours trop fréquent aux agents contractuels, il faut limiter les cas de recours, les garanties et les perspectives de carrière de ces agents, quitte à procéder régulièrement à des plans de titularisation qui ne soient cependant pas trop ouverts. On évite ainsi d'ouvrir une troisième voie, celle des agents contractuels permanents occupant des emplois permanents. Depuis la loi du 26 juillet 2005, c'est bien ce choix de la troisième voie qu'a privilégié le législateur.


Quelles en seront les conséquences ?

Il est trop tôt pour dresser un bilan. Certaines difficultés ne manqueront pas d'apparaître néanmoins. On songe aux questions de priorité d'accès à l'emploi vacant, ainsi qu'aux cas de reclassement pour suppression d'emplois. Se poseront aussi à terme des questions de progression de carrière. Les agents en CDI risquent de se retrouver privés d'accès aux fonctions les plus élevées ou à l'inverse de bloquer la promotion interne des fonctionnaires ou encore d'empêcher le recrutement de lauréats de concours qui viendront alors grossir les rangs des « reçus-collés ». Le plus grand inconvénient réside, selon moi, dans le fait que les agents en CDI ne bénéficieront pas de la distinction du grade et de l'emploi. Ils risquent alors de se trouver plus facilement que d'autres inféodés ou d'avoir du mal à résister aux pressions politiques de peur de perdre leur emploi.


La banalisation du recours au CDI - y compris en primo-accédant - ne risque-t-elle pas de vider d'intérêt l'entrée par concours et de porter atteinte au principe d'égalité dans le recrutement ?

Même si la loi du 12 mars 2012 a étendu les cas de primo-recrutement, quantitativement, ils restent encore assez limités. S'il n'est pas inconcevable qu'un emploi public puisse être pourvu par des voies différentes afin de ne pas recruter des candidats ayant tous le même profil, c'est à la condition que le recrutement respecte les « mérites et talents » vantés par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme. Or, si l'attribution de contrats publics demeure discrétionnaire et que les procédures ne sont pas transparentes, les collectivités risquent de se voir reprocher au pénal des discriminations entre les candidats. Bref, le terrain est glissant. Il reste quand même que la réussite à un concours donne accès à la titularisation et à un grade dans un cadre d'emplois et que les agents en CDI vont s'apercevoir que la flexibilité du recrutement risque de s'accompagner de celle du licenciement.


La titularisation des agents en CDI éligibles est soumise à des « sélections professionnelles ». Les jurys seront-ils impartiaux ?

Pour préserver le principe de libre administration, le législateur a inventé le procédé des sélections professionnelles spécifique à la fonction publique territoriale. J'observe que si la procédure est organisée par la collectivité elle-même, la commission sera composée d'une personnalité qualifiée, de l'autorité territoriale et d'un fonctionnaire de la collectivité. Une telle composition n'est pas de nature à rassurer sur les garanties d'indépendance et d'impartialité. Le Conseil d'État avait d'ailleurs proposé dans son avis relatif au projet de loi que siègent deux personnalités qualifiées et non une seule.


L'organisation de la sélection par les centres de gestion est-elle préférable ?

La loi permet en effet de leur confier l'organisation des commissions de sélection avec des garanties d'impartialité qui me semblent accrues du fait de la composition prévue. Néanmoins, tout cela risque de rester très formel. La commission d'évaluation devra en effet seulement se prononcer sur l'aptitude des candidats à exercer en tant que fonctionnaires leurs futures fonctions, c'est-à-dire celles qu'ils exerçaient auparavant en tant qu'agent contractuel. Il sera difficile à une commission de conclure sur la base d'une simple audition et d'un CV qu'un agent, qui est fort d'au moins quatre ans d'ancienneté et qui a priori a donné satisfaction - sans quoi on ne comprendrait pas qu'il eût été renouvelé dans ses fonctions de contractuel -, n'est pas apte à exercer les mêmes fonctions qu'auparavant. Les commissions risquent de n'être que des « chambres d'enregistrement ».


Compte tenu des conditions à respecter, des sélections à passer, de la volonté des collectivités de maîtriser la masse salariale... la déception ne risque-t-elle pas d'être au rendez-vous pour nombre d'agents ?

Il y aura des déceptions, c'est inévitable et sûrement aussi des contentieux, comme l'a suscité le dernier plan de titularisation issu de la loi Sapin de 2001. Mais dans l'ensemble, je suis assez optimiste pour les agents, d'une part, parce que le nombre d'agents concernés par la titularisation n'est pas si important que cela et, d'autre part, parce qu'à la veille des élections municipales la bonne volonté politique sera présente.

(1) Loi n° 2010-347 du 12 mars 2010, décret n° 2012-1293 du 22 novembre 2012.
(2) « La loi du 12 mars 2012 et la consécration du dualisme statutaire », La Semaine juridique administrations, JCP A n° 2290, du 19 septembre 2012.


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Le statut des emplois fonctionnels à Paris le 21/03
Renseignements au 04 76 65 61 00 ou par e-mail formation@territorial.fr

Pour aller plus loin
« Les agents contractuels des collectivités locales »
Réf. CL17, 612 pages, à partir de 159 e, classeur avec mises à jour (2 par an, 9 e/mois). Un Classeur des éditions Territorial http://librairie.territorial.fr


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